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Repenser le développement dans les contextes fragiles et touchés par des conflits

Repenser le développement dans les contextes fragiles et touchés par des conflits Photo : Said Fadhaye / Banque mondiale

La fragilité n’est plus l’exception. C’est la nouvelle réalité du développement

La fragilité, les conflits et la violence (FCV) ne sont pas des concepts abstraits pour nous. Ce sont des réalités bien réelles. Aujourd’hui, près de la moitié des personnes vivant dans l’extrême pauvreté dans le monde se trouvent dans des situations de FCV, et ce nombre ne cesse d’augmenter. Nous avons ressenti directement les effets de la fragilité. Nous avons vu la façon dont elle détruit des vies, mais aussi comment la résilience prend racine. Et nous avons appris que lorsque les institutions de développement écoutent véritablement et nouent des partenariats, elles peuvent faire en sorte que le progrès remplace la souffrance et redonner espoir aux personnes qui en ont le plus besoin.

Jeehan : En tant que femme yéménite, les situations de FCV ne sont pas une notion abstraite pour moi. Elles ont façonné ma vie et m’ont conduite à me consacrer au développement international. J’ai vu la façon dont les conflits détruisent les liens de confiance, mais aussi comment le courage et un soutien approprié peuvent faire naître la résilience. Cette conviction m’a amenée à axer mon doctorat sur la résilience institutionnelle en temps de guerre, à travailler pour les Nations Unies et le ministère du développement international du Royaume-Uni (DfID) et, aujourd’hui, à occuper le poste de conseillère principale auprès du Conseil des Administrateurs du Groupe de la Banque mondiale, où je contribue aux reconstitutions des ressources de l’Association internationale de développement (IDA), à la feuille de route pour l’évolution du Groupe de la Banque mondiale (a) et aux programmes de lutte contre la fragilité, les conflits et la violence. En tant que Yéménite et Américaine, j’apporte un double regard et une conviction profonde : lorsque nous choisissons de collaborer plutôt que d’imposer, nous instaurons la confiance, rétablissons la dignité et posons les bases d’une paix durable.

Abdirahman : Étant originaire de Somalie, la fragilité et les conflits ne sont pas pour moi des concepts abstraits. Ce sont des réalités quotidiennes. Mon propre déplacement a façonné ma vision du monde. Il guide également mon travail actuel en tant que conseiller principal pour les Gouverneurs africains du Groupe I à la Banque mondiale, où je contribue notamment à l’élaboration des politiques relatives au 21e cycle de reconstitution des ressources de l’IDA (IDA-21) ou aux situations de FCV.

Dans les situations de FCV, le développement ne consiste pas à apporter des solutions rapides. Il s’agit de restaurer la dignité, de rétablir les institutions et d’aider les pays à se réapproprier leur avenir. Il faut pour cela faire preuve d’humilité et de patience, et instaurer des partenariats fondés sur l’appropriation nationale.

De la stratégie à la réalité

La Stratégie du Groupe de la Banque mondiale pour les situations de fragilité, conflits et violence 2020–2025 a marqué un tournant. Elle affirmait que la fragilité était au cœur du développement et insistait sur l’engagement, le renforcement des institutions et la prévention des conflits. Mais cinq ans plus tard, les crises sont plus longues, leurs répercussions plus étendues et les besoins plus complexes. La nouvelle stratégie en matière de FCV, en cours d’élaboration, et le cycle IDA-21 sont une occasion privilégiée non seulement sur le plan du financement, mais aussi pour repenser la manière dont nous définissons le succès, concevons les programmes et soutenons les institutions locales.

Nos recommandations concernant les priorités de la Banque mondiale en matière de FCV

Pour être efficace dans les situations de FCV, le développement doit partir d’une théorie du changement claire qui s’attaque aux causes profondes, à l’exclusion politique, économique et sociale, au stress environnemental et à l’effondrement des institutions. Les programmes doivent tenir compte des conflits et être conçus dans une perspective locale.

Les systèmes et institutions nationaux, en particulier dans le domaine des services et de la justice, doivent être renforcés. Les progrès durables dépendent de la légitimité et des capacités des institutions publiques.

