Un trésor mondial sous pression
Le Bassin du Congo est au cœur de nombreuses préoccupations, car il abrite la deuxième plus vaste forêt tropicale humide au monde, et joue un rôle majeur dans la régulation du climat mondial, la sauvegarde de la biodiversité et le maintien des moyens de subsistance de millions de personnes comme indiqué dans un nouveau rapport de la Banque mondiale sur les comptes écosystémiques forestiers du bassin du Congo et les recommandations politiques. Les forêts de la région stockent plus de 90,9 milliards de tonnes de carbone, soit dix fois les émissions mondiales annuelles de CO₂ du secteur de l’énergie, ce qui fait du bassin l’un des puits de carbone naturels les plus importants de la planète. La région se classe également parmi les plus riches au monde en matière de biodiversité : elle offre un refuge à diverses espèces et régule les précipitations en Afrique centrale.
Pourtant, ce capital mondial vital est menacé. La perte de forêts a presque doublé entre 2010 et 2020 par rapport à la décennie précédente, en raison de l’évolution de l’agriculture, des infrastructures et des pressions croissantes sur les terres. Même si les six pays du bassin – le Cameroun, la République centrafricaine (RCA), la République démocratique du Congo (RDC), la République du Congo, le Gabon et la Guinée équatoriale – restent parmi les pays les plus riches en forêts au monde, ces tendances de dégradation signalent l’urgente nécessité d’actions et de solutions tournées vers l’avenir
Un bilan mitigé : entre progrès et pressions
Dans un contexte de pressions croissantes, la situation au niveau national est contrastée. Avec un couvert forestier supérieur à 70 %, la République du Congo, la Guinée équatoriale et le Gabon ont démontré une capacité remarquable à préserver leurs forêts. Le Gabon, en particulier, a atteint un taux de déforestation exceptionnellement faible – seulement 0,6 % – grâce à des politiques de conservation volontaires, ce qui en fait l’un des rares pays classés dans la catégorie Haute densité forestière et faible taux de déforestation (HFLD, de son acronyme anglais). D’autres pays, en revanche, sont confrontés à des taux plus élevés de recul de leurs forêts. La RDC a perdu environ 6 % de son couvert forestier entre 2000 et 2020, tandis que le Cameroun en a perdu environ 4 % sur la même période. Ces tendances soulignent le besoin urgent de solutions adaptées à chaque pays et tournées vers l’avenir, afin de maintenir l’intégrité de ce biome essentiel à l’échelle mondiale.
Libérer le potentiel de la nature : prendre en compte les écosystèmes forestiers pour un avenir durable
Les écosystèmes forestiers du bassin du Congo ne sont pas seulement des atouts écologiques, ce sont aussi des moteurs économiques. Ils fournissent de la viande de brousse, du bois de chauffe et du bois d’œuvre, ils retiennent le carbone et régulent l’eau, soutenant ainsi les moyens de subsistance des communautés et les économies nationales. La diversité et l’ampleur de ces services écosystémiques soulignent l’importance d’une gestion plus durable des ressources forestières. Pourtant, une grande partie de cette valeur n’apparaît pas dans les comptes nationaux, ce qui contribue à un manque d’investissement dans la protection des forêts.
Pour combler cette lacune, la Banque mondiale a initié le développement de comptes sur les écosystèmes forestiers des six pays du bassin du Congo. Dans leur ensemble, les forêts représentent un atout naturel d’une valeur de plus de 23 200 milliards de dollars en 2020, fournissant des services écosystémiques évalués à 1 150 milliards de dollars par an. Au niveau national, la République du Congo tire près de 7,4 % de son PIB des services écosystémiques forestiers, tandis qu’en RCA, cette part dépasse 15,4 %. Au Cameroun, l’intégration des services écosystémiques forestiers a contribué à faire passer l’épargne nette ajustée d’une valeur négative à une valeur positive. Ces comptes ont été élaborés non seulement à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle provinciale, afin de saisir la diversité des conditions et des défis forestiers dans l’ensemble des territoires. Un tel niveau de précision permet aux décideurs politiques de cibler les interventions, de trouver un équilibre entre conservation et développement, et de s’assurer que les valeurs forestières sont prises en compte dans les décisions de planification. Ces comptes du capital forestier constituent une base solide pour la diversification économique ; ils renforcent la capacité des pays à exprimer la contribution réelle de leurs forêts dans les politiques nationales et les négociations internationales sur le financement de l’action climatique.
