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Tenir l’océan à distance : combattre l’érosion côtière avec la Rivière de sable d’Afrique de l’Ouest

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Je me rappelle très bien la première fois que j’ai vu le littoral du Togo en 2013 et combien j’avais alors été choqué par la gravité de son érosion. Le gouvernement togolais m’avait invité à me rendre à Lomé, où j’ai collaboré à un projet de gestion des risques de catastrophes naturelles. L’objectif du voyage n’était pas précisément d’observer l’érosion côtière, mais les agents du ministère nous ont conduits dans les zones les plus touchées. Le voyage fut aussi instructif qu’inquiétant.

Le Togo compte 56 km de côtes, où se trouvent entre autres les villes d’Agodéké, de Bagida et d’Aného, toutes situées à l’est de Lomé. Il est évident que la mer envahit les terres, en emportant tout sur son passage — comme si un cyclone ou un tremblement de terre avait semé la désolation dans la région. L’érosion du littoral est certes une conséquence naturelle de l’avancée progressive de la mer à l’intérieur des terres, mais le rythme de cette avancée dépend de nombreux facteurs liés à la quantité de sédiments transportés par les courants océaniques. Bien entendu, l’activité humaine peut accélérer l’érosion.

J’ai séjourné près de la frontière du Ghana, une région où les habitants de Lomé passent souvent leur week-end. À cet endroit, on ne constate aucune érosion et la plage est vaste. En fait, il est étonnant de constater, dans cette partie de la zone côtière proche des quartiers ouest de la capitale, un phénomène inverse à celui de l’érosion : l’accrétion littorale, c’est-à-dire l’accumulation de sédiments dans les zones côtières.

Nous nous sommes demandé s’il était possible de mettre en place un mécanisme permettant de transporter le sable d’ouest en est, afin d’aider la zone côtière située à l’est de Lomé à reconstituer ses stocks de sable. Plus facile à dire qu’à faire, d’un point de vue scientifique ! Nous devions tout d’abord comprendre la contribution des modes de sédimentation aux phénomènes d’érosion et d’accrétion sur le littoral togolais, s’agissant notamment du transport des sédiments par les courants océaniques et leur dépôt dans les zones côtières.

Les côtes togolaises sont un des nombreux sites d’érosion sensibles du golfe de Guinée. Les populations des pays voisins — Bénin, Côte d’Ivoire et Ghana — sont également confrontées à ce problème. En fait, ces pays se partagent une même « rivière de sable » qui ignore les frontières. Il convient donc d’élaborer des plans de développement nationaux en gardant à l’esprit, à l’échelle régionale, que l’érosion côtière est régie par des échanges, surtout dans le contexte de l’élévation du niveau de la mer.

L’étude « Rivière de sable » en Afrique de l’Ouest

À l’aide des financements du Programme de partenariat pour l’eau (fonds fiduciaire de la Banque mondiale), les responsables du Programme de gestion du littoral ouest-africain — également connu sous son acronyme anglais « WACA » pour West Africa Coastal Areas Program — se sont efforcés d’établir un bilan sédimentaire à grande échelle pour protéger le littoral d’Afrique de l’Ouest. Intitulée A Quantitative Assessment of Human Interventions and Climate Change on the West African Sediment Budget, cette étude a été confiée à l’institut Deltares, organisme indépendant de recherche appliquée dans le domaine de l’eau, des deltas, des régions côtières et des bassins fluviaux. Selon Alessio Giardino, chef de projet chez Deltares, l’écosystème d’îles-barrières de l’Afrique de l’Ouest est maintenu en place par un intense transport littoral de sable, provoqué par l’action des vagues et comparable à une « rivière de sable ». Ce sable provient des fleuves et de vastes dépôts de sable côtiers.

Le littoral ouest-africain se compose principalement d’une étroite bande côtière de faible élévation couvrant plusieurs milliers de kilomètres. De grandes villes, dont Abidjan, Accra, Lomé et Contonou, se sont développées sur ces zones basses d’arrière-cordon. Elles connaissent une croissance rapide et ont besoin d’infrastructures durables, mais leur stabilité dépend du transport littoral de sable que nous appelons « rivière de sable ». Or, les taux de recul côtier les plus élevés — de l’ordre de dix mètres par an ou davantage — sont souvent observés dans les zones les plus urbanisées. Ainsi que l’élévation du niveau de la mer, ce phénomène altérera la barrière côtière si aucune mesure de lutte contre l’érosion n’est prise.

Aujourd’hui, une grande partie du sable est retenue par les barrages fluviaux ou bloquée par les jetées portuaires. C’est pourquoi la barrière sablonneuse du littoral s’érode en divers endroits.

L’étude se concentre sur la quantification d’un bilan sédimentaire à grande échelle pour la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin. Ce bilan consiste à évaluer les quantités de sable qui se déplacent le long de la côte à l’intérieur de la « rivière de sable », qui sont déversées par les fleuves dans le système côtier ou retirées du système en raison de l’exploitation minière, ou qui sont bloquées par des structures construites par l’homme.

L’étude analyse aussi les effets du changement climatique sur la capacité de transport de sédiments à grande échelle à l’aide de travaux de modélisation réalisés à partir de l’accroissement actuel de l’intensité des tempêtes, de l’évolution de la direction des vagues et de l’élévation du niveau de la mer.  

Les auteurs de l’étude Deltares ont dressé un bilan sédimentaire quantitatif et cohérent à grande échelle pour aider la région à analyser les conséquences des décisions qu’elle prendra à l’avenir en matière de développement. À l’aide d’un outil de modélisation unique, conçu pour la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin, ils ont réalisé la première étude quantitative sur de déplacement du sable d’un bout à l’autre de la côte de la « rivière de sable ». L’outil de modélisation permet aussi de comprendre les conséquences des nouvelles interventions humaines ainsi que les répercussions de la modification des infrastructures existantes.

L’étude révèle que l’élévation du niveau de la mer pourrait, selon le scénario le plus pessimiste, devenir la première cause d’érosion en Afrique de l’Ouest d’ici à la fin du siècle. Elle montre aussi que les pouvoirs publics et les promoteurs doivent accorder une attention particulière à la viabilité des grands ports. Les effets de ces infrastructures — tels que l’érosion “sous le vent” — sont plus importants qu’on ne le pensait et se font parfois sentir jusqu’à cinquante kilomètres le long de la côte. Cet impact peut être ressenti aussi par les pays voisins. 
 
Nous espérons que cette étude contribue à promouvoir un partage systématique des connaissances et un travail de sensibilisation parmi les pays concernés tandis que nous continuons nos activités de concertation et nos ateliers de validation.

Un outil de consultation de documents en ligne a été mis à disposition du public pour faciliter la collecte de données et la communication entre les acteurs locaux. L’observation des zones côtières permettra à l’Afrique de l’Ouest d’améliorer sa connaissance de la force du vent et des vagues et de l’incidence à long terme de ces phénomènes sur le littoral. Grâce au programme WACA, les pays disposent de données de meilleure qualité pour étayer les décisions qu’elles doivent prendre sur les questions touchant au littoral.
 
 
 
 

Auteurs

Miguel Antonio Toquica Onzaga

Spécialiste en gestion des risques de catastrophes naturelles, Banque mondiale

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