Publié sur Voix Arabes

Moyen-Orient et Afrique du Nord : mieux que des subventions, des transferts monétaires uniformes

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La région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) a tendance à subventionner l’achat de biens de consommation, en particulier l’alimentation, l’eau et l’énergie. Mais les aides souvent mises en place pour protéger les personnes démunies ou vulnérables ne sont guère efficaces contre la pauvreté. En vérité, elles profitent surtout aux classes moyenne et supérieure, comme cela a clairement été établi pour les subventions énergétiques.

Même en ce qui concerne les denrées alimentaires, on observe en général une déperdition considérable des subventions en faveur de ceux qui n'en ont pas besoin. En Égypte, où le dispositif atteint la plupart des habitants pauvres ou vulnérables ainsi que des groupes à revenu moyen, le ciblage de ces aides s’est amélioré. Cependant, plus de la moitié des ménages situés dans la tranche des 20 % les plus riches continue à en bénéficier. En Tunisie, les ménages les plus aisés perçoivent trois fois plus d’aides pour l’alimentation et l’énergie que ceux les plus démunis.

En outre, les subventions entraînent une baisse artificielle des prix, source de considérables distorsions économiques. Par exemple, alors que les cours mondiaux des céréales sont actuellement élevés, un prix du pain maintenu artificiellement bas engendre une demande plus forte et une surconsommation. De plus, les subventions sur les denrées alimentaires induisent une affectation inappropriée d’investissements destinés à la production et favorisent l’apparition de marchés parallèles. Quant aux subventions relatives à l’eau et à l’énergie, elles envoient aux consommateurs comme aux entreprises un message qui ne les incite pas à réduire leur dépendance vis-à-vis de ces produits. Cela nuit à la compétitivité économique ainsi qu’à l’adoption de technologies plus propres et de meilleur rendement.

Les subventions représentent une lourde charge budgétaire, que l’augmentation des cours internationaux va encore aggraver. De plus, elles privent de ressources publiques déjà limitées des secteurs aussi prioritaires que la santé et l’éducation. L’Égypte, par exemple, consacre environ 1,4 % de son PIB à son programme de subventions alimentaires et 2,6 % aux subventions énergétiques (Examen des dépenses publiques sociales et FMI, données 2020). En 2021, l’État tunisien a dépensé environ 1,7 % de son PIB en subventions alimentaires et 2,5 % en subventions énergétiques (ministère des Finances, 2022).

Malgré les failles des dispositifs de subventions, les responsables politiques sont peu enclins à entreprendre des réformes en la matière, et ce, notamment parce que les citoyens peinent à en comprendre le bien-fondé. Selon un argument fréquemment entendu, supprimer les subventions entraînerait des émeutes. Sachant que ceux qui en bénéficient le plus sont les plus nantis, et qu’ils savent se faire entendre et organiser des manifestations, on comprend les réticences des gouvernants.  

Il est cependant possible de rendre une réforme acceptable, même aux yeux de la classe moyenne. Cela consisterait notamment à remplacer les subventions par des transferts monétaires au bénéfice de (presque) tous les citoyens. Cette solution, facile à expliquer et relativement simple à mettre en œuvre, a l’avantage d’être progressive (les personnes à bas revenus sont proportionnellement plus aidées). Et, contrairement aux allocations réservées aux populations pauvres et vulnérables, ces transferts généralisés répondraient aux attentes de la classe moyenne.

Lorsqu’associées à un débat public et à des campagnes de communication visant à expliquer la nécessité d’un changement, ces réformes voient augmenter leurs chances de succès. Par ailleurs, l’adoption d’un système de transferts universels favoriserait la bancarisation, puisque les bénéficiaires doivent être titulaires d’un compte en banque pour pouvoir recevoir les versements. Enfin, une fois en place, un tel dispositif faciliterait la mise en œuvre d’autres réformes, concernant par exemple l’adoption de taxes carbone, ou de taxes sur le tabac ou le sucre.

Ces idées n’ont rien de nouveau. Dans une publication récente (a), la Banque mondiale examine les résultats du revenu minimum universel, objet de nombreuses études (a). Dans la région MENA, l’Iran s’est déjà lancé dans la réforme (a) : le gouvernement iranien a annoncé en 2010 la suppression d’une grande partie des subventions sur l’énergie et le pain, mais en contrepartie et avant même le lancement de la réforme, il avait versé 445 000 rials iraniens (40 dollars en 2011, soit 90 dollars en parité de pouvoir d’achat) sur le compte en banque de toute personne enregistrée, qu’il soit préexistant ou ouvert à cette occasion. 

Le versement a été disponible le jour même de l’entrée en vigueur de la réforme, de façon que la réduction des subventions coïncide avec les compensations. Cette réforme a été largement acceptée, malgré les hausses de prix : 400 % pour l’essence et 900 % pour le diesel, tandis que le prix du pain a été multiplié par deux. Mais comme la réforme appliquée en 2010 ne comportait pas de mécanisme d’ajustement automatique des prix, les subventions ont réapparu. C’est pourquoi, en mai de cette année, les autorités iraniennes ont relancé le dispositif, en limitant cette fois les transferts monétaires aux neuf premiers déciles.

L’exemple iranien démontre qu’une réforme des subventions, accompagnée de compensations adéquates, peut rencontrer l’approbation de la population dans son ensemble, et qu’une fois les infrastructures ad hoc en place, ces mesures peuvent être appliquées à plusieurs reprises. Avec un égal succès, la Jordanie a mis en œuvre en 2015 des réformes comparables, assorties de larges compensations au bénéfice des deux tiers des ménages les plus pauvres. D’autres pays de la région MENA devraient s’inspirer de ces réussites et envisager le recours à des compensations importantes et de court terme, susceptibles de faire accepter une réforme des prix.

Il est toujours tentant de renvoyer à plus tard les décisions difficiles. Mais suite à la COVID-19, les caisses des États sont mises à rude épreuve et, compte tenu de la hausse mondiale des prix de l’alimentation et des combustibles, nombre de pays n’ont plus le luxe de se passer d’une réforme des dépenses publiques. Les transferts monétaires universels offrent une solution réaliste pour sevrer les économies de la région MENA de leur dépendance aux subventions.


Auteurs

Federica Alfani

Consultante au sein de la pratique mondiale sur la pauvreté et l'équité , Banque mondiale

Maria Eugenia Genoni

Économiste, pôle Pauvreté et équité, Banque mondiale

Johannes Hoogeveen

Responsable mondial pour les États fragiles et touchés par un conflit

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