Publié sur Opinions

Cap sur la protection sociale universelle

A woman sells goods in an African market. Photo credit: Shutterstock A woman sells goods in an African market. Photo credit: Shutterstock

Alors que le monde se relève lentement de la COVID-19, le moment est tout indiqué pour faire le point sur la manière dont la riposte à la pandémie a affecté le domaine de la protection sociale , et pour définir de nouvelles priorités stratégiques. L'histoire nous enseigne que les crises accélèrent souvent les progrès en matière de protection sociale grâce à une meilleure perception de son importance, aux leçons tirées des déficiences révélées par la crise et aux savoir-faire développés à l’occasion de la riposte. Et tout cela est vrai dans le cas de la COVID-19.

C'est dans ce contexte que la Banque mondiale publie une mise à jour de sa stratégie pour la protection sociale et l'emploi (a). Ce document servira de boussole pour guider notre action auprès des pays pour tirer les leçons de la pandémie et, surtout, pour bâtir progressivement des systèmes de protection sociale universelle qui les aideront à mieux protéger et soutenir leur population à l'avenir, en commençant toujours par les plus pauvres et les plus vulnérables.

La COVID-19 a déclenché une multitude de mesures de protection sociale, mais l'engagement des pays reste fragile

La pandémie de COVID-19 a constitué un puissant facteur d'accroissement de l'attention portée à la protection sociale à l'échelle mondiale. Au cours de la période 2020-2021, les pays du monde entier ont mis en œuvre près de 4 000 mesures de protection sociale pour en contrer l'impact économique (a). À eux seuls, les transferts monétaires ont aidé environ 1,4 milliard de bénéficiaires, soit une personne sur six à travers le monde. La Banque mondiale a doublé les financements qu’elle consacrait à la protection sociale avant la COVID-19 et a alloué plus de 14 milliards de dollars à 60 pays, dont 16 en situation de fragilité et de conflit, touchant ainsi plus d'un milliard de personnes dans le monde. 

Malgré cette riposte sans précédent et les nombreuses innovations qu'elle a générées, la rapidité, l'ampleur et la portée de l'aide sociale ont été très variables selon les pays. Nombre d'entre eux ont eu des difficultés pour répondre aux besoins du secteur informel, où les systèmes de prestation étaient souvent incapables d'atteindre ce « chaînon manquant » de la distribution des revenus.

En définitive, il n'est pas certain que les évènements de ces dernières années inciteront durablement les pays à s'engager davantage en faveur de la protection sociale. 

Certains signaux sont inquiétants. Au moment même où les pays commençaient à se relever de la pandémie, ils ont été frappés par un autre choc mondial majeur, à savoir la flambée des prix des denrées alimentaires et de l'énergie. Là encore, les pays ont réagi (a). Mais alors que la réponse à la pandémie reposait en grande partie sur des programmes de transferts monétaires ciblés, ce sont bien plus des subventions souvent non ciblées, en particulier les subventions aux carburants, à l'alimentation et aux services publics, qui ont été privilégiées. De telles mesures peuvent s'avérer utiles, mais elles sont en général beaucoup moins progressives et efficaces que d'autres solutions.

Bâtir des systèmes de protection sociale universelle pour faire face aux chocs futurs

Dans ces conditions, quels conseils pouvons-nous donner aux responsables politiques pour les aider à éviter ces écueils ? En résumé, aujourd'hui plus que jamais, les pays doivent mettre en place des systèmes de protection sociale universelle (a). Les chocs risquent de devenir plus fréquents à mesure que les économies et les sociétés évoluent sous l’effet de tendances mondiales de long terme comme les mutations de la nature du travail, les changements démographiques, les dérèglements climatiques ou encore les situations de conflit et de fragilité.

Or ces phénomènes ont des répercussions sur la manière dont les pays organisent leurs systèmes de protection sociale. Dans un système universel, les programmes dans les domaines de l'aide sociale, de l'assurance sociale et du marché du travail devraient fonctionner ensemble, de manière intégrée.  L'objectif est de garantir que tous les individus peuvent obtenir un soutien efficace et adapté quand ils en ont besoin, tout en leur permettant de résister à ces chocs répétés et de se constituer des moyens de subsistance solides et durables.

Nous avons recensé cinq grands domaines stratégiques d'intervention pour aider les pays à réaliser cet objectif :

  • Premièrement, pour concevoir des systèmes de protection sociale universelle financièrement et politiquement viables, les pays doivent définir une vision à plus long terme pour le secteur, afin de guider le renforcement de leurs institutions et de leurs programmes. La clarté de cette vision peut aider les gouvernements à progresser vers l'universalité de la protection sociale de manière cohérente et progressive, et à éviter de prendre des mesures qui pourraient compromettre sa concrétisation.
  • Deuxièmement, étant donné l'ampleur des lacunes actuelles, il est nécessaire d'étendre considérablement la couverture réelle des programmes de protection sociale pour répondre aux différents besoins de l'ensemble de la population. À cet égard, nous insistons à la fois sur l'élargissement du soutien dans les zones fragiles et touchées par des conflits et sur la nécessité de faire en sorte que les programmes tiennent compte des besoins spécifiques de nombreux groupes qui se heurtent à des obstacles pour y accéder.
  • Troisièmement, les pays doivent mettre en place des programmes plus résilients, adaptatifs et dynamiques. Ils pourront ainsi tirer parti des progrès importants réalisés ces dernières années en matière de protection sociale adaptative, en se concentrant davantage sur la capacité des systèmes à s'adapter aux chocs particuliers qui affectent les individus et les ménages ainsi que, plus largement, les communautés.
  • Quatrièmement, il est nécessaire d'améliorer de manière significative la portée et la qualité des programmes axés sur l’inclusion économique et l’emploi. Pour les millions de travailleurs pauvres qui occupent des emplois peu productifs et peu protégés, et pour ceux qui sont totalement exclus du marché du travail, de tels programmes représentent une aide indispensable pour accéder à de meilleures opportunités économiques et pour augmenter leurs revenus. 
  • Enfin, la concrétisation progressive de la protection sociale universelle exigera d'y consacrer un budget beaucoup plus conséquent. Il ne fait aucun doute que l'augmentation de l'efficacité des dépenses actuelles devrait être un élément clé, ce qui pourra supposer des choix difficiles en ce qui concerne les programmes existants. En outre, de nombreux pays devront mobiliser beaucoup plus de ressources nationales, à la fois au moyen d'une réforme de la fiscalité et en travaillant avec les bailleurs de fonds pour améliorer la cohérence des dépenses.

L'expérience des dernières années offre aux pays qui œuvreront dans ces cinq axes d’action une occasion sans précédent d'atteindre un nouvel équilibre, porté par un engagement plus ferme en faveur d'une protection sociale plus étendue et efficace, qui repose sur une vision à long terme et fondée sur des éléments probants. C'est ce travail qui peut lancer la transformation de leur vision de la protection sociale universelle en réalité. La Banque mondiale est impatiente d'œuvrer à la concrétisation de cette entreprise capitale, de concert avec ses pays clients et ses partenaires multilatéraux et bilatéraux à travers le monde. 


Auteurs

Michal Rutkowski

Directeur, Protection sociale et Emploi, Banque mondiale

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