Publié sur Opinions

Le monde a besoin d'une transparence radicale de la dette

Le monde a besoin d'une transparence radicale de la dette Une salle de classe de l'école primaire publique d'Ianjanina, dans la zone rurale de Madagascar. Photo : Mohammad Al-Arief/Banque mondiale.

Ces vingt dernières années, de nombreux pays en développement ont accompli des progrès remarquables en matière de réduction de la pauvreté, d'accès plus large à l'éducation et aux soins de santé et d'investissement dans les infrastructures. Ces résultats sont le fruit de politiques nationales saines et d'efforts coordonnés de la part de la communauté internationale, souvent financés par des emprunts responsables.

Néanmoins, les perspectives d'avenir sont moins rassurantes, car les vulnérabilités liées à la dette s'intensifient : 54 % (a) des pays à faible revenu sont déjà en situation de surendettement ou présentent un risque élevé de l'être, et nombre d'entre eux consacrent plus d'argent au remboursement de leur dette qu'à l'éducation, à la santé et à l'infrastructure réunies. L'accès à des financements abordables se réduit et les chocs externes répétés — depuis les fluctuations des prix des produits de base jusqu'aux catastrophes climatiques — aggravent les risques.

Le monde a déjà traversé des difficultés similaires par le passé. Au tournant du millénaire, la coopération mondiale a permis des avancées majeures telles que l'Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et l'Initiative d'allégement de la dette multilatérale, qui ont déchargé des dizaines de pays à faible revenu d'un fardeau de la dette insoutenable. Cependant, la situation a fondamentalement changé depuis. Aujourd'hui, la dette est plus complexe, les créanciers sont plus diversifiés et une partie des emprunts est contractée hors budget, à huis clos, échappant ainsi aux mécanismes de contrôle traditionnels.

C'est pourquoi la communauté internationale a pris des mesures significatives pour répondre à cette crise en gestation. Le Groupe de la Banque mondiale et le Fonds monétaire international intensifient leur soutien financier et technique aux pays en butte à la pression de la dette et, dans certains cas, pilotent des opérations de gestion du passif. Lorsque le service de la dette d'une économie devient insoutenable, le Cadre commun du G20 offre une porte de sortie. C'est un processus que beaucoup s'efforcent de rendre plus rapide et plus prévisible, notamment en recherchant un consensus lors des réunions de la Table ronde mondiale sur la dette souveraine.

Si des progrès ont été accomplis en matière d'allégement de la dette, il reste encore beaucoup à faire. La première et la plus puissante ligne de défense contre les vulnérabilités est l'amélioration de la transparence de la dette. Le monde apprend trop souvent l'existence de dettes insoutenables quand les économies sont déjà en chute libre. Ainsi, plusieurs pays avaient retrouvé un accès aux marchés internationaux des capitaux ces dernières années, avant de voir des dettes cachées refaire surface et les plonger dans la crise.

Sans une action urgente pour contenir ces risques, les futures crises de la dette ne découleront pas seulement de la malchance économique, mais aussi de créances non divulguées, mal comprises ou délibérément occultées. Pour toutes ces raisons, le rapport Radical Debt Transparency (a) de la Banque mondiale exhorte les emprunteurs, les créanciers et la communauté financière mondiale à renoncer aux pratiques opaques au profit d'une communication intégrale et sans délai sur la dette.

On constate malgré tout certaines avancées. Depuis 2020, la part des pays à faible revenu publiant certaines données sur la dette est passée de moins de 60 % à plus de 75 %. Mais seulement un quart d'entre eux divulguent des informations détaillées sur les prêts nouvellement contractés et, trop souvent, les données sur la dette sont partielles, tardives et incohérentes.

Ces lacunes en matière de reporting vont devenir encore plus problématiques alors que les emprunts du secteur public tendent à s’effectuer en dehors du contrôle du gouvernement central et que de plus en plus de pays ont recours à des modes de financement non conventionnels et hors bilan, tels que les placements privés, les swaps entre banques centrales et les opérations garanties par des actifs. La dette intérieure est également en hausse, mais de nombreux pays n'ont pas mis en place les normes de divulgation et les mécanismes de marché nécessaires pour la gérer de manière responsable.

Par conséquent, les engagements réellement contractés sont occultés, ce qui dissimule les risques et sape la confiance dans la viabilité de la dette. Pire encore, les restructurations partielles et confidentielles — conclues en privé, avec des créanciers choisis — sont de plus en plus fréquentes, privant les marchés d'informations cruciales et empêchant la mise en place de solutions durables. C'est pourquoi nous devons lancer une action mondiale résolue et coordonnée. Les emprunteurs, les créanciers publics et privés et les institutions internationales doivent travailler ensemble pour remédier au manque de transparence.

Notre rapport propose des mesures qui permettraient de rendre le paysage de la dette plus transparent : divulgation complète des conditions de prêt, renforcement de la surveillance nationale de toutes les dettes, en particulier des instruments garantis et non fondés sur le marché, et amélioration des outils permettant aux institutions financières internationales de communiquer des données plus granulaires sur la dette et de détecter les déclarations erronées. Il invite également tous les créanciers à ouvrir leurs registres de prêts et de garanties, à s'engager dans des processus conjoints de rapprochement des données et à publier les conditions de restructuration de la dette une fois les accords finalisés.

Les outils technologiques peuvent contribuer à l'atteinte de ces objectifs. Par exemple, une plateforme numérique commune aux emprunteurs et aux créanciers pourrait renforcer la transparence et la redevabilité en permettant d’harmoniser les pratiques d'enregistrement de la dette, d’encourager des rapports complets et actualisés, et de détecter rapidement les divergences. Toutefois, la seule technologie n'est pas une garantie de succès. Les pays doivent aussi renforcer leur propre capacité à évaluer et à négocier des accords de dette complexes, afin de ne plus avoir à compter uniquement sur les créanciers ou les intermédiaires financiers pour obtenir des conseils.

Le but ultime de la transparence de la dette est de rétablir la confiance des investisseurs, afin qu'ils soient plus enclins à engager les capitaux nécessaires pour stimuler la croissance et créer des emplois dans les pays à faible revenu. Si nous voulons véritablement préserver les acquis du développement — et éviter une nouvelle décennie perdue — la transparence radicale de la dette s’impose désormais comme une nécessité. Car c’est notre meilleure protection contre les turbulences et notre chemin le plus sûr vers la résilience.

 

Ce billet a initialement été publié en anglais sur Project Syndicate.


Axel van Trotsenburg

Directeur général senior de la Banque mondiale, Politiques de développement et partenariats

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