Publié sur Voix Arabes

Tourisme dans la région MENA : les répercussions du conflit au Moyen-Orient

Marché arabe du souk Al Seef Heritage. Dubaï Deira, Émirats arabes unis. (Shutterstock.com/Caroline Erickson) Marché arabe du souk Al Seef Heritage. Dubaï Deira, Émirats arabes unis. (Shutterstock.com/Caroline Erickson.

Le tourisme dans la région MENA, un levier essentiel pour l’économie

Le tourisme est un moteur essentiel de l’économie de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) et constitue depuis longtemps un pilier de sa croissance. Selon les estimations, il a contribué en 2023 à hauteur de 6,7 % du PIB total du Moyen-Orient et de 8,1 % à celui de l’Afrique du Nord. Avant 2020, des destinations comme Bahreïn, l’Arabie saoudite et Oman ont enregistré une croissance à trois chiffres des recettes touristiques, illustrant ainsi le rôle central du secteur dans la création d’emplois et les entrées de devises.

Malgré les profondes perturbations liées à la COVID19, qui a frappé de plein fouet les marchés mondiaux du voyage, le Moyen-Orient a été la seule région à dépasser ses niveaux touristiques prépandémie en 2023. Les données des neuf premiers mois de 2024 montrent que la région MENA reste en tête de la croissance du tourisme mondial, surpassant de nombreuses autres régions tant en termes d’arrivées internationales que de recettes globales. Cette reprise témoigne de la résilience du secteur lorsque gouvernements et entreprises agissent rapidement et de manière coordonnée.

Toutefois, l’escalade du conflit dans la région depuis octobre 2023 a posé de nouveaux défis, ralentissant ce qui aurait pu être une reprise encore plus rapide du secteur touristique en MENA. Dès le début des hostilités, le Travel Sentiment Score (indice de confiance des voyageurs) pour le Moyen-Orient a chuté à des niveaux inédits depuis les premiers jours de la pandémie. Plusieurs compagnies aériennes et croisiéristes ont suspendu certaines liaisons, tandis que de nombreux gouvernements étrangers ont émis des avertissements déconseillant les voyages dans les zones touchées par le conflit.

Au cours de l'année qui a suivi le début du conflit, les données mettent en évidence un impact contrasté (voir figure 1).

The World Bank

 

En Égypte, par exemple, les recettes ont continué d’augmenter, passant de 14 milliards à 14,7 milliards de dollars sur cette période, mais la croissance a ralenti. Parallèlement, les recettes de la Jordanie ont enregistré une baisse d’environ 3 % en glissement annuel depuis le début du conflit, illustrant la difficulté à maintenir la dynamique préexistante dans un contexte de préoccupations sécuritaires accrues. Au Liban, bien que les données disponibles restent limitées, les premières indications suggèrent un impact négatif sur les recettes en devises, en raison de l’intensification des hostilités au second semestre 2024.

Une analyse plus approfondie des arrivées de passagers aériens révèle la réapparition de « deux MENA » (une divergence entre les pays du CCG et les autres pays de la région), les effets du conflit touchant de manière disproportionnée les sous-régions les plus proches des zones de tension, en particulier les économies du Moyen-Orient non-membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Malgré cela, la région MENA a enregistré une croissance annuelle estimée à 7 % des arrivées de passagers. Toutefois, les pays du Moyen-Orient hors CCG ont été plus directement affectés, enregistrant une croissance mensuelle négative d’octobre 2023 à octobre 2024. À l’inverse, les économies des pays du CCG et de l’Afrique du Nord ont maintenu une croissance positive, bien qu’à un rythme plus modéré.

Au cours des neuf premiers mois de 2024, les pays du Moyen-Orient hors CCG ont accueilli 2,3 millions de visiteurs européens de moins par rapport à la même période en 2023, tandis que l’Afrique du Nord en a attiré 2,75 millions de plus (voir figure 2). Ce phénomène pourrait traduire un effet de substitution, les voyageurs privilégiant des destinations en Afrique du Nord qui offrent des expériences similaires tout en étant plus éloignées du conflit. Par ailleurs, la structure du tourisme au sein des pays semble également avoir évolué. En Jordanie, bien que la fréquentation étrangère ait globalement diminué entre janvier et septembre 2024, certaines destinations comme Pétra et le mont Nébo ont connu des baisses plus marquées. En revanche, des sites tels qu’Ajloun et les quatre principaux musées du pays, situés près d’Amman, ont gagné en popularité relative, reflétant l’évolution des préférences des touristes au cours de cette période.

Figure 2 : Estimation du nombre de passagers aériens à destination du Moyen-Orient (hors CCG ; à gauche) et de l'Afrique du Nord (à droite), en glissement annuel, T1-T3 2024

 

Figure 2 : Estimation du nombre de passagers aériens à destination du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord

Source : Analyseur de trafic OAG, 2025

 

Le renforcement de la résilience du secteur du tourisme est devenu une priorité collective pour les gouvernements de la région MENA. Pour y parvenir, nos principales recommandations sont les suivantes :

  • Communiquer les risques de manière plus transparente : une communication claire et crédible sur les conditions de sécurité peut contribuer à restaurer la confiance des voyageurs.

  • Renforcer la coopération régionale : une coordination du marketing et de la gestion des crises peut transformer la réputation de la région MENA, en veillant à ce que les conflits ne dissuadent pas les visiteurs de se rendre dans des zones autrement stables.

  • Promouvoir le tourisme national et régional : comme observé en Égypte après le Printemps arabe, les marchés locaux peuvent aider à amortir le choc d’un ralentissement du tourisme récepteur. 

  • Investir dans l’infrastructure et la diversification du tourisme : la modernisation des aéroports, des routes et des sites touristiques peut renforcer la compétitivité à long terme, tandis que l’expansion de l’offre touristique réduit la vulnérabilité aux chocs affectant un marché unique.

L’accent devra être mis sur le changement d’image de marque, l’investissement dans la coopération régionale et l’amélioration de la planification en cas de crise afin de renforcer la résilience du secteur et de préserver les acquis récents. Le renforcement des mesures de sécurité et la prise en compte des avertissements aux voyageurs peuvent jouer un rôle clé dans le rétablissement de la confiance des touristes. Dans les pays sortant d’un conflit, une approche proactive — en particulier en partenariat avec des acteurs et institutions internationaux — peut favoriser un rebond rapide du tourisme après un choc.

Des analyses complémentaires sont disponibles dans les rapports de la Banque mondiale sur le tourisme résilient (a) et la reprise du secteur touristique après une pandémie (a). Pour en savoir plus sur la performance du secteur touristique et les enjeux politiques associés, consultez le rapport trimestriel de Tourism Watch (a).


Alex Pio

Spécialiste senior du tourisme, Banque mondiale

Gianluca Mele

Économiste principal, Banque mondiale

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