Imaginez un camion rempli de mangues fraîches cultivées par de petits exploitants du Sri Lanka. Les fruits sont mûrs, parfumés et prêts à être exportés. Mais au lieu de partir directement vers le marché, ils sont bloqués à la frontière dans l’attente des inspections, des résultats des tests et des documents de certification. Les heures deviennent des jours. Et lorsque les mangues arrivent à destination, certaines sont abîmées ou ne répondent plus aux exigences strictes de l’importateur. Résultat ? Des pertes de revenus pour les agriculteurs, des prix plus élevés pour les consommateurs et de la nourriture gaspillée.
Le gaspillage alimentaire est aussi un gaspillage d’eau, de main-d’œuvre, de carburant et d’opportunités. Selon les estimations de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), environ 14 % des denrées alimentaires sont perdues entre leur récolte et leur vente au détail. Les aliments rejetés chaque année par les pays importateurs (a), du seul fait de problèmes sanitaires ou phytosanitaires, représentent environ 649 000 tonnes au niveau mondial, soit une valeur de près de 1,13 milliard de dollars.
Un nouveau financement de 100 millions de dollars de la Banque mondiale destiné à améliorer la productivité agricole, l’accès aux marchés et la résilience climatique aide le Sri Lanka à limiter le gaspillage alimentaire grâce au renforcement de son infrastructure nationale de la qualité (INQ). Il s’agit du système qui agit dans l’ombre pour garantir que les denrées alimentaires exportées sont sûres, traçables et conformes aux normes internationales. Cette infrastructure englobe des laboratoires de tests, des agences de certification et des systèmes numériques de suivi des produits, depuis la production jusqu’à la commercialisation.
En 2017, l’agriculture faisait vivre 2,1 millions de ménages sri-lankais et représentait plus de 26 % du PIB. Le thé, le caoutchouc, la noix de coco et les fruits de mer sont les principaux produits d’exportation, mais le pays possède également un potentiel inexploité d’exportation de fruits et légumes à plus grande valeur ajoutée, tels que la mangue, qui pourrait accroître les revenus en zone rurale et créer des emplois dans les secteurs de la transformation et de la logistique. Toutefois, il est difficile de respecter les normes internationales. Les réglementations sanitaires et phytosanitaires destinées à protéger la santé des consommateurs, l’agriculture et l’environnement peuvent devenir des obstacles au commerce si les systèmes d’inspection et de certification sont lents ou peu fiables.
Le projet intégré de développement urbain et de résilience climatique du gouvernement sri-lankais (IRDCRP), financé par la Banque mondiale, propose une solution globale à cette situation. Dans un premier temps, il s’agira de revoir les systèmes de laboratoire et de développer des outils numériques pour améliorer l’efficacité, y compris des dispositifs de traçabilité. L’objectif est de mettre les tests en adéquation avec les besoins des producteurs et des négociants, d’optimiser les dépenses d’équipement afin de fournir des services efficaces et de qualité, et d’améliorer la coordination entre les laboratoires pour limiter la segmentation et supprimer les redondances. Les outils numériques contribueront à rationaliser les processus nécessaires aux négociants pour obtenir la confirmation que les produits sont conformes aux exigences des importateurs.
Ce projet permettra de moderniser les laboratoires et les installations de test du Sri Lanka, d’améliorer la coordination entre les organismes publics et privés, de former le personnel et de moderniser les équipements. Au-delà de la technologie, il s’agit d’une question de confiance. Quand les acheteurs d’Europe ou d’Asie repèrent un produit d’exportation sri-lankais, ils veulent être certains qu’il est sûr, durable et de haute qualité. Une INQ solide permet d’instaurer cette confiance.
Les consommateurs locaux bénéficient également du projet. À mesure que l’économie sri-lankaise se développe, les études ont montré que les consommateurs sont davantage demandeurs d’aliments issus de l’agriculture durable et d’un plus grand choix de produits sains. Un système de qualité efficace garantit que les intrants de production comme les semences et les produits agrochimiques respectent les normes applicables et que les systèmes alimentaires intègrent la qualité, du champ à l’assiette.
Par ailleurs, les opérations des agences réglementaires seront dématérialisées afin d’accélérer la certification et de faciliter le suivi de la conformité. Ce point est d’autant plus important que les réglementations mondiales se durcissent et deviennent plus complexes. Par exemple, le règlement sur la déforestation de l’Union européenne (RDUE) (a) requiert de prouver que des produits exportés comme le caoutchouc ne proviennent pas de terres déboisées. De même, les acheteurs et les consommateurs étrangers exigent de plus en plus une traçabilité du champ à l’assiette pour garantir la qualité et la durabilité de denrées telles que la cannelle et le thé, deux des principaux produits d’exportation du Sri Lanka.
Les importations de denrées alimentaires font également partie de l’équation. De nombreuses familles sri-lankaises ayant du mal à se nourrir correctement, il est vital de garantir l’accessibilité, la sécurité et la qualité des produits importés. En effet, si le système de qualité est inefficace, il entraîne des coûts supplémentaires qui sont supportés par le consommateur et, dans le cas des aliments, le coût détermine l’accessibilité. Là aussi, une INQ solide est utile : elle fixe des normes claires et les communique aux producteurs et aux transformateurs de manière à ce qu’ils puissent facilement proposer des denrées alimentaires de haute qualité.
À l’instar du Sri Lanka, qui investit dans la modernisation des laboratoires, la traçabilité numérique et la rationalisation de la réglementation afin de libérer le potentiel d’exportation de cultures à forte valeur ajoutée telles que les mangues, les bananes et la cannelle, le nouveau centre de traitement antiparasitaire du Népal, situé près de Katmandou, permet d’obtenir des résultats similaires (a). En développant des systèmes permettant de certifier que les produits exportés sont exempts de parasites, le Népal est mieux placé pour accéder à des marchés de premier ordre tels que l’Australie et les États-Unis. Ces initiatives complémentaires dans toute l’Asie du Sud montrent comment des investissements ciblés dans les systèmes sanitaires et phytosanitaires, et dans les INQ, peuvent transformer le commerce agricole, fournir des aliments sûrs et accessibles aux familles, et augmenter les revenus en zone rurale grâce à un accès élargi aux marchés.
En fin de compte, le cas du Sri Lanka va bien au-delà de la seule exportation de mangues. Il s’agit de construire un système alimentaire qui soit utile à tout le monde, depuis les agriculteurs et les négociants jusqu’aux familles qui essaient de se procurer de quoi manger. C’est un exemple de la manière dont l’infrastructure, la réglementation et la politique commerciale interagissent. Il démontre que l’inefficacité d’une partie de la chaîne d’approvisionnement peut se répercuter sur l’ensemble de l’économie, en affectant les moyens de subsistance, en gaspillant les ressources et en mettant en péril la sécurité alimentaire. Et enfin, il met en évidence la valeur d’un investissement public intelligent dans des systèmes qui peuvent être invisibles pour les consommateurs, mais qui sont néanmoins essentiels.
Le financement de la partie de l’IRDCRP consacrée à l’INQ a été apporté par le Fonds fiduciaire multidonateurs FoodSystems2030 (a), par l’intermédiaire du South Asian Policy Leadership for Improved Nutrition and Growth (SAPLING) (a).
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