Entre Jim Yong Kim et Paul Romer, une conversation à bâtons rompus sur le développement

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Perspectives pour le programme mondial de développement : une conversation entre Jim Yong Kim et l’économiste en chef de la Banque mondiale, Paul Romer



Avant le début officiel et le rush des Assemblées annuelles, Jim Yong Kim et Paul Romer, le nouvel économiste en chef de la Banque mondiale, se sont retrouvés sous les projecteurs pour une conversation à bâtons rompus sur les enjeux du développement aujourd’hui. Pendant une heure, les deux hommes ont échangé leur point de vue sur les grandes menaces qui pèsent sur le monde, mais aussi sur les moyens qui permettraient d’y faire face. Les objectifs de développement sont ambitieux, et, pour les atteindre, il faudra faire preuve de créativité et d’innovation.

Jim Yong Kim et Paul Romer ont évoqué, entre autres thèmes, l’effet de l’automatisation sur l’emploi, l’importance de doter la population de compétences autres que techniques (humaines, sociales, relationnelles, etc.) ou encore la nécessité d’améliorer l’image de la recherche pratique sur le développement. Leur conversation, traduite simultanément en français, espagnol et arabe, a été diffusée en direct sur Banque mondiale Live.
 
Leur complicité intellectuelle est vite apparue évidente.
 
« Quand Paul a passé son entretien avec moi, celui-ci était censé durer entre 35 et 45 minutes. Finalement, de fil en aiguille, nous avons parlé pendant plus de deux heures. C’est comme ça que l’idée de cette conversation en public nous est venue à l’esprit », a raconté le président du Groupe de la Banque mondiale.

Jim Yong Kim a interrogé l’économiste en chef sur les « vents contraires » qui soufflent sur les pays en développement, le potentiel de croissance de l’Afrique, les besoins d’investissement dans le capital humain, et, surtout, il a voulu savoir en quoi pouvait consister, dans ces circonstances, le rôle du Groupe de la Banque mondiale. Mais, pour entrer dans le vif du sujet, le président du Groupe de la Banque mondiale a entamé la conversation par cette question : « Paul, pourquoi avez-vous accepté ce poste ? ».

« Vous savez, c’est comme quand vous inversez la valeur d’un bit, je me suis dit ‘si on te propose le job, tu le prends’ », a répondu Paul Romer, en empruntant au langage binaire de l’informatique. Il s’est dit en parfait accord avec le président du Groupe de la Banque mondiale sur la nécessité d’amplifier les innovations, en citant les travaux récents de l’institution sur les assurances contre les pandémies ainsi que sa nouvelle stratégie pour le changement climatique.

Simone D. McCourtie / World BankAutant de signes selon lui de la capacité de la Banque à relever des défis de taille, et autant de raisons qui l’ont poussé à accepter ce poste, dont il ne doute pas qu’il sera « passionnant » et lui permettra « d’apprendre beaucoup sur tous ces défis ».

Paul Romer s’est dit « optimiste » sur ce qu’il est possible de faire, tout en ajoutant que « seul l’avenir dira si nous y parviendrons ».
 
Cette conversation publique a été l’occasion de faire connaissance avec celui qui a pris ses fonctions d’économiste en chef de la Banque mondiale le 26 septembre dernier, succédant ainsi Kaushik Basu, et, avant lui, Justin Lin, François Bourguignon, Nicholas Stern, Joseph Stiglitz, Michael Bruno, Lawrence Summers, Stanley Fischer, Anne Krueger et Hollis Chenery..
 
S’agissant de la croissance économique et de ce qui pourrait permettre de la stimuler, Paul Romer a confirmé que les investissements jouaient un rôle moteur essentiel, tout en soulignant        que les entreprises privées effectuaient en réalité peu d’investissements productifs. « Nous sommes dans un contexte de forte incertitude. Et, dans ce contexte, il est assez naturel de ne pas vouloir s’engager », a-t-il expliqué.
 
Tout est question de perception, et, pour changer ces perceptions, il faut identifier les blocages. C’est ce qui permettra d’accélérer les progrès, a défendu Paul Romer. Et de citer en exemple le rapport Doing Business, dont l’origine est ancrée dans les travaux de l’économiste péruvien Hernando de Soto Polar : dans les années 80, ce dernier a montré qu’il fallait 289 jours pour monter une microentreprise de confection dans son pays. On pourrait, de façon similaire, tenter de mettre en évidence les barrages qui entravent le développement des infrastructures, a avancé le nouvel économiste en chef.
 
« Nous pouvons porter une voix différente sur ces problèmes de court terme. Les investissements, et en particulier les investissements dans l’infrastructure, peuvent rapporter beaucoup, et le moment est opportun car les taux d’intérêt sont bas. Il faut vraiment insister là-dessus. »
 
Le pessimisme ambiant qui entoure la croissance économique ne cadre peut-être pas avec la réalité, a suggéré Paul Romer.
 
« Il n’y a aucune raison pour qu’en Afrique on ne soit pas capable de déclencher une croissance de rattrapage rapide comme celle qu’a connue la Chine », a-t-il déclaré.
 
Et d’ajouter que les investissements dans le développement humain sont une condition indispensable à l’essor rapide de la croissance, et qu’ils doivent s’accompagner d’un effort de suivi des progrès accomplis dans la nutrition, l’éducation, les qualifications de la population. Il importe cependant de ne pas sanctionner trop durement les résultats inférieurs aux attentes. « Il faut un suivi précis, des enjeux limités, et fédérer les gens pour qu’ils travaillent ensemble », a insisté Paul Romer, en illustrant ses propos de plusieurs exemples qui témoignent du succès de cette démarche.
 
Selon l’ancien professeur de l’université de New York, le système scolaire n’est pas forcément la panacée pour l’acquisition de certaines connaissances et compétences, que l’on peut apprendre au contraire sur le tas, en travaillant. Chez Starbucks, par exemple, on apprend aux employés à se contrôler émotionnellement pour mieux gérer leurs relations avec la clientèle. Il s’agit, aux yeux de l’économiste en chef, d’une qualité très importante que ces employés pourront exploiter dans la suite de leur carrière.
 
Quid de l’économie du développement à la Banque mondiale « sous l’ère Romer » ?, a questionné Jim Yong Kim.
 
L’objectif est de « bâtir une culture qui valorise au plus haut point la démonstration de l’efficacité d’une méthode. Il faut que nous parvenions à un consensus en interne sur ce point, pour pouvoir ensuite envoyer ce message au monde universitaire. »
 
« Nous avons besoin, plus que tout, de connaissances utiles. »

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