Publié sur Voix Arabes

Il est temps de remettre sur pied l’enseignement public en Jordanie

Rawan Ds’as
 Une école publique en Jordanie
Photo : Rawan Da'as
Pour 2015, les résultats à l’examen de fin d’études secondaires dans les établissements publics jordaniens indiquent un échec général dans 338 écoles, soit 13 de plus que l’an dernier. Ces résultats ont été un coup de massue pour qui s’intéresse à l’éducation en Jordanie, en raison du nombre d’établissements concernés mais aussi et surtout de ce qu’ils ont révélé au grand jour, à savoir un problème de taille dans le système éducatif du pays.
 
Les écoles qui n’ont enregistré aucune réussite à l’examen représentent 27 % du nombre total d’établissements publics du secondaire, ce qui constitue un pourcentage très élevé en soi. En étudiant la répartition géographique de ces écoles, le problème apparaît comme plus complexe encore. On relève, par exemple, que dans sept départements, la proportion d’établissements en situation d’échec atteint plus de 50 %, ce taux grimpant même à plus de 75 % au Shawbak, dans le sud du pays. En gros, ces écoles se concentrent dans les régions et provinces rurales et pauvres, preuve que le problème relève fondamentalement du développement, et non de l’éducation en tant que telle. La plupart de ces régions accusent en effet des taux élevés de pauvreté et de chômage, et sont en outre défavorisées par rapport aux principaux gouvernorats, comme celui d’Amman. Ce problème n’a été décelé qu’en raison de l’intérêt inédit qu’a manifesté par le roi Abdallah II pour ces questions.
 
Il semble être lié à une évolution importante au sein du système éducatif ces quelque vingt dernières années, avec l’essor de l’éducation privée en Jordanie. D’après les statistiques, plus de 40 % des élèves de Jordanie sont aujourd’hui scolarisés dans le privé, alors qu’ils n’étaient guère nombreux au début des années 90. L’expansion de l’enseignement privé s’explique par les difficultés rencontrées par les établissements du public, notamment les problèmes de sureffectif auxquels s’ajoute depuis longtemps la médiocrité de l’enseignement de l’anglais. Cette situation a incité les parents de la classe moyenne à envoyer leurs enfants dans le privé afin qu’ils puissent y recevoir une bonne éducation. Évidemment, la qualité des établissements du privé est disparate, mais les écoles internationales, présentes en grand nombre, offrent un niveau d’enseignement élevé. La classe moyenne a ainsi progressivement privilégié les établissements du privé et, dans le même temps, les écoles publiques ont principalement accueilli des enfants issus de classes plus défavorisées et un public étranger pauvre, avec pour résultat une certaine négligence de l’enseignement public par les autorités.
 
Les programmes scolaires sont également source de préoccupation, notamment depuis l’émergence de « l’État islamique » et d’autres organisations extrémistes qui se placent sous couvert de la religion pour justifier leurs actes. L’attention s’est focalisée sur les cursus scolaires, à cause, notamment, de la place accordée à la religion à l’école : celle-ci est présente dans les manuels d’éducation religieuse, bien sûr, mais aussi dans l’enseignement de la langue arabe ou encore de l’histoire, conduisant certains à avancer qu’une telle teneur favorisait l’extrémisme. Ces questions ont mis en lumière le besoin d’une réforme fondamentale du système éducatif public en Jordanie.
 
Les plus hautes autorités du pays se disent ouvertes à une réforme de l’enseignement public, mais certains courants qui traversent la société et le ministère de l’Éducation refusent tout changement, notamment s’agissant des programmes. Le ministère de l’Éducation a organisé une conférence sur l’éducation pour discuter des aspects de cette réorganisation nécessaire, mais cette initiative a peu de chances d’aboutir, en raison de l’absence d’une vision globale sur le contenu et les modalités de cette refonte, les efforts actuels se concentrant plus sur les manifestations de la crise que sur ses fondements.
 
La réforme de l’éducation en Jordanie est devenue un enjeu prioritaire sur le plan humanitaire et sur celui du développement. Le gouvernement doit élaborer une stratégie qui reflète les objectifs, les valeurs et les aspirations du pays et de sa population, tout en se dotant des financements nécessaires. La réforme devra englober les professeurs et les aspects pratiques de l’enseignement, sans se borner exclusivement aux programmes scolaires. Il y a urgence à remettre sur pied l’enseignement public en Jordanie.

Auteurs

Dr. Musa Shteiwi

Directeur du Centre d’études stratégiques de l’Université de Jordanie

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