Booster les emplois pour les pauvres : l'entrepreneuriat dans le domaine de la garde d'enfants en République du Congo

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Booster les emplois pour les pauvres : l'entrepreneuriat dans le domaine de la garde d'enfants en République du Congo Deux mamapreneurs à la crèche Soukissa à Brazzaville - Crédit : Gloire Bokoba/ MEDRAC.

« Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils auraient répondu des chevaux plus rapides ! » Cette citation, souvent attribuée à Henry Ford, donne un aperçu éloquent de la nature de l’innovation : les gens ne savent pas toujours ce dont ils ont besoin – ou ce qui est possible - tant qu’ils n’en font pas l’expérience. Les produits et services porteurs de transformations nécessitent une vision et la volonté de sortir des sentiers battus. Nous pensons que c’est le cas pour les services de garde d’enfants en République du Congo, mais en fait, dans une grande partie de l’Afrique subsaharienne.

En moyenne, une famille congolaise compte plus de quatre enfants. Pourtant, selon l’UNICEF, seulement un tiers des enfants âgés de 3 à 5 ans ont accès à des programmes d’éducation de la petite enfance (a).  Pour les enfants de moins de trois ans, l’accès est encore plus faible. Pour les plus chanceux, il existe des garderies privées, mais les frais peuvent dépasser 100 dollars par mois, une dépense inabordable pour la majorité des familles, puisque le salaire minimum au Congo avoisine les 150 dollars mensuels. Les structures d’accueil publiques ou subventionnées sont rares.

Parallèlement, depuis des années, la Banque mondiale soutient les micro-entrepreneurs congolais en leur fournissant des capitaux et en développant leurs compétences dans le cadre des projets de protection sociale et d’inclusion économique des jeunes et du système de filets sociaux Lisungi. De nombreuses femmes avec lesquelles nous collaborons sont micro-entrepreneures dans des secteurs comme la couture ou la coiffure, où la concurrence est intense et les marges bénéficiaires sont minces. Très souvent, elles nous disent qu’avoir de jeunes enfants à la maison rend presque impossible de pouvoir consacrer le temps et l’énergie nécessaires à la croissance de leur entreprise.

Nous nous sommes demandé comment aider les entrepreneurs à développer de nouveaux produits et services là où nous soupçonnons qu’il existe une forte demande non satisfaite. Et s’il serait possible d’apporter une solution au défi de la garde d’enfants par la même occasion ?

Par un concours de circonstances, nous avons découvert Kidogo, une entreprise sociale au Kenya qui travaille avec des femmes entrepreneures au développement d’entreprises de garde d’enfants abordables et de haute qualité. Implantées dans des quartiers à faible revenu, elles facturent généralement leurs services un dollar par jour et par enfant. Avec le soutien de l’Initiative d’investissement dans la garde d’enfants et du Programme de réponse en matière de protection sociale, nous nous sommes associés à Kidogo pour adapter leur modèle à Brazzaville, en partenariat avec notre partenaire local chargé de la mise en œuvre, MEDRAC Africa.

Nous avons commencé par recruter notre première cohorte de « mamapreneurs », des femmes désireuses d’ouvrir et de faire vivre des crèches. Elles ont suivi un programme de formation de trois mois portant sur le développement de la petite enfance, les fondamentaux de l’entrepreneuriat et des compétences pratiques comme les premiers secours et la sécurité incendie. La sécurité et la qualité des services de garde d’enfants constituent le cœur du projet. Cependant l’accompagnement de ces mères entrepreneures ne se limite pas à la formation.

Suite à leur formation, elles ont effectué un stage de deux semaines dans une crèche publique gérée par le ministère des Affaires sociales, de la Solidarité et de l’Action humanitaire (MASSAH). Des fonctionnaires du ministère ont ainsi évalué rigoureusement leur savoir-faire et ont délivré des certificats de formation à celles qui ont réussi les examens écrits et oraux. L’apprentissage se poursuit en situation, avec des visites hebdomadaires de coachs spécialisés au sein des crèches.

En parallèle, afin de favoriser un changement systémique à l’échelle nationale, nous avons travaillé avec le ministère pour faire évoluer le cadre institutionnel de la garde d’enfants, ce qui implique de définir des normes de qualité réalistes pour les nouvelles crèches, et de mettre en place des dispositifs de suivi. La création d’un marché nécessite à la fois un nouveau produit ou service attrayant et un cadre institutionnel permettant aux nouvelles entreprises de prospérer.

Le mois dernier, la première crèche a ouvert ses portes au marché Soukissa, dans le quartier de Ouenzé à Brazzaville. Six mamapreneurs gèrent aujourd’hui trois salles de classe, accueillant 36 enfants. Deux nouveaux centres devraient ouvrir prochainement. Nous avions des inquiétudes concernant le niveau de demande, ainsi que la volonté et la capacité des parents à financer ces services, étant donné le manque de familiarité avec les services agréés de garde d’enfants.  Mais heureusement, l’initiative a rencontré un vif succès.

Les frais de scolarité sont d’environ 30 dollars par mois, ce qui comprend un petit-déjeuner et un déjeuner équilibrés, une assurance et un suivi médical de base. Au début du mois d’août, nous avons eu l’occasion de visiter la crèche de Soukissa avec Irène Mboukou-Kimbatsa, ministre congolaise des Affaires sociales, de la Solidarité et de l’Action humanitaire. Interrogée sur ce qu’elle avait observé et sur la pertinence de développer ce modèle, la réponse de la ministre a été sans ambiguïté : « Absolument ! », a-t-elle dit. « Nous devrions redoubler d’efforts. »

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Goûter à la crèche Soukissa : crédit : Franck Bitemo/ Banque mondiale.

La garderie du marché Soukissa démontre que les services de garde d’enfants offrent un triple bénéfice : (1) ils génèrent des emplois et des revenus pour les entrepreneures potentielles, (2) ils renforcent le capital humain et la préparation à l’école des enfants, et (3) ils permettent aux parents de travailler de manière productive, en sachant que leurs enfants sont bien pris en charge. Cela témoigne de ce qui est possible lorsque les secteurs public et privé unissent leurs forces pour favoriser l’innovation et ouvrir de nouveaux marchés. 

Il est important de souligner que cela n’a pas été facile. La création d’espaces appropriés pour offrir des services de garde d’enfants, l’élaboration d’un programme de formation rigoureux, la mise en place d’un soutien continu aux mamapreneurs et l’établissement de normes de qualité réalistes ont demandé beaucoup de temps et d’énergie.

Nous cherchons maintenant à tirer les leçons de ce projet pilote pour développer et libérer le potentiel de l’entrepreneuriat dans la garde d’enfants à l’échelle nationale, en République du Congo et au-delà. En unissant les forces du gouvernement, de la société civile et du secteur privé, nous avons pu créer des marchés dynamiques pour les services de garde, qui améliorent la qualité de vie de millions de personnes et leur offrent du même coup des opportunités d’emploi valorisantes.


Alessandra Heinemann

Spécialiste senior de la protection sociale

Joachim Boko

Spécialiste principal de la protection sociale

Andrea Haushofer

Consultante en protection sociale

Kathleen Beegle

Économiste senior au sein du groupe de recherche sur le développement de la Banque mondiale

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