À ma naissance, en 1977, je pesais à peine 2,5 kilos : un poids faible, comme les 100 000 enfants nés après la guerre. Le Viet Nam était alors dans une situation économique très difficile, qui n’épargnait pas son système de santé. Un de mes oncles est mort de la tuberculose à 40 ans. Mon grand-père, un guérisseur traditionnel, n’a pas réussi à le sauver avec des plantes médicinales, et il n’y avait ni médecin ni médicaments là où vivait ma famille. Mes parents ont quitté la campagne pour aller habiter en ville afin que leurs enfants aient un meilleur accès à l’éducation et aux services de santé.
En 1997, à vingt ans, j’ai suivi une formation en soins primaires dans un dispensaire rural, avec plusieurs autres étudiants en médecine. Les professeurs nous expliquaient que nous étions la première génération de médecins vietnamiens à recevoir une formation centrée sur les soins de premier recours. À cette époque, il y avait au Viet Nam moins de cinq médecins pour 10 000 habitants, et 75 % des communes en étaient tout simplement dépourvues. Peu de diplômés optaient pour la médecine de proximité, d’où une pénurie chronique de professionnels de santé sur le terrain.
En 2017, à quarante ans, je me rends compte que le principal obstacle à un accès universel à la santé au Viet Nam est le manque de ressources humaines . Le pays compte désormais huit médecins pour 10 000 habitants, mais la majorité d’entre eux exercent dans des zones urbaines où ne vit que 35 % de la population. Dans les 62 districts les plus pauvres, on manque de 600 médecins, et plus de 30 % des communes n’en ont aucun. Dans les centres de santé communaux, les praticiens ne sont pas en mesure de prodiguer des soins primaires de base, tels que l’évaluation des facteurs de risque et le diagnostic précoce des principales maladies non transmissibles (hypertension, diabète, cancer, etc.). Bien souvent, les patients qui souffrent de pathologies courantes ne prennent même pas la peine d’aller dans un dispensaire local, et se rendent directement à l’hôpital. Résultat : les établissements centraux et provinciaux sont surchargés. Malgré cette situation, de nombreuses écoles de médecine continuent de proposer des cursus centrés sur une pratique hospitalière.
Aujourd’hui, je me réjouis à la perspective de participer, aux côtés des membres du service des ressources humaines du ministère vietnamien de la Santé, à un projet destiné à inciter davantage de médecins qualifiés à exercer dans les zones les plus défavorisées. Ce programme a pour objectif d’envoyer au moins 300 jeunes médecins dans les 62 districts les plus pauvres pour combler le manque de personnel. Les volontaires travailleront pendant deux ou trois ans dans ces zones après avoir terminé une formation spécialisée, dans le cadre d’un contrat avec un établissement de santé central ou provincial. Par ailleurs, cette initiative promeut la responsabilité sociale chez les professionnels de santé.
C’est une formidable opportunité pour améliorer la qualité des soins primaires au Viet Nam. Géré par le ministère de la Santé et soutenu par la Banque mondiale et l’Union européenne, le Projet de formation et d’éducation en vue de réformer le système de santé a pour but d’aider les écoles d’infirmiers et les écoles de médecine à déployer des cursus visant l’acquisition de compétences. Le ministère de la Santé a récemment mis en place des programmes de formation en médecine familiale. Ces programmes, destinés à des équipes locales chargées des soins primaires, mettent l’accent sur le travail d’équipe et se déroulent en partie sur le lieu de travail. On espère ainsi parvenir à améliorer les compétences et l’environnement de travail d’environ 1 000 équipes de soins de santé primaires dans les centres communaux. Il s’agit de dispenser des soins intégrés, complets et continus aux habitants de 15 provinces, principalement pauvres et situées dans les régions montagneuses du Nord et dans les hauts plateaux du centre du pays.
En 2037, j’aurai soixante ans, et j’espère que je pourrai recourir à des services de santé près de chez moi. J’espère que ma famille et moi-même pourrons recevoir des soins continus, intégrés et complets, grâce aux professionnels de santé qui bénéficient aujourd’hui de nos investissements. Les générations précédentes ont rêvé d’une couverture de santé universelle qui ne soit pas limitée par la situation géographique ou économique. La nôtre peut remédier au manque de capital humain, pour faire de ce rêve une réalité.
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