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Fragilité et pauvreté en Afrique subsaharienne : les deux faces d’une même médaille

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[Ce billet a également été publié en anglais sur le site de l’ISPI]

En 1990, environ la moitié de la population d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud et les deux tiers des habitants d’Asie de l’Est et Pacifique vivaient dans l’extrême pauvreté (définie selon un seuil d’environ 2,15 dollars actuels par jour). Au cours des trois décennies qui ont suivi, ces trois régions ont connu des trajectoires de développement sensiblement différentes : en 2019, 35 % de la population d’Afrique subsaharienne vivait encore dans l’extrême pauvreté, tandis que les taux avaient chuté à 9 % en Asie du Sud et 1 % en Asie de l’Est et Pacifique.

Pourquoi l’Afrique subsaharienne est-elle restée à la traîne ? Comment expliquer la lenteur de ses progrès contre la pauvreté ?

 

Les conflits, de puissants freins au développement

Les situations de fragilité, conflit et violence (FCV), ou, plus généralement, l’absence de paix et de sécurité, sont l’un des principaux obstacles à la réduction de la pauvreté en Afrique subsaharienne. Dans la première liste mondiale des pays FCV établie par la Banque mondiale pour l’année 1998, 13 sur 24 se trouvaient en Afrique subsaharienne (54 %, soit un peu plus de la moitié). Et, selon les données les plus récentes, cette liste compte désormais six États africains de plus, soit 19 sur 37 pays au total (encore environ la moitié). Même avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, le monde avait connu une montée progressive de la violence concentrée en grande partie en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA). Or, ces deux régions du monde affichent non seulement le plus grand nombre de pays fragiles dans le monde, mais aussi les pires résultats en ce qui concerne les tendances de l’extrême pauvreté. Depuis 1998, 30 pays d’Afrique subsaharienne sur 48 (soit près des deux tiers) ont figuré au moins une fois dans la liste des pays en situation de fragilité, conflit et violence ; au Moyen-Orient et Afrique du Nord, sept pays étaient dans ce cas-là sur les 14 que compte la région (soit la moitié).  L’extrême pauvreté diminue lentement en Afrique subsaharienne et elle augmente dans la région MENA — une hausse marquée toutefois par des niveaux de pauvreté plus faibles et sujette à un plus grand degré d’incertitude en raison d’un manque de données récentes pour de nombreux pays du Moyen-Orient.

Outre leurs graves répercussions sur le bien-être de la population, les conflits freinent la capacité d’un pays à poursuivre sa trajectoire de développement et à éliminer la pauvreté. Ils entraînent des pertes en vies humaines (capital humain) et des dommages matériels (capital physique), bridant ainsi l’investissement, la croissance et la réduction de la pauvreté (a). Les conflits sapent la confiance des investisseurs dans l’économie (a) et entraînent des dépenses militaires qui pourraient être évitées (a). Ils déstabilisent l’activité économique (a), perturbent l’approvisionnement en denrées et augmentent les risques d’insécurité alimentaire et de famine (a). Dans les périodes de troubles politiques ou civils, les populations fuient pour se réfugier dans les pays voisins (a) ; les déplacements et les transports sont restreints (a), la confiance et le capital social mis en pièces (a)... Les individus sont en proie à la peur et la panique (9), sans espoir d’une vie meilleure. Tous ces facteurs vont à l’encontre de la liberté, de la paix et de la stabilité nécessaires à la réduction de la pauvreté.

 

Le cercle vicieux de la pauvreté et de la fragilité

La figure 1 tend à indiquer que l’absence de paix augmente les risques de pauvreté en Afrique subsaharienne. En 1998, tous les pays FCV de la région étaient des économies à faible revenu, tandis que les pays non-FCV se répartissaient entre économies à revenu intermédiaire et économies à faible revenu. La République démocratique du Congo, le Burundi, la République centrafricaine et le Libéria sont les seuls pays qui ont figuré sans interruption sur la liste FCV depuis 1998. Ils accusaient un taux moyen d’extrême pauvreté de 73 % en 1998, tandis que les autres pays à faible revenu affichaient un taux moyen de 44 %, contre 56 % pour l’ensemble des pays à faible revenu hors FCV. En 2019, ces quatre pays enregistraient encore un taux d’extrême pauvreté de 58 %, soit près du double des taux moyens des autres économies à faible revenu et de l’ensemble des économies à faible revenu hors FCV (34 % et 39 %, respectivement).

Figure 1 : Fragilité et pauvreté en Afrique subsaharienne

Et si c’était la pauvreté (et les inégalités) qui expliquait l’absence de paix en Afrique subsaharienne ? Des études ont montré que les risques de conflit sont accentués par l’accumulation de griefs (a), et on sait que des ressentiments naissent au sein d’une population quand des individus ou des groupes d’individus sont défavorisés socialement, politiquement ou culturellement (a). Les conflits sont plus probables lorsque ces inégalités sont d’origine ethnique, religieuse ou territoriale (a). De fait, la grande diversité ethnique et culturelle de l’Afrique subsaharienne (a) accroît la propension aux conflits.

Le graphique montre une corrélation négative entre la catégorie de revenu d’un pays et sa situation de fragilité, ce qui vient soutenir l’idée selon laquelle la pauvreté alimente les conflits. Mais il est important de souligner que cette corrélation n'est pas systématique : huit pays ont toujours été des économies à faible revenu, mais ne faisaient pas partie des pays FCV en 2019. En outre, deux d’entre eux — le Rwanda et l’Ouganda — n’ont jamais figuré sur la liste FCV depuis que celle-ci existe. En réalité, pauvreté et fragilité s’entretiennent mutuellement et créent un cercle vicieux (a) dont il est difficile de sortir.

D’autres combinaisons de facteurs pourraient expliquer les niveaux élevés de pauvreté et de fragilité en Afrique subsaharienne, tels que le faible niveau d’instruction, les fortes inégalités dans le domaine de l’éducation et le manque d’emplois décents. L’amélioration de l’éducation (ODD 4) et des possibilités d’emploi (ODD 8) pour tous apparaissent donc comme des axes d’action prioritaires en Afrique subsaharienne pour permettre à la région d’échapper à la spirale de la pauvreté et de la fragilité. Une société plus instruite tend à être plus tolérante, tandis que l’accès à l’éducation et à l’emploi constitue le premier gage de sortie de la pauvreté. Cependant, ces mesures s’inscrivent dans une perspective de plus long terme et leur efficacité repose sur la paix et la stabilité.

Les auteurs adressent leurs plus vifs remerciements au gouvernement britannique pour son soutien financier dans le cadre du programme de recherche « Data and Evidence for Tackling Extreme Poverty » (DEEP).

Auteurs

Samuel Kofi Tetteh Baah

Consultant, Groupe de recherche sur l’économie du développement, Banque mondiale

Christoph Lakner

Économiste senior, Groupe de gestion des données sur le développement, Banque mondiale

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