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Réglementons et taxons la cigarette électronique

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Image reproduite avec l’aimable autorisation de Pixabay (a), sous licence Creative Commons.


La réglementation de la consommation de tabac par l’application d’un droit d’accise et l’interdiction de fumer dans des lieux publics, de vendre ou de présenter des produits du tabac aux mineurs sont des dispositifs désormais largement acceptés pour prévenir les effets nocifs du tabagisme sur la santé.

Aux États-Unis, la décision de la cour fédérale de grande instance qui ordonne aux quatre plus grands cigarettiers américains de procéder à des « déclarations rectificatives » au moyen de spots télévisés et de pleines pages de publicité dans la presse pour informer le public des dangers de la cigarette, y compris les cigarettes dites légères et à faible teneur en goudron, est entrée en vigueur le 26 novembre 2017. Cette décision vient confirmer des faits avérés sur la base d’études concordantes depuis plus d’un demi-siècle (a), à savoir que l’élaboration et la composition d’une cigarette qui garantissent l’inhalation optimale de la nicotine entraînent une dépendance, une dégradation de la santé, une mortalité et une invalidité précoces chez les fumeurs passifs ou actifs.

En outre, la récente décision du Vatican d’interdire la vente en détaxe de cigarettes révèle combien la société a changé de regard sur la consommation de tabac : un État souverain est désormais disposé à se priver de recettes issues de produits indéniablement nocifs pour la santé.

Ces dernières années, les parties prenantes à l’échelle mondiale ont discuté de la possibilité de classer comme produits du tabac la cigarette électronique et les systèmes d’inhalation de nicotine ne dégageant aucune fumée , dans le but de les soumettre à la même réglementation que les cigarettes. Ces débats revêtent une grande importance du fait de la place centrale qu’occupe la production de ces articles dans les nouveaux plans d’activités de diversification de l’industrie du tabac : l’e-cigarette (un appareil à pile qui chauffe un liquide contenant de la nicotine pour le transformer en vapeur que l’usager inhale à la manière d’une cigarette) est présentée comme une innovation technologique qui protège les fumeurs des effets nocifs de la cigarette, qui continue, elle, d’être commercialisée partout dans le monde, mais la question est de savoir quels travaux scientifiques sérieux justifient cette affirmation et permettraient à l’e-cigarette d’échapper à la réglementation portant sur les produits du tabac ?

La revue The New England Journal of Medicine (a) a publié un article dont les conclusions sont les suivantes : « On ne peut à ce jour parvenir à un consensus sur l’innocuité de l’e-cigarette, sauf à dire peut-être qu’elle est susceptible de présenter moins de dangers qu’une cigarette classique mais tout aussi susceptible de poser un risque pour la santé qui n’existe pas dès lors que ces produits ne sont pas consommés ». En 2016, la direction générale de la Santé des États-Unis a procédé à une évaluation globale (a) sur la base des données avérées disponibles. Ses conclusions sont plus tranchées : la consommation de tabac chez les adolescents et les jeunes adultes, y compris sous la forme de cigarettes électroniques, présente des risques et l’usage de l’e-cigarette chez ces populations a crû à un rythme alarmant ces dernières années aux États-Unis. Le rapport relève également que puisque les vapoteuses sont des produits du tabac qui diffusent de la nicotine, une substance toxique très addictive, on peut ainsi redouter que beaucoup des mineurs consommateurs de ces produits deviennent les fumeurs de cigarettes de demain, afin d’assouvir leur dépendance à la nicotine. Par ailleurs, l’exposition à la nicotine peut nuire au développement cérébral, en risquant d’affecter le développement neurologique et la santé mentale des enfants et des adolescents.

De part et d’autre de l’Atlantique, les réglementations dénotent clairement les risques potentiels que fait peser l’e-cigarette sur la santé. Aux États-Unis, les cigarettes électroniques, au même titre que les cigarettes classiques, relèvent aujourd’hui de la compétence de la Food and Drug Administration, l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux. Cette évolution est conforme au rapport de la direction générale de la Santé recommandant d’étendre les stratégies globales de lutte et de prévention de consommation du tabac à tous les produits du tabac, notamment les vapoteuses, et de parvenir à d’autres formes de restrictions concernant l’usage et l’initiation au tabac chez les adolescents et les jeunes adultes en réglementant la fabrication, la distribution, la commercialisation et la vente de tous les produits du tabac, y compris les e-cigarettes. La Cour de justice de  l’Union européenne a approuvé en mai 2017 la nouvelle législation soumettant la cigarette électronique aux mêmes normes réglementaires que la cigarette classique , avec l’interdiction notamment de toute publicité ou activité promotionnelle.

Cette actualisation de la directive européenne sur les produits du tabac avait été présentée pour la première fois il y a deux ans, mais contestée par plusieurs acteurs importants de cette industrie.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le secrétariat de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac ont émis des recommandations claires dans l’espoir que les pays assimilent les vapoteuses aux produits du tabac et les soumettent au même cadre réglementaire. Depuis les années 90, le Groupe de la Banque mondiale poursuit une politique globale sans équivoque qui interdit toute opération de financement (prêt, don, crédit, investissement, garantie des investissements) destinée à la production, la transformation et la commercialisation du tabac. Signataire de la Convention-cadre de l’OMS, le Groupe de la Banque mondiale fournit également une assistance technique aux États pour l’application d’une hausse des taxes sur les produits du tabac qui soit bénéfique à la santé publique et à la mobilisation des ressources publiques.

Nous qui travaillons à l’avancement de la grande cause de la santé dans le monde, faisons preuve de constance dans notre engagement. Face à cet objectif, gardons à l’esprit que la consommation de tabac est la première cause de mortalité évitable dans le monde et qu’elle est responsable de 7 millions de morts chaque année. À l’avenir, inspirons-nous des enseignements tirés du passé et des données scientifiques disponibles et redoublons d’efforts pour veiller à l’application intégrale des mesures de réduction de la demande et de l’offre de la Convention-cadre de l’OMS dans tous les pays du monde afin de lutter contre la consommation de tabac sous toutes ses formes, y compris l’e-cigarette.
 
Pour aller plus loin :
Infographie : Arrêtez de fumer : c’est mauvais pour la santé et pour l’économie
Programme de lutte contre le tabagisme du Groupe de la Banque mondiale (a)
United Nations Global Compact (a)
Why Tobacco Companies Are Paying to Tell You Smoking Kills (a)
1964 U.S. Surgeon General’s report on Smoking and Health (a)
2014 U.S. Surgeon General’s report “The Health Consequences of Smoking–50 Years of Progress” (a)
“Phishing for Phools”. The Economics of Manipulation & Deception (a)
“Golden Holocaust: Origins of the Cigarette Catastrophe and the Case for Abolition” (a)
“The Cigarette Century: The Rise, Fall, and Deadly Persistence of the Product That Defined America” (a)
Holy smoke: Vatican bans duty-free cigarette sales (a)
The Health Effects of Electronic Cigarettes (a)
E-cigarette use among youth and young adults: a 2017 report of the U.S. Surgeon General (a)
EU’s highest court upholds restrictive new law on cigarettes (a)
Tobacco Taxation: At the Crossroads of Health and Development (a)


Auteurs

Patricio V. Marquez

Former World Bank Group (WBG) Lead Public Health Specialist

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