L’industrialisation de l’Afrique doit être compétitive, connectée et créatrice de valeur.

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L’industrialisation de l’Afrique doit être compétitive, connectée et créatrice de valeur. Photo: Wesley Poon/Shutterstock

Le décollage économique de la plupart des économies aujourd’hui développées repose sur l’industrialisation, qui demeure un élément central de la transformation structurelle en Afrique. Pourtant, l’expérience africaine en la matière est inégale et inachevée.

Notre ouvrage L’industrialisation en Afrique sub-saharienne. Saisir les opportunités offertes par les chaînes de valeur mondiales, publié en 2021 dans la série L’Afrique en développement (co-publiée par la Banque mondiale et l’Agence française de développement), remettait en question le pessimisme ambiant concernant les perspectives manufacturières du continent. Nous n’avons trouvé aucune preuve solide d’une désindustrialisation prématurée – c’est-à-dire d’un déclin du secteur manufacturier à des niveaux de revenu anormalement faibles. L’Afrique a plutôt connu de faux départs et des pics partiels : des épisodes d’expansion manufacturière qui n’ont pas réussi à se transformer en croissance durable.

L’industrialisation ne s’est pas inversée, mais elle n’a pas non plus pris un ancrage solide en tant que moteur de croissance à long terme. Trop peu d’entreprises ont dépassé les activités d’assemblage à faible complexité pour accéder à des productions à plus forte valeur ajoutée permettant d’augmenter les revenus et les exportations.

Lorsque l’on examine les chiffres, ils mettent en évidence à la fois les progrès et les contraintes. En Afrique subsaharienne (ASS), l’emploi manufacturier a environ triplé depuis 2000, passant de 6 millions en 2000 à 20 millions en 2018, faisant progresser la part de l’emploi manufacturier de 7,2 % à 8,4 %.

Pourtant, la contribution du secteur au PIB a stagné, enregistrant même une légère baisse de 12,1 % à 11,5 %. Le défi n’est pas celui d’un déclin prématuré, mais celui d’une transformation inachevée : une industrialisation qui démarre, mais ne parvient pas à mûrir en une croissance cumulative et soutenue de l’emploi et de la productivité.

Figure 1: Productivité relative du travail par secteur et parts d’emploi dans certains pays africains, 2018.

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Note: La figure 1 présente, sur l’axe vertical, la productivité relative du travail des différents secteurs et, sur l’axe horizontal, leur part dans l’emploi dans 21 pays africains. Adapté de McMillan et al., 2024.

Derrière ce paradoxe se cache une structure duale. La création d’emplois se concentre dans de petites entreprises à faible productivité, tandis qu’un nombre limité de grands producteurs à forte intensité capitalistique génèrent la majeure partie de la valeur ajoutée mais n’emploient que peu de travailleurs. La plupart des nouveaux emplois proviennent de jeunes entreprises nationales, essentielles pour l’emploi mais limitées par une faible intensité capitalistique, une capacité réduite d’absorption technologique et un accès restreint au financement. Les grands exportateurs, souvent à capitaux étrangers, dominent la production et la productivité, mais demeurent faiblement intégrés aux chaînes d’approvisionnement locales.

Les emplois se créent lorsque de la valeur est ajoutée.

Nos travaux montrent que les pays qui s’intègrent plus profondément aux chaînes de valeur mondiales et régionales enregistrent une croissance plus rapide de la productivité et de l’emploi. Passer du quartile inférieur au quartile supérieur de participation accroît la productivité manufacturière d’environ 2 à 3 points de pourcentage, notamment grâce aux liaisons en amont, qui améliorent la qualité des intrants et diffusent le savoir-faire.

Chaque progression dans la chaîne – du coton au tissu, du cacao au chocolat, du lithium aux batteries – multiplie les emplois en transférant la main-d’œuvre vers des activités plus complexes et plus intensives en compétences.

Les données au niveau des entreprises confirment ce schéma. Les petites et moyennes entreprises reliées à des entreprises chefs de file par des réseaux de fournisseurs, des coentreprises ou des parcs industriels affichent une productivité plus élevée, versent de meilleurs salaires et présentent une plus grande longévité. Dans les zones industrielles d’Éthiopie, la productivité des exportateurs est plusieurs fois supérieure à celle des non-exportateurs ; des résultats similaires apparaissent dans l’agro-transformation en Côte d’Ivoire et dans les pôles de confection au Kenya.

Malgré ces progrès, nous constatons que la compétitivité en termes de salaires ne s’est pas traduite par une compétitivité en termes de valeur. La priorité des politiques publiques ne doit pas être une main-d’œuvre moins chère, mais une main-d’œuvre plus productive.

