À l'image de nombreuses administrations fiscales à travers le monde, les processus de contrôle fiscal en Arménie ont longtemps été réalisés manuellement, avec un recours limité à l'automatisation. C'est dans ce contexte que la Commission des recettes de l’État (SRC), qui dispose de vastes bases de données historiques, a engagé des travaux exploratoires sur les possibilités offertes par l'intelligence artificielle (IA).
Résultat : l'Arménie expérimente actuellement l'utilisation de l'IA afin de renforcer la discipline fiscale et la gestion des risques et de mieux détecter la fraude. Avec le soutien de la Banque mondiale, la SRC a collaboré avec l’Université américaine d’Arménie (AUA) au développement des compétences et des capacités nécessaires à l’utilisation d’un outil d’administration fiscale boosté à l’IA.
Cette adoption précoce de l’IA offre des enseignements précieux pour d’autres pays désireux d'explorer l’application de l'IA dans les services publics. Voici six conseils clés pour réussir cette entreprise :
1. Identifier des leaders capables de favoriser le changement. En Arménie, la réforme a été impulsée par le président de la SRC, pour qui la priorité n’était pas tant de se laisser guider par les seules avancées technologiques que de trouver des solutions à des problèmes concrets. Cet engagement de haut niveau et cette approche pragmatique ont été déterminants pour la mise en œuvre de changements importants.
2. Nouer des partenariats avec le milieu universitaire et le secteur privé pour pallier le manque de capacités techniques. La SRC a su tirer parti de l'expertise en science des données de l’AUA, promouvant ainsi une collaboration qui a permis non seulement de renforcer les capacités des pouvoirs publics, mais aussi d’offrir aux chercheurs et aux étudiants une expérience pratique. Une démarche qui s’inscrit dans le cadre du projet de modernisation du secteur public (a) financé par la Banque mondiale. Cette opération, qui en est à sa quatrième phase, repose sur la stratégie de numérisation récemment adoptée par le gouvernement et mettant l’accent sur le rôle décisif des technologies de pointe pour la compétitivité du pays, sa sécurité et le niveau de vie de sa population. Le projet a notamment a investi dans la création de connaissances en reliant la recherche académique au secteur public.
3. Collaborer pour surmonter la pénurie de talents en IA. L’accès à des experts de l’IA (en sciences et en architecture des données ou en programmation) reste limité et coûteux. L’Arménie a surmonté cet obstacle en travaillant avec la Banque mondiale à la conception de processus d'appels d'offres concurrentiels. Le partenariat avec l’AUA a été doublement bénéfique : il a permis aux étudiants d’acquérir une expérience pratique et aux pouvoirs publics de se doter des compétences nécessaires.
4. Privilégier la résolution de problèmes plutôt que « la tech pour la tech ». En Arménie, le premier champ d’application de l’IA consiste à améliorer le respect des obligations fiscales à travers l’analyse des factures, la détection des réseaux frauduleux et le signalement d’anomalies (doublons, incohérences d'identité, etc.). On estime que l’utilisation de l’IA pourrait conduire au bas mot à une augmentation de 10 à 15 % de la discipline fiscale (qu’elle soit volontaire ou contrainte). Au-delà des opérations internes, l’IA peut également permettre d’améliorer la prestation des services publics et profiter directement aux citoyens : chatbots répondant aux questions des contribuables, remboursements d'impôts accélérés ou encore déclarations préremplies.
5. Anticiper les risques. L’introduction de l’IA comporte des risques, des biais inhérents aux algorithmes aux suppressions d’emplois en passant par les problèmes de confidentialité des données et de sécurité. L’Arménie répond à ces préoccupations en se concentrant sur quatre principes fondamentaux : l’explicabilité (une logique claire et non technique), la transparence (données en libre accès), la cybersécurité renforcée (conforme aux normes ISO) et la participation des parties prenantes (en associant les cabinets fiscaux, les médias et la société civile à la surveillance). À l’avenir, la réalisation d’une évaluation de l’incidence algorithmique pourrait permettre de limiter les risques de biais. Il s’agit d’un outil d’auto-évaluation conçu pour déterminer l’impact des algorithmes sur les citoyens, de manière à garantir la protection de la vie privée et le respect de l’éthique et des droits humains, notamment le droit à un traitement équitable et non discriminatoire.
6. Se concentrer sur les résultats. Certes, l’IA est omniprésente, mais cela ne veut pas pour autant que ces technologies soient toujours indispensables. L’Arménie a choisi de privilégier des objectifs mesurables et axés sur des problématiques réelles, en évitant le piège de la technologie pour la technologie. Le succès se mesure à l’aune de résultats tangibles. Des pays comme l’Inde et le Brésil, par exemple, font état d’une hausse de 10 à 30 % du recouvrement des impôts grâce à l’IA.
En conclusion, l’expérience arménienne démontre que les petites nations sont particulièrement bien placées pour piloter le changement et devenir les premiers adeptes de l’innovation. Grâce à un leadership fort, des partenariats stratégiques et une orientation explicite sur les résultats, l'intégration de l'IA dans l’administration fiscale n'est pas une ambition lointaine, c’est une réalité déjà à l’œuvre aujourd’hui.
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