Covid-19 : Gérer l’impact sur les systèmes éducatifs dans le monde

Une salle de classe vide en Inde. © Banque mondiale Une salle de classe vide en Inde. © Banque mondiale

Fin février, alors que sonnait la mobilisation générale face à l’accélération de la propagation du Covid-19 dans le monde, la Banque mondiale a institué un groupe de travail mondial plurisectoriel pour accompagner les réponses et les mesures prises face à la crise. À ce moment-là, seule la Chine et une poignée d’autres pays touchés imposent des mesures de distanciation sociale en fermant les écoles. À peine deux semaines plus tard, 120 pays ont décrété la fermeture des établissements scolaires pour des durées variables, affectant ainsi le quotidien de près de 1 milliard d’élèves dans le monde.

World Bank Education COVID-19 Monitoring (as of March 18th)
World Bank Education COVID-19 Monitoring (as of March 18th)

À l’instar de ce que nous avons pu observer lors de précédentes urgences sanitaires, notamment avec les épidémies d’Ebola, l’impact de Covid-19 sur l’éducation devrait être particulièrement dramatique dans les pays affichant déjà de faibles résultats d’apprentissage, d’importants taux de décrochage scolaire et une résilience limitée aux chocs.  Si la fermeture des écoles semble être une décision logique pour imposer la distanciation sociale dans la population, cet éloignement tend à avoir dans la durée un impact négatif disproportionné sur les élèves les plus fragiles: à la maison, les possibilités d’apprendre sont limitées et leur présence peut fragiliser la situation économique des parents, contraints de trouver des solutions durables de prise en charge ou de compenser la disparition des repas scolaires.

Les avancées obtenues au prix de gros efforts pour étendre l’accès à l’éducation pourraient marquer le pas, voire s’inverser avec la fermeture prolongée des écoles, sachant que les solutions alternatives (l’apprentissage à distance notamment) seront inaccessibles pour les ménages privés de moyens de connexion. Résultat, les pertes de capital humain pourraient s’aggraver et l’accès aux débouchés économiques diminuer.

La dimension la plus inquiétante du problème tient au fait que la majorité des pays à faible revenu (en Afrique subsaharienne par exemple) ne signalent encore que peu (voire aucun) cas de contamination pour l’instant. Cela crée des incertitudes pour l’organisation des services et les mesures d’anticipation. Difficile d’affirmer quelles sont les bonnes décisions à prendre dans ces pays: doivent-ils à titre préventif imposer des mesures strictes au risque de plomber leur croissance économique ou ont-ils plutôt intérêt à attendre, même si cela revient à laisser le virus se propager ? Agir sans disposer de tous les éléments en main menace l’activité de tous les secteurs, y compris éducatif.

Les solutions envisageables

La propagation du virus et le confinement d’un pays pourraient servir de laboratoire d’essai idéal pour des interventions technologiques en appui à l’éducation à distance. Malheureusement, rares sont les systèmes éducatifs à être totalement prêts pour affronter cette situation. La Chine fait partie des exceptions, qui a réussi, malgré la fermeture des écoles, à maintenir l’éducation grâce à internet et l’enseignement à distance. Tous les pays et systèmes scolaires ne sont pas aussi bien préparés. L’accès des ménages à la technologie est variable et la probabilité de bénéficier du haut débit ou d’avoir un smartphone est liée au niveau de revenu, même dans les pays à revenu intermédiaire. Les programmes capables de cibler au plus vite ceux qui en ont le plus besoin sont donc absolument vitaux.

Les interventions éducatives en période de crise peuvent accompagner les mesures de prévention et le redressement des systèmes publics de santé tout en atténuant les effets négatifs sur les élèves et l’apprentissage.  Là où l’on manque d’infrastructures sanitaires, les écoles peuvent se transformer en centres de prise en charge temporaires. Tout cela doit être intégré dans la planification, en particulier pendant les étapes de gestion de la crise et de reprise. Rappelons aussi que l’éducation peut protéger les enfants et les jeunes : elle leur permet d’affronter la situation ou de préserver une certaine normalité et, partant, de se remettre plus rapidement avec, idéalement, un bagage enrichi (par des compétences d’apprentissage à distance ou une maîtrise accrue des outils numériques, par exemple). En outre, dans les environnements peu dotés en capacités — et notamment sur de larges pans du territoire subsaharien — les écoles rurales représentent souvent la seule présence tangible et durable de l’État et peuvent, avec les moyens du bord, devenir des centres de réponse à la crise. Les enseignants, souvent les personnes les plus instruites dans ces régions difficiles à atteindre, peuvent être formés pour assurer le suivi des contacts et relayer les campagnes de communication.

La réaction des différents pays

Nos pays clients sont nombreux à déployer des stratégies différentes. En voici quelques exemples:

  • Amélioration des dispositifs de préparation avec maintien des établissements scolaires ouverts: déploiement et accompagnement des mesures préventives dans les écoles (Afghanistan); mise en place de protocoles pour permettre aux écoles de gérer les malades et les cas suspects (Bélarus, Égypte, Russie); mobilisation des infrastructures et des ressources humaines éducatives pour endiguer la propagation du virus (Libéria, Sierra Leone) ; limitation des contacts physiques en réduisant les activités sociales et extrascolaires (Russie, Singapour);
  • Fermeture ciblée d’établissements scolaires: ayant fait le choix d’isoler les zones de traitement, certains gouvernements ont décrété à titre provisoire des fermetures ciblées d’écoles (Inde). Dans la moitié des exemples à ce jour, ces approches circonscrites sont ensuite étendues (Australie, Brésil, Canada, Inde);
  • Fermeture de tous les établissements scolaires d’un pays (la solution la plus fréquente actuellement): avec la propagation du virus, de nombreux pays annoncent la fermeture de toutes les écoles. Beaucoup craignent de voir les enfants et les jeunes, a priori moins touchés par le virus et avec un taux de létalité bien inférieur à celui des adultes, se transformer en vecteurs de la maladie avec, à la clé, le risque de contaminer les membres plus âgés de la famille là où la cohabitation intergénérationnelle est la règle;
  • Recours aux ressources pédagogiques à distance pour atténuer l’érosion des apprentissages: de nombreux pays se tournent vers l’apprentissage à distance pour rattraper les heures d’apprentissage perdues (enseignement en ligne à 100 % en Allemagne, Arabie saoudite, Chine, Italie, France ; utilisation des téléphones portables ou de la télévision en Mongolie et au Viet Nam). En plus de l’existence des infrastructures et des capacités de connexion, la maîtrise des outils et des processus par les enseignants et les personnels administratifs est au cœur de la solution d’enseignement à distance (Singapour). D’autres pays poursuivent l’apprentissage à travers les devoirs à la maison (Liban). En Bulgarie, plus de 800 000 comptes ont été créés pour les enseignants et les parents, tandis que les éditeurs ont été incités à mettre à disposition des manuels et des supports d’apprentissage numériques pour les élèves de la première à la dixième année, sachant que deux chaînes nationales de télévision diffuseront des programmes éducatifs. À mesure que les écoles ferment, les pays devront faire preuve d’inventivité pour participer aux efforts d’atténuation : adaptation des plateformes existantes aux smartphones ou négociation d’accords avec les entreprises de télécommunication pour rendre gratuit l’accès au site du ministère de l’éducation, par exemple.

Les perspectives

A Cyclical Approach to education in emergencies
A Cyclical Approach to education in emergencies

Comme les pandémies précédentes, la crise du Covid-19 nous rappelle l’importance de la phase de préparation. Parmi tous les scénarios envisagés, plusieurs tablent sur une propagation du virus par vagues, ce qui signifie de mettre en place des mesures cycliques. Les pays encore épargnés doivent engager la phase d’« anticipation », en élaborant un plan de riposte. Ils seront ainsi mieux armés lorsque débutera la phase de « gestion », avec des mesures visant à atténuer les effets négatifs de la crise. Le plan peut notamment préconiser l’introduction de protocoles de dépistage dans les écoles, l’organisation de campagnes de sensibilisation aux règles d’hygiène, la fermeture des écoles, l’accès à l’apprentissage à distance, l’utilisation des écoles fermées comme centres d’urgence, etc.

Une fois l’urgence passée, les communautés pourront entrer dans la phase de « reprise », à travers la mise en place de politiques et de mesures gouvernementales pour rattraper le temps perdu. Cela peut conduire à ajuster le calendrier scolaire, accorder la priorité aux élèves ayant une échéance importante en fin d’année et organiser en parallèle retour en classe et enseignement à distance. Les pays confrontés à des crises répétées et ayant démontré leurs capacités de résilience, comme en Asie de l’Est, sont les mieux à même de tirer les leçons du passé et de réagir à la situation actuelle. Ils ont su exploiter cette dynamique pour se préparer à une nouvelle crise, investir et renforcer les systèmes pour l’avenir.

Nous devons tous nous mobiliser pour tirer, ensemble, les enseignements des épidémies précédentes (SRAS, Ebola, etc.) et aider les gouvernements à identifier les options disponibles. La Banque mondiale accompagne ses clients à chacune de ces trois étapes : anticipation, gestion et reprise. Les gestionnaires de l’éducation et les décideurs devraient voir dans cette crise l’occasion d’introduire de nouvelles méthodes d’apprentissage accessibles à tous, afin de se préparer à une nouvelle situation d’urgence et rendre le système plus résilient.

Kaliope Azzi-Huck et Tigran Shmis sont les coordinateurs du groupe de travail de la Banque mondiale sur le Covid-19.


VOIR AUSSI : L'actualité du Groupe de la Banque mondiale face à la pandémie de COVID-19


 


Auteurs

Kaliope Azzi-Huck

Chargée principale des opérations, Pôle mondial d'expertise en Éducation de la Banque mondiale

Tigran Shmis

Spécialiste principal en éducation

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