Le niveau des prix alimentaires reste préoccupant : cinq questions à l’économiste José Cuesta

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Des prix alimentaires élevés — et extrêmement volatils — semblent installer une nouvelle normalité. Si le monde a échappé à une nouvelle crise alimentaire, après l’envolée du prix de certaines denrées essentielles comme le maïs et le soja, qui ont atteint des records en juillet 2012, les inquiétudes entourant la sécurité alimentaire sont toujours là. La dernière édition du rapport de la Banque mondiale Food Price Watch montre que si l’indice des prix alimentaires d’octobre a baissé de 5 % par rapport à son pic de juillet, les cours des denrées sur les marchés internationaux (céréales et matières grasses notamment) restent bien supérieurs à leur niveau d’il y a un an.

Pour José Cuesta, économiste à la Banque mondiale et auteur de ce rapport trimestriel, le monde doit se garder de relâcher ses efforts face à des prix alimentaires soutenus et instables. Il faut au contraire multiplier les initiatives pour aider les 870 millions d’êtres humains souffrant de la faim dans le monde et les millions d’autres qui vivent sous cette menace constante.

1. Après s’être stabilisés, les cours viennent même de reculer.Pourquoi rester en état d’alerte ?

Les prix des denrées alimentaires sur les marchés internationaux se sont stabilisés en août et en septembre et ont même fléchi de 4 % en octobre. Ils restent néanmoins très proches de leurs records historiques.

Par ailleurs, les dernières tendances sont plutôt mitigées : alors qu’au dernier trimestre, les prix à l’exportation du maïs et du blé ont augmenté, ceux du riz ont eu un parcours moins homogène, selon l’origine du produit.

Ce type d’évolution nous impose donc de rester vigilants et concentrés. Pour des millions de personnes dans le monde qui ne disposent pas de mécanismes amortisseurs, le niveau élevé des prix alimentaires signifie qu’elles auront beaucoup de mal à nourrir leur famille.

2. Quels sont les zones géographiques les plus touchées par ce renchérissement et pourquoi ?

En Afrique australe, les prix intérieurs des denrées de base subissent une pression grandissante en raison de facteurs saisonniers, tandis qu’en Europe de l’Est et en Asie centrale, c’est une grave sécheresse qui est à l’origine des pressions sur les prix. En Asie du Sud et de l’Est comme en Afrique de l’Ouest et de l’Est et en Amérique centrale, les prix sont stables mais généralement élevés, en raison principalement des conditions saisonnières.

Comme toujours, tout un faisceau de facteurs entrent en ligne de compte : outre les conditions météorologiques, on peut citer, parmi les nombreux éléments déterminants, la dépréciation des monnaies locales, l’augmentation du prix des carburants ou les problèmes de sécurité.

3. Des prix alimentaires élevés sont-ils la nouvelle norme mondiale ?Vont-ils perdurer ?

De plus en plus d’experts s’accordent sur le phénomène persistant de prix alimentaires mondiaux élevés, en tout cas en termes nominaux. Ces prix semblent également de plus en plus instables. Il suffit pour s’en convaincre de calculer le nombre de pics enregistrés depuis six ans. De toute évidence, la plupart font désormais un constat auquel certains étaient parvenus depuis longtemps : des prix alimentaires élevés et l’insécurité alimentaire ne constituent pas des anomalies. Dès lors, un seul message importe : quelle que soit la variation des cours d’un mois sur l’autre, on ne peut pas se permettre de baisser la garde.

4. Pourquoi, à votre avis, la sécurité alimentaire doit-elle figurer en tête des priorités de la communauté internationale ?

La raison qui prime sur toutes les autres est que 870 millions de personnes continuent de souffrir de la faim dans le monde, selon les dernières données de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). À l’inverse des progrès obtenus dans la lutte contre l’extrême pauvreté, la faim n’a reculé que dans des proportions modestes et nous ne sommes guère en voie d’atteindre l’objectif du Millénaire pour le développement en la matière d’ici 2015.

Mais le rapport ne relaie pas que des mauvaises nouvelles : les investissements dans la sécurité alimentaire, en particulier les interventions groupées en faveur de la nutrition, font partie des stratégies de développement qui offrent le rapport coût-efficacité le plus élevé. En effet, ces initiatives n’ont pas un effet capital sur la nutrition uniquement : elles améliorent aussi de manière cruciale le développement cognitif, la santé maternelle et infantile, la prévention des maladies et même la croissance économique.

Enfin et surtout, nous savons qu’agir trop peu et trop tard peut avoir des conséquences intolérables sur le niveau de mortalité infantile, qui n’est en rien une fatalité.