Plutôt que de se contenter de produire des diagnostics rétrospectifs, la comptabilité du capital naturel peut être exploitée comme un outil prospectif pour guider la gestion des ressources, stimuler la diversification économique, attirer des investissements et débloquer des sources de revenus durables
Le capital naturel au cœur du développement
Les comptes des écosystèmes forestiers transforment d’ores et déjà le dialogue et le paysage politique dans le bassin du Congo. Ils contribuent à la mise à jour des notes sur la situation économique, notamment dans le récent rapport de la Banque mondiale sur les pays de la CEMAC et le rapport sur la situation économique régionale, qui ont mis en évidence la gestion durable des forêts comme pilier de la croissance. En intégrant la valeur des forêts dans la planification et la budgétisation nationales, les gouvernements peuvent renforcer la stabilité budgétaire, mobiliser les investissements verts et élargir l’accès à de nouveaux financements, par le biais des marchés du carbone, des crédits pour la biodiversité et des financements climatiques fondés sur les résultats.
Vue aérienne de la forêt tropicale du bassin du Congo, où les rivières et les forêts constituent une ressource vitale pour des millions de personnes, tout en jouant un rôle clé dans le stockage du carbone, indispensable à la stabilité du climat mondial. Crédit : guenterguni/iStock par Getty Images.
Rehausser le débat : un appel à l’action mondiale
À l’approche de la COP 30 à Belém, les pays du bassin du Congo disposent, pour la première fois, de données solides pour mener le dialogue et les négociations sur le financement de l’action climatique, les marchés du carbone et les paiements pour services écosystémiques. Ces données probantes changent les termes du débat mondial : les pays dotés d’importantes ressources forestières sont en mesure de défendre plus vigoureusement une compensation équitable pour leur contribution dans le maintien de la stabilité de la planète. Mais le succès dépendra de politiques nationales audacieuses, d’une forte capacité de financement axé sur les résultats et de partenariats régionaux efficaces. Les institutions telles que la Commission des Forêts d'Afrique centrale (COMIFAC) et la CEMAC, ainsi que des efforts comme l’Initiative pour les forêts d’Afrique centrale (CAFI), joueront un rôle central pour traduire les données en actions tangibles.
Pour relever le défi, il est nécessaire d’accélérer la phase suivante. Le bassin du Congo doit être au cœur des initiatives émergentes telles que le Fonds « Tropical Forest Forever Facility », (Mécanisme pour la préservation durable des forêts tropicales), qui cherche des solutions de financement à long terme pour les forêts tropicales du monde. Mais ces efforts ne suffisent pas. Un impact durable nécessitera un appui coordonné et renforcé de la part des partenaires au développement, du secteur privé et de la communauté mondiale au sens large, à la mesure de l’importance du bassin du Congo pour la planète.
Un bien commun mondial
Le bassin du Congo n’est pas seulement la forêt de l’Afrique, c’est un bien commun mondial. Préserver son avenir, c’est repenser la valeur de la nature et placer les forêts au cœur du développement durable. Avec les bons investissements et partenariats, le bassin peut stabiliser le climat, préserver la biodiversité, créer des emplois et transformer la conservation en un moteur de croissance inclusive.
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LIEN UTILE
Publication: Comptes des écosystèmes forestiers du bassin du Congo et recommandations politiques: rapport régional de synthèse sur l'étendue, l'état, les services et les comptes d'actifs des écosystèmes 2000-2020 (Télécharger le rapport)
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