La jeune fille qui a construit sa propre maison : « Je n'ai pas à demander à quelqu'un d’autre de le faire pour moi »

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En Haïti, le recrutement de jeunes femmes pour les former à ce qui a toujours été perçu comme des métiers majoritairement masculins est une tâche difficile. Notre équipe a découvert que, si de nombreuses familles voulaient profiter de l'occasion qu’offrait la formation pour éduquer leurs filles, elles étaient hésitantes parce que la formation offerte était dans des rôles non traditionnels.

En effet, ces étudiantes allaient apprendre des professions attribuées à des ouvriers/artisans tels que la maçonnerie, la menuiserie, la manœuvre d’engins lourds, la plomberie et le câblage électrique. Les pères et surtout les mères se sont farouchement opposés à ce que leurs filles exercent ce type de métier, mais pour des raisons différentes.

Chez les pères c’était souvent la même question qui revenait : «Pourquoi vous ne leur apprenez pas à faire quelque chose de plus respectable, plus adapté pour une fille, à être secrétaire, ou travailler dans un hôpital ?". Quant aux mères, la principale raison du refus était la crainte pour la sécurité de leurs filles, de peur qu’elles puissent devenir des cibles faciles pour des hommes sans scrupules, au sein de professions à domination clairement masculines.

Elles craignaient la possibilité d'une agression sexuelle, que leurs filles soient considérées comme des femmes de mauvaises mœurs parce qu'elles auraient choisi de travailler dans ce que les parents percevaient comme des environnements à haut risque.

Après de longues discussions, des aller-retour entre les dirigeants communautaires, les parents, les pasteurs et les jeunes femmes elles-mêmes, nous avons pu répondre à toutes ces préoccupations. Enfin, après trois mois, notre pari était gagné : les filles et leurs familles ont été convaincues, et nous avons identifié et inscrit les 200 élèves nécessaires pour aller de l'avant avec le projet.

Il s’agissait d’un groupe diversifié ; certaines des participantes étaient déjà mariées avec enfants. La plupart issues de quartiers de Delmas 32, une zone densément peuplée de 90.000 personnes, à Port -au- Prince, et d’autres venaient des communautés environnantes.

Néanmoins, toutes ces jeunes femmes partageaient un milieu similaire. Elles venaient de familles qui se trouvaient dans une situation financière désespérée. Leur scolarité ayant été interrompue en raison de divers problèmes suite au tremblement de terre en janvier 2010. La catastrophe leur avait pris leur maison de famille ou leurs moyens de subsistance, les laissant financièrement vulnérables. Une poignée d'entre elles vivaient encore dans des camps.

Comme n’importe quelle nouvelle étudiante dans un programme pilote novateur, les filles étaient enthousiastes, mais inquiètes. Elles ne savaient pas à quoi s'attendre ni comment fonctionner dans leur nouveau milieu éducatif. Beaucoup d'entre elles n'avaient aucune expérience de travail dans un cadre professionnel, et n’avait même jamais suivi d’étude sur un campus aussi spacieux, et c’était la toute première fois qu’elles se retrouvaient à travailler de manière autonome avec une telle responsabilité.

C'était également la première fois que beaucoup d'entre elles étaient exposées à une telle diversité de personnes au sein du centre professionnel : la majorité des étudiants venant de milieux sociaux plus élevés que le leur, l’intégration n’a pas été une évidence. Quoi qu’il en soit, elles se sont immergées dans les cours de compétences de vie autant que dans la formation professionnelle, enthousiastes à l’idée d’assimiler les outils récemment découverts et les connaissances nécessaires pour naviguer dans le contexte professionnel haïtien.

La formation aux compétences de vie permet à ces jeunes femmes d'équilibrer leurs vies personnelles et professionnelles, abordant des sujets tels que la gestion de l'argent, la santé et la sécurité au travail, le harcèlement sexuel, la violence conjugale et les questions de santé reproductive. Nous nous sommes assurés qu'elles avaient toutes un réseau de soutien fiable, ce qui est important en cas de problèmes imprévus au cours de leur période de formation. Les filles devaient avoir accès à quelqu'un à qui elles pouvaient se confier et avec qui elles pourraient travailler pour trouver des solutions aux problèmes qu'elles pourraient rencontrer.

A la fin de la première phase de la formation, 94 des 100 filles ont passé tous les examens avec succès et ont été diplômées du programme. Depuis, un certain nombre de nouvelles diplômées ont trouvé un emploi, certaines comme opérateurs d’engins lourds, d'autres dans la maçonnerie. Quelques-unes sont même allé plus loin encore, ayant trouvé des opportunités d’emploi en République Dominicaine, pays voisin.

Tout au long du processus, notre équipe a également pu identifier les domaines où ces jeunes femmes peuvent avoir besoin de soutien supplémentaire. Un exemple en est la certification. Ceci est d'une importance capitale, car elle leur donne le droit d'exercer légalement leur nouvelle profession. Pourtant, le processus est lent et laborieux. De même, la réalité du marché du travail en Haïti ainsi que les conditions de travail ont besoin d’être prises davantage en considération, surtout compte tenu de la nature informelle du secteur de la construction.

Alors que le programme tirait touchait à sa fin, ce qui a le plus frappé toute l’équipe c’est le changement radical dans l'attitude de nos étudiantes, et être témoin de ces changements a été pour nous un immense privilège. Aujourd'hui, ces jeunes femmes considèrent leur avenir avec plus d'optimisme que de pessimisme et cela a été une transformation exceptionnelle et remarquable. Elles croient aujourd’hui davantage dans leurs capacités à influer le changement sociétal nécessaire pour propulser leur pays vers l'avant. Et elles sont également conscientes qu'elles devront surmonter d'innombrables difficultés.

Les résultats les plus remarquables sont les exemples concrets de la manière dont elles prennent désormais le contrôle de leurs propres vies. Une jeune femme, qui se trouve également être une mère célibataire, a commencé la construction de sa propre maison. «Ce n'est pas quelque chose de très grandiose, » me dit-elle,  « juste une chambre pour moi et mon enfant. » Mais je suis capable de faire cela maintenant parce que je suis un maçon. J'ai des compétences, je n'ai pas à demander à quelqu'un de le faire pour moi. »

Une autre diplômée est revenue me trouver après sa formation pour m’annoncer qu'elle avait réussi à trouver un emploi. Elle a résumé son expérience qui, je pense, reflète celle de beaucoup : «Nous avons vécu l'enfer et nous en sommes sortis, nous avons souffert et souffert », dit-elle. Elle a expliqué : «Mon mari était tellement en colère contre moi que je fasse cette formation…il pensait que j'allais le quitter. Il a même fini par me jeter dehors ! Mais maintenant, j'ai de l'espoir pour notre avenir et l'avenir de mon enfant. ... Maintenant, je sais que je suis capable. »

En 2012, J/P HRO a commencé à participer à un projet pilote de la Banque mondiale pour améliorer la vie de jeunes femmes : L’Initiative pour les Adolescentes. Notre mandat était d’identifier 200 participantes potentielles pour le projet – des jeunes femmes entre 17 et 21 ans – ainsi que développer et maintenir une relation proche avec celles-ci, tout en fournissant des compétences de base de la vie. Nous nous sommes alliés à 4 organisations communautaires qui étaient chargées de mobiliser le soutien autour du projet au sein de communautés ciblées.

Auteurs

Kamilah Morain

Chargée de projets communautaires, J / P HRO