5. De votre point de vue, les décideurs et les organismes de développement réagissent-ils comme ils le devraient à ces prix alimentaires élevés ?

Il faut distinguer la réaction de la prévention. La réaction n’est qu’un élément de l’équation. Si l’on s’efforce davantage d’atténuer la répercussion des crises alimentaires à l’échelle planétaire comme au sein des pays — en mettant par exemple en place des filets de protection sociale ou en les renforçant —, ses efforts restent insuffisants. Il faut que l’on s’engage plus fermement à lutter contre ce renchérissement des denrées alimentaires et, plus largement, contre l’insécurité alimentaire.

Les investissements dans l’agriculture, vitaux pour assurer un approvisionnement stable et durable à une population mondiale toujours plus nombreuse, s’accélèrent dans le monde et en particulier en Afrique. Mais là encore, cela ne suffit pas. Il faut mobiliser plus de moyens, fournir davantage d’informations et en assurer l’accès en toute transparence, et éviter enfin, au niveau des décideurs et de la communauté du développement, la poursuite de politiques contre-productives.

Auteurs

Karin Rives

Online Communications Officer

Lafaimexpliquee
06 decembre 2012

Depuis 2008, les prix alimentaires sont revenus sur la scène internationale. Alors que l’on ne mentionnait à peine les prix lors de la première moitié des années 2000 pour se désoler de leur baisse tendancielle et leur volatilité, les voici depuis 2006 au devant de la scène. Dans un premier temps, c’est le niveau des prix - la flambée - qui était la préoccupation principale des gouvernements et des experts. Depuis le Sommet mondial de 2009, c’est leur volatilité qui a pris le dessus, sous l’impulsion des pays industrialisés et le l’OCDE notamment.

L’accent mis depuis 2009 sur la volatilité des prix a des conséquences sur les politiques mises en oeuvre par les uns et les autres. Les pays du Sud ont diminué les ressources allouées à l’investissement agricole et en infrastructures diverses pour financer des stocks alimentaires et des mesures de stabilisation des marchés, et pour augmenter l’interventions publique sur les marchés agricoles. La communauté internationale, à l’instar du G20 de 2011, n’a pas respecté ses engagements prix en 2008 (la crise financière est passée par là) et s’est porté avec plus de visibilité sur les systèmes d’information et des velléités de réglementation des marchés, notamment financiers, qui malheureusement ne se sont pas traduites dans les faits.

Il s’avère cependant que les données disponibles ne justifient pas vraiment l’importance accordée à la volatilité des prix. Certains experts indépendants reconnus et la CNUCED produisent des chiffres montrant que la volatilité est conforme à ce qui a déjà été observé dans le passée, et moindre que celle vue lors des années 70 et 80. D’autres, notamment à la FAO, insistent sur le fait que l’augmentation de la volatilité observée récemment sur les marchés globaux (Chicago, etc.) liée aux spéculations financières notamment, de doit pas être confondue avec la volatilité au niveau national, sur des marchés souvent déconnectés du marché mondial pour toute une série de raisons. Des études récentes de la FAO montraient ainsi que la volatilité des prix dans les pays africains était supérieure à celle observée ailleurs dans le monde, alors même que leurs marchés étaient déconnectés du marché mondial.

On peut donc se demander si l’importance accordée à la question de la volatilité des prix se justifie par rapport à l’objectif de réduction de la faim dans le monde. L’exemple africain indiquerait qu’il s’agit là d’une grave erreur et qu’en donnant tant de poids aux considérations sur les prix, on se trompe de priorité dans la lutte contre la faim. En effet, une question centrale qui s’impose en Afrique est celui d’une croissance inégale: pendant la première décennie de ce siècle, et alors que le revenu moyen par tête croissait de 5% par an en Afrique, le nombre de personnes souffrant de la faim a augmenté de plus de 40 millions. Voilà un fait qui devrait nous interpeller mais dont personne ne parle. Il soulève la question de la distribution des fruits de la croissance en Afrique et des politiques qu’il s’agirait de mettre en place pour développer des mesures de protection sociale pour les plus défavorisés afin de leur permettre d’une part de manger à leur faim et d’autre part d’augmenter leur capacité à saisir les opportunités créée par la croissance.

Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il ne faut pas chercher à trouver des moyens pour stabiliser davantage les prix et réduire les risques dans l’agriculture afin d’encourager l’investissement dans ce secteur et augmenter ainsi la production agricole et alimentaire. Mais cessons de confondre la lutte contre la faim aujourd’hui avec la nécessité d’augmenter la production agricole pour faire face à l’accroissement future de la demande alimentaire.