La présence renforce la crédibilité. La Banque mondiale et les autres partenaires de développement devraient continuer à renforcer leur présence là où la fragilité est la plus grande. Le personnel travaillant dans des contextes de fragilité, de conflits et de violence a besoin de plus que des connaissances techniques ; il a besoin de comprendre la culture, de faire preuve d’intelligence émotionnelle et de disposer de temps pour instaurer la confiance.

La capacité d’adaptation est cruciale. Les environnements fragiles évoluent rapidement. Des programmes qui tiennent compte du contexte local et qui sont fondés sur la responsabilisation permettent de mieux gérer l’incertitude et de rectifier le tir si nécessaire.

Les communautés sont en droit de décider. Les acteurs locaux connaissent bien le terrain et savent quelle voie prendre. Les femmes, en particulier, assument une grande partie du fardeau pendant les conflits, mais elles jouent aussi un rôle essentiel dans la reconstruction. Il est crucial de continuer à donner la priorité à un développement qui tienne compte des questions de genre.

Dans ces contextes, les crises convergent souvent, qu’il s’agisse de chocs climatiques, de déplacements de populations ou d’érosion institutionnelle. Les réponses doivent être cohérentes et intersectorielles. Dans le même temps, la transformation numérique doit parvenir jusqu’aux zones les plus reculées. En l’absence de compétences et d’infrastructures de base, le progrès numérique risque de creuser les inégalités.

Si le recours à des tiers a joué un rôle essentiel pour assurer la continuité des services et obtenir des résultats dans certaines situations de FCV, il ne doit pas devenir la norme. Si le fait de s’appuyer uniquement sur des acteurs externes peut être bénéfique à court terme, il risque également involontairement d’affaiblir les systèmes nationaux et de nuire à l’appropriation locale. Une approche hybride, qui tire parti des atouts des tiers tout en intégrant des stratégies de sortie claires, en investissant dans le transfert de connaissances et en renforçant résolument la résilience institutionnelle à long terme, constitue une voie plus durable.

Enfin, la croissance inclusive ne peut être une préoccupation de second plan. Les économies fragiles dépendent souvent des secteurs privés locaux. Avec les bons outils de réduction des risques, l’accès au financement et un soutien ciblé, l’entrepreneuriat et l’emploi peuvent s’enraciner. Dans les contextes de FCV, la création d’emplois est plus qu’une simple politique économique. C’est une pierre angulaire de la consolidation de la paix.

Du maintien de l’engagement à l’utilisation des ressources internes

Nous avons vu ce qu’il est possible d’accomplir lorsque les institutions inspirent confiance, que les communautés sont écoutées et que le développement repose sur les priorités locales. Les situations de FCV ne doivent pas réduire nos ambitions, mais au contraire nous aider à mieux cibler nos efforts.

Dans les contextes de FCV, le développement permet d’épargner des vies, d’augmenter le nombre d’enfants scolarisés, de renforcer les institutions, de créer des emplois et de redonner espoir et confiance en l’avenir. Chaque dollar investi dans la prévention peut permettre d’économiser jusqu’à 16 dollars en interventions d’urgence et en reconstruction. Ce ne sont pas seulement des rendements financiers. Ce sont des investissements dans la paix, la dignité et la stabilité.

Lorsque la Banque mondiale montre la voie, d’autres suivent. Sa présence façonne l’écosystème du développement : elle définit des normes, stimule le cofinancement et relève le niveau d’exigence en matière d’engagement responsable.

La fragilité, les conflits et la violence ne connaissent plus de frontières. Ce sont des problèmes mondiaux. Investir dans ce domaine permet de gérer les risques et de faire progresser les priorités mondiales, de la résilience climatique à la migration, en passant par la sécurité alimentaire et la croissance inclusive. C’est un investissement dans un avenir meilleur pour tous.


Jeehan Abdul Ghaffar

Conseillère principale auprès du Directeur exécutif, EDS11

Abdirahman Bashir Shariff

Conseiller principal auprès du Directeur exécutif, Gouverneurs africains du Groupe I, Groupe de la Banque mondiale

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