Publié sur Opinions

Augmenter les recettes publiques en temps de crise

© Jonathan Ernst/World Bank © Jonathan Ernst/World Bank

Les multiples crises qui frappent les pays en développement aujourd’hui sont un revers majeur pour le développement. La guerre en Ukraine et les vagues de COVID-19 ont provoqué une envolée des prix des denrées alimentaires, des engrais et de l’énergie, ce qui a contribué à des taux d’inflation élevés et à la hausse des taux d’intérêt ainsi qu’au risque de stagflation.  

À l’échelle mondiale, l’envolée des prix des aliments et de l’énergie a amplifié les risques d’insécurité alimentaire, de malnutrition et de famine, frappant le plus durement les plus pauvres du monde alors que les ménages démunis avaient déjà supporté le plus lourd fardeau de la pandémie. Rien qu’en 2020, le nombre de personnes vivant sous le seuil d’extrême pauvreté (moins de 2,15 dollars par jour) a augmenté de plus de 70 millions, soit la plus forte progression depuis 1990. Et la situation de nombre de celles qui vivaient déjà dans l’extrême pauvreté s’est encore aggravée. Les familles vulnérables ont également subi les plus grands revers en matière de santé et d’éducation. En effet, 70 % environ des enfants des pays à revenu faible et intermédiaire sont en situation de pauvreté des apprentissages, ce qui signifie qu’ils sont incapables de lire ou de comprendre un texte simple à l’âge de dix ans.  

En outre, les défis à long terme liés notamment aux changements climatiques et démographiques deviennent plus critiques, et leurs impacts économiques et budgétaires plus importants. Au Pakistan, les récentes inondations ont fait plus de 1 500 morts (a) tandis que les sécheresses font des ravages dans la Corne de l’Afrique (a) et en Amérique du Sud (a), affectant la production alimentaire et d’hydroélectricité et plongeant des millions de personnes dans une grave insécurité alimentaire. 

En raison de ces multiples crises, de nombreux pays en développement ont enregistré de fortes pertes de recettes, creusant ainsi les besoins de financement pour atténuer les répercussions sur les familles et les entreprises vulnérables. En conséquence, la situation budgétaire de la plupart des pays en développement s’est encore détériorée. Plus de la moitié des pays à revenu faible et intermédiaire de la tranche inférieure qui peuvent prétendre à un financement de l’IDA – le fonds de la Banque mondiale pour les pays les plus pauvres – courent désormais un risque élevé de surendettement ou sont déjà surendettés. 

Cette situation creuse les déficits massifs et croissants de financements qui permettraient aux pays de s’engager sur la voie d’un développement vert, résilient et inclusif (a). 

Dans ces conditions, comment les pays peuvent-ils réduire ces importants déficits de financement et s’assurer une marge de manœuvre budgétaire indispensable, d’autant que la hausse des taux d’intérêt augmente le coût du service de la dette ? 

Premièrement, l’amélioration de la capacité des pays à mobiliser efficacement des ressources sera essentielle pour rétablir la viabilité de leurs finances et de leur dette.  

Sous l’effet de la pandémie de COVID-19, les recettes fiscales ont diminué de 12 % en termes réels dans le monde en 2020, et de 15 % dans les pays à revenu faible ou intermédiaire de la tranche inférieure.  Les gouvernements doivent trouver les moyens les plus efficaces d’accélérer le recouvrement des recettes tout en protégeant les pauvres et les personnes vulnérables, en réduisant la charge sur l’investissement et la compétitivité et en favorisant un développement vert, résilient et inclusif.   

Le contexte actuel de forte inflation offre aux pays l’occasion de revoir et de rendre leurs systèmes fiscaux moins sensibles à ce phénomène. En indexant différentes composantes des impôts directs et indirects, les gouvernements pourraient mieux atténuer l’impact de l’inflation sur les groupes à faibles revenus  tout en veillant à maintenir le niveau des recettes fiscales nécessaires. Ils pourraient pour cela introduire des droits d’accises spécifiques, des seuils d’exemption de l’impôt sur le revenu des personnes physiques ainsi que des mécanismes de déductions et de crédit d’impôt.  

Collecter davantage de recettes, mais surtout plus de façon plus équitable, est un objectif central de l’approche de la Banque mondiale en matière de mobilisation des ressources domestiques. Nous ne saurions trop insister sur l’importance des réformes qui élargissent l’assiette fiscale et améliorent la justice et l’équité. Il s’agit notamment de renforcer l’imposition de sources souvent sous-taxées, telles que les transactions numériques, la propriété et la richesse. Rationaliser les dépenses fiscales et rendre la taxation plus progressive en passant des impôts indirects aux impôts directs sont d’autres exemples de mesures positives. Des taxes liées à l’environnement et à la santé devraient aussi être envisagées, car elles peuvent inciter à la transition indispensable vers les énergies renouvelables et un mode de vie plus sain. Enfin, il est nécessaire de remédier aux faiblesses du système international d’impôt sur les sociétés afin de réduire le dumping fiscal, de combattre l’évasion fiscale et de renforcer la lutte contre la fraude en la matière.  

Deuxièmement, il est primordial de réformer les incitations fiscales et les subventions.  

Pour atténuer l’impact des prix élevés de l’énergie et des denrées alimentaires, de nombreux pays du monde entier ont introduit ou augmenté les subventions. Cependant, celles-ci sont souvent mal ciblées. Ainsi, la moitié des dépenses consacrées aux subventions à l’énergie dans les économies à revenu faible et intermédiaire bénéficient aux 20 % les plus riches de la population, qui consomment le plus d’énergie.  

En revanche, les programmes de transfert en espèces sont en général plus efficaces pour atteindre les groupes les plus vulnérables, 60 % des dépenses consacrées à ces transferts allant aux 40 % les plus pauvres de la population. 

Rien qu’en revenant sur les subventions aux combustibles fossiles et à l’agriculture, il serait possible de dégager jusqu’à 1 200 milliards de dollars de fonds. Il serait plus efficace de réorienter ces ressources vers la protection des plus vulnérables, tout en soutenant les réformes structurelles qui renforcent la sécurité alimentaire et la transition vers des sources d’énergie plus durables.  

À la Banque mondiale, nous estimons qu’une mobilisation des recettes plus efficace et mieux ciblée est essentielle pour parvenir à une croissance plus inclusive, plus résiliente et plus durable. Nous sommes fermement déterminés à soutenir les pays dans la poursuite de ces objectifs.  


Auteurs

Qimiao Fan

Directeur, Stratégie et opérations

Marcello Estevão

Directeur mondial, Macroéconomie, Commerce et Investissement

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