« Votre carte d’identité s’il vous plaît. »
Cette phrase fait partie de la vie quotidienne dans le monde entier, et la présentation d’une pièce d'identité est une condition indispensable pour effectuer de nombreuses démarches. En Afrique subsaharienne, elle peut être exigée pour recevoir des prestations de l’État ou inscrire ses enfants à l’école. Sans ce précieux sésame, les gens se retrouvent souvent privés de services de base, comme l’ouverture d’un compte bancaire, l’obtention d’un prêt ou même l’achat d’une carte SIM. Ils sont aussi souvent contraints de se déplacer avec de l’argent liquide, s'exposant aux risques de vol, ou de s’absenter de leur travail pour effectuer des transferts d’argent en personne. Toutes ces difficultés s'additionnent, avec pour résultat un accès réduit à des services essentiels qui améliorent la mobilité économique et la sécurité au quotidien. Alors que l’identité juridique a été érigée en priorité en tant que cible des Objectifs de développement durable (ODD), nombre de gouvernements s’attachent à développer les systèmes nationaux d’identification, y compris en exploitant le potentiel du numérique. Les moyens d’identification numériques sont de plus en plus répandus à mesure que les gouvernements déploient des systèmes de vérification en ligne. Ils peuvent remédier aux obstacles du coût et de la distance et, à condition d'être encadrés par des normes et des réglementations, ils peuvent également réduire les risques de cybercriminalité et permettre d’accéder facilement et en toute sécurité à des services et des paiements dématérialisés.
L’Ouganda, par exemple, a économisé environ 7 millions de dollars en un an en vérifiant l’identité de ses fonctionnaires grâce à sa nouvelle base de données d’identification nationale. Au Malawi, la fusion du système d’inscription sur les listes électorales et du système d’identification nationale a permis une réduction des dépenses de 44 millions de dollars (a).
Si les bénéfices économiques et les gains d’efficacité des systèmes d’identification sont avérés, l’accès à une carte nationale d’identité reste inégal sur le continent africain, ce qui limite aussi l’accès aux services publics et aux plateformes numériques, dont on sait qu’ils sont des vecteurs essentiels de l’inclusion financière.
Ce billet fournit un panorama des enjeux liés à la possession d’une pièce d’identité en Afrique subsaharienne, en s’appuyant sur des données d’enquêtes menées auprès d’adultes vivant dans 36 pays et sélectionnés de manière aléatoire. Ce travail est le fruit d’une collaboration entre deux initiatives de la Banque mondiale, Global Findex (a) et ID4D, qui ont recueilli deux séries de données mondiales sur l’accès et les obstacles à la possession d’une pièce d’identité depuis 2017. Selon les données les plus récentes, on estime à 850 millions le nombre de personnes dans le monde qui ne disposent pas d’une pièce d’identité officielle. