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Le riz, source d’opportunités en Côte d’Ivoire n°4 : La difficile recherche de moulins prometteurs

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La difficile recherche de moulins prometteurs La difficile recherche de moulins prometteurs

Identifier des moulins de riz capables d’agir comme catalyseurs pour augmenter la production de riz paddy de qualité provenant des petits producteurs, est un des premiers défis dans le développement d’une chaîne de valeur inclusive.

Comptant sur plus de dix ans d’expérience dans le développement de la chaîne de valeur du riz, en Côte d’Ivoire et ailleurs en Afrique, notre consortium CIDR/CPMI-DER s’est donc mis à identifier des entreprises de transformation de riz prometteuses, susceptibles de jouer ce rôle, dans chacune des trois zones d’intervention du projet pilote.

Cela s’est avéré plus difficile que prévu. Très peu de moulins se sont révélés être à la hauteur et avoir l’envie et la capacité de pouvoir jouer le rôle de catalyseurs régionaux de la culture du riz. Mais, certains se sont montrés étonnamment dynamiques. Voici ce que nous avons découvert :

Beaucoup de moulins, peu de riz blanc de qualité

Près de 80 % du riz paddy en Côte d’Ivoire est transformé dans les villages, par de petits moulins qui opèrent en grande partie en tant que prestataire de service pour le compte des riziculteurs et de commerçants. La qualité de transformation laisse souvent à désirer, avec beaucoup d’impuretés restantes, y compris des petites pierres.

Pour pouvoir accéder aux marchés urbains et vendre à un prix plus élevé, il faut un riz de qualité, et en quantité suffisante, capable de concurrencer le riz importé. Seuls les moulins un peu plus grands, avec une capacité de transformation de riz paddy d’au moins 1 tonne par heure, ont le plateau technique adapté pour y parvenir.

En Côte d’Ivoire, il y en a 300 ; dans les trois régions d’intervention du projet pilote, il y en avait une vingtaine. Mais leur niveau d’interaction avec les petits producteurs, cibles de notre projet d’inclusion économique, est de manière générale plutôt faible. Et ils diffèrent énormément dans leurs capacités techniques, leurs capacités de gestion et leurs capacités de commercialisation.

Une filière à faible niveau de structuration et de compétitivité

Pour sélectionner les moulins avec qui le projet pilote travaillerait, notre diagnostic s'est concentré sur les unités de transformation identifiées lors d’un recensement effectué en 2018. Ce recensement avait identifié quatre moulins au Bafing, quatre au Tonkpi et six au Poro comme étant relativement performants. Nous avons examiné minutieusement ces 14 moulins en fonction de plusieurs critères d’évaluation : 

  • les aspects de la gouvernance ;
  • le pilotage stratégique ;
  • les relations avec les producteurs et la gestion des approvisionnements ;
  • la gestion de la transformation ;
  • la gestion administrative, comptable et financière ;
  • la gestion commerciale et le marketing ;
  • et la gestion des ressources humaines.

À la surprise générale, seulement un moulin au Tonkpi et deux au Poro étaient à même de jouer le rôle souhaité par le projet pilote, et aucun dans le Bafing. Cela nous a amené à étendre le diagnostic à la région du Tchologo, afin de remplacer celle du Bafing. Mais le constat y était le même : aucun moulin ne remplissait les conditions minimales pour pouvoir réellement jouer un rôle catalyseur.

La majeure partie des moulins implantés en Côte d’Ivoire pratique la prestation de service et décortique du riz « tout venant » pour des commerçants qui n’ont pas d’exigence sur la qualité du riz paddy, ou qui n’ont pas les moyens ou la volonté de fournir des services aux producteurs, tels que la fourniture d’intrants de qualité et de conseils techniques pour améliorer la qualité du riz paddy et ainsi la compétitivité de la filière.

En même temps, avec l’intensification de la concurrence entre les moulins et la baisse des marges de prestation de service qui en résulte depuis quatre à cinq ans, l’esprit des gérants des moulins commence à changer.

Un nouveau type d’entrepreneurs qui vise le changement

Guidés par le souci d’améliorer la rentabilité de leur moulin, les trois entrepreneurs retenus ont développé une stratégie quasi-identique : passer d’une entreprise de « prestation de décorticage » à une entreprise de production et de commercialisation de riz blanc de qualité. Ces entrepreneurs ont perçu le goût du consommateur ivoirien en milieu urbain, pour le riz local. Pour capter ce marché, les moulins doivent répondre à l’exigence de qualité en mettant un riz blanc propre et homogène sur le marché.

La qualité du riz blanc dépend grandement de la qualité du riz paddy, d’où leur volonté d’établir des relations partenariales durables avec les producteurs de riz. Développer une riziculture contractuelle avec une politique de prestation de services est « utile » pour les riziculteurs et « gagnant » pour le moulin. Les services envisagés par les entrepreneurs sont la fourniture d’intrants de qualité, et des conseils techniques.

Ces services auront un effet gagnant-gagnant : ils permettront aux riziculteurs d’augmenter les rendements, de passer d’une riziculture « vivrière » à une riziculture « marchande », d’augmenter la rentabilité de la riziculture et les revenus. De même, cette nouvelle stratégie permettra aux moulins de riz de sécuriser des approvisionnements de riz paddy en quantité et en qualité, et de réduire les coûts d’approvisionnement relatifs.

Les trois entreprises retenues disposent à la fois d’un niveau de départ prometteur et d’une vision de changement de la culture de production de riz. Ils peuvent être au cœur des efforts d’approvisionnement d’une clientèle exigeante dans les zones urbaines et de diminuer la dépendance de la Côte d’Ivoire vis-à-vis des importations de riz.

Comme ils sont plus proches des petits riziculteurs que les grandes entreprises de transformation, ces trois moulins ont été choisis comme catalyseurs par le projet pilote, afin d’améliorer l’inclusion économiques des ménages les plus pauvres dans les zones ciblées. Le projet pilote concentrera donc ses appuis sur ces trois moulins de capacité moyenne et les riziculteurs qui opèrent dans leurs zones d’influence.

Ce billet est le quatrième d’une série de blogs analysant les raisons et les moyens de développer la chaîne de valeur du riz afin d’améliorer les opportunités d’emploi pour les populations rurales de Côte d’Ivoire. Le projet pilote est entrepris par un consortium d'acteurs, notamment le Projet des Filets Sociaux Productifs de la Côte d’Ivoire, l’Agence pour le développement de la filière riz (ADERIZ), le Centre international de développement et de recherche(CIDR), le Centre de promotion de la micro-industrie et du développement rural (CPMI-DER), l’Institut de microfinance UNACOOPEC-CI, l’université catholique de Louvain, et le pôle Emploi de la Banque mondiale.

 

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Le riz, source d’opportunités en Côte d’Ivoire n°4 : La difficile recherche de moulins prometteurs


Auteurs

Eric Levoy

Expert en développement économique locale et en promotion des entreprises agroalimentaires

Dotianga Konate

Expert en développement rural

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