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Utiliser les infrastructures fibres optiques alternatives pour rendre plus accessible le haut débit en MENA

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Les réseaux dorsaux terrestres (« backbones ») de fibres optiques sont stratégiques pour la compétitivité des territoires et l’implantation des entreprises dans certaines régions. De nombreuses études montrent en effet qu’il y a une très forte corrélation entre le degré de diffusion du haut débit dans un pays et la croissance, la création d’emplois et l’amélioration du niveau de vie. Plus les réseaux backbones terrestres seront capillaires et sécurisés, plus la région Moyen Orient et Afrique du Nord (MENA) sera attractive pour les entreprises.

Or, si elle est effectivement bien desservie par les câbles sous-marins intercontinentaux, ce sont les réseaux dorsaux terrestres qui viennent à y manquer. Tous les territoires à l’écart des grandes villes n’ont pas accès de manière généralisée et dans de bonnes conditions à l’internet haut débit. Un tel décalage renforce le risque d’une nouvelle fracture numérique.

Les technologies mobiles (3G et 4G/LTE) sont rapidement montées en puissance comme principales technologies d’accès au haut débit. Le volume de données échangées atteint aujourd’hui les limites des infrastructures backbone existantes qui reposent principalement sur une technologie d’ondes radio.

Autre exemple : dans la sous-région d’Afrique du Nord, il existe un seul câble fibre optique terrestre (« Ibn Khaldoun ») reliant quatre pays : Maroc, Algérie, Tunisie, Lybie. Exploité par les opérateurs de télécommunications historiques de ces pays, il est aujourd’hui essentiellement utilisé pour transporter du trafic voix.

Le déploiement de la technologie fibre optique dans les territoires se révèle donc indispensable.

Mais un tel déploiement est couteux, et prend du temps. Des infrastructures fibres optiques alternatives, souvent déjà déployées par des sociétés de service public telles que les compagnies d’énergie ou de transport, et leur utilisation par les opérateurs de télécommunications traditionnels pourraient permettre d’accélérer le déploiement de backbones fibres optiques.

En Tunisie, par exemple, la Société de l’Électricité et du Gaz (STEG), les Autoroutes de Tunisie et la Société nationale des Chemins de Fer Tunisiens (SNCFT) disposent de plusieurs milliers de kilomètres de fibres optiques posées le long des lignes électriques, des autoroutes ou des voies ferrées qui desservent les différentes régions du pays. Comme le réseau de la STEG dessert les gouvernorats situés les plus à l’ouest, il constitue un important complément au réseau de fibre optique déployé par Tunisie Télécom pour accroître rapidement la couverture Internet haut débit du pays.

Facile à dire me direz-vous. Mais concrètement, plusieurs problèmes doivent être résolus pour favoriser l’utilisation rapide des capacités excédentaires de ces câbles de fibres optiques :

  • Le manque de sécurité juridique. Il est souvent nécessaire de revoir le cadre juridique existant pour permettre aux sociétés de service de public de donner accès à leurs capacités fibres excédentaires, et d’en préciser les conditions notamment en termes de non-discrimination et de transparence. Il faut aussi confirmer la capacité des autorités de régulation à réguler ces infrastructures alternatives aux fins de garantir un environnement favorable à la mise en place d’une concurrence juste et efficace sur le marché du haut débit.
  • L’attribution des licences. Les sociétés de service public devraient pouvoir mettre à disposition leurs capacités excédentaires, soit en proposant aux opérateurs de télécommunications traditionnels des fibres non utilisées (« fibres noires »), soit en se positionnant comme opérateur d’infrastructures avec une gamme plus riche de services. Au Maroc, la compagnie nationale d’électricité (ONE) commercialise des fibres noires depuis 2007, y compris vers l’Espagne sur un câble fibre optique posé le long de la ligne haute tension traversant le détroit de Gibraltar. Un autre modèle a été adopté par Finetis (filiale du groupe français Marais) qui a obtenu une licence d’opérateur d’infrastructures pour déployer 2000 km de fibres optiques le long du réseau marocain d’autoroutes (ADM) et les commercialiser auprès des opérateurs de télécommunications.
  • Le déploiement concerté de nouvelles infrastructures / coordination des travaux de génie civil. Même dans les cas où la capacité excédentaire en fibres optiques est limitée, une meilleure coordination avec les sociétés de service public dans la réalisation des travaux de génie civil peut contribuer à baisser significativement les coûts de l’extension des backbones fibres optiques. Une approche globale pourrait comprendre des dispositions réglementaires imposant la coordination des travaux de génie civil, la mise en place d’une base de données sur les travaux de génie civil programmés, des recommandations pour le partage des coûts de génie civil entre les différents acteurs, et des lignes directrices pour la négociation d’accords de co-déploiement et la résolution d’éventuels litiges y afférant.

Les infrastructures fibres optiques alternatives peuvent également contribuer à la mise en place d’un réseau régional sécurisé, avec des routes terrestres alternatives et ouvertes à tous les acteurs du secteur. Par exemple, dans la sous-région du Golfe, la GCC Interconnection Authority (GCCIA) est une société créée par les six pays concernés (Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Koweït, Oman, Qatar) pour l’interconnexion électrique transfrontière. Cette GCCIA commercialise de la capacité excédentaire sur son infrastructure fibre optique auprès des opérateurs traditionnels de télécommunications.

Interconnecter les infrastructures fibres optiques alternatives existantes nationales permettrait de réaliser un backbone reliant tous les pays d’Afrique du Nord. Ceci améliorera la sécurisation des liens inter-Maghreb ainsi que leur qualité dans la perspective du développement attendu du trafic haut débit et des Centres de données (Data center). Ceci contribuera aussi à l’attractivité globale de la sous-région, en cohérence avec les ambitions des populations, des acteurs économiques et des gouvernements.


Auteurs

Michel Rogy

Conseiller pour les politiques TIC

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