La politique industrielle doit évoluer : il ne s’agit plus seulement d’attirer des investissements, mais de cultiver des écosystèmes de compétences, d’infrastructures, de financement et de technologies permettant aux entreprises de gravir l’échelle de la valeur. Les politiques doivent mettre l’accent sur l’adoption technologique, les capacités managériales et l’apprentissage continu au sein des entreprises. La fabrication à plus forte valeur ajoutée se développe grâce à l’apprentissage, relie l’agriculture, les services et les industries extractives au sein d’écosystèmes productifs et renforce la résilience.

Les gouvernements peuvent agir sur trois fronts.

  • Premièrement, soutenir les petites entreprises grâce à la diffusion technologique, à la certification et au financement, afin d’améliorer leur productivité et la qualité de leurs produits.
  • Deuxièmement, aider les grandes entreprises à créer davantage d’emplois en renforçant les liens avec les fournisseurs locaux et en développant des écosystèmes de compétences autour des clusters et parcs industriels.
  • Troisièmement, promouvoir l’apprentissage par l’exportation en facilitant le commerce, en harmonisant les normes et en mettant en place des incitations fondées sur la performance qui récompensent l’innovation et la montée en gamme.

Priorités stratégiques : être compétitif, connecté et créateur de valeur (C3)

La production mondiale se réorganise autour de la résilience, de la régionalisation, de la durabilité et de la technologie. Ces évolutions élargissent les opportunités pour l’Afrique, mais exigent une nouvelle stratégie industrielle — une stratégie qui mise sur la compétition fondée sur la productivité et l’apprentissage, qui connecte les industries nationales aux réseaux régionaux et mondiaux de valeur, et qui crée de la valeur.

Compétitivité. La compétitivité doit reposer sur la productivité au niveau des entreprises. Les réformes doivent réduire les coûts logistiques et énergétiques, stabiliser la politique macroéconomique et éliminer les distorsions — telles que les taux de change surévalués, les infrastructures monopolisées ou des réglementations opaques — qui affaiblissent la compétitivité. Les ressources budgétaires doivent être réorientées des incitations générales vers des investissements ciblés dans les services industriels, la fiabilité énergétique et les infrastructures de qualité, qui réduisent directement les coûts de production.

Connexion. L’intégration régionale est le fondement des économies d’échelle industrielles. La mise en œuvre des accords régionaux, notamment la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), ainsi que l’harmonisation des procédures douanières, de transit et des normes, peuvent transformer des marchés fragmentés en systèmes de production régionaux. La politique industrielle doit donc intervenir simultanément aux niveaux national et régional, en synchronisant les corridors de transport, d’énergie et du numérique afin de réduire la distance effective entre les entreprises.

Créer de la valeur. La politique industrielle doit viser l’apprentissage et la montée en gamme, et non la protection. Le soutien doit être conditionnel, fondé sur la performance et limité dans le temps, lié à la réussite à l’exportation, au transfert de technologies, au développement de fournisseurs et à la création de valeur. Le succès de la politique industrielle dépend d’institutions qui encouragent la montée en puissance technologique et une concurrence orientée vers l’exportation. La nouvelle concurrence porte sur la valeur. Les pays qui combineront énergie bas carbone, échelle régionale et institutions crédibles capteront la prochaine vague d’investissements industriels mondiaux.

La prochaine phase de la politique devra insister sur la transformation des usines en systèmes d’apprentissage, sur la connexion des fournisseurs aux entreprises chefs de file et sur la capture d’une plus grande part de la valeur au niveau national.

La fenêtre d’opportunité pour les exportations à bas salaires et à forte intensité de main-d’œuvre se rétrécit à mesure que l’automatisation progresse, mais de nouvelles opportunités se développent dans les secteurs vert, numérique et à forte intensité technologique. En Éthiopie, TOYO Japan étend son usine de fabrication de cellules solaires afin d’approvisionner ses opérations aux États-Unis, preuve que l’Afrique peut accueillir des segments des chaînes de valeur mondiales vertes. En Afrique du Sud, Volkswagen et BMW élargissent leurs lignes de production de véhicules électriques pour desservir à la fois les marchés régionaux et européens, démontrant que la création de valeur — et pas seulement l’assemblage — peut avoir lieu au sein même des frontières africaines. Avec des marchés compétitifs, des infrastructures connectées et des institutions solides, l’Afrique peut devenir un pôle de fabrication à forte valeur ajoutée, créatrice d’emplois et compatible avec le climat.

L’industrialisation reste essentielle, mais seulement lorsqu’elle crée de la valeur. L’histoire de l’Afrique n’est pas celle d’un échec, mais celle d’une transformation inachevée. Le prochain chapitre doit bâtir les fondations productives pour des emplois formels, qualifiés et résilients. L’avenir de l’emploi en Afrique réside dans la fabrication à valeur ajoutée — du cacao au chocolat, du lithium aux batteries, du coton au tissu, et des données aux services numériques.

Ce billet s’inscrit dans une série commémorative marquant les 15 ans de la collection L’Afrique en développement, co-publiée par la Banque mondiale et l’Agence française de Développement.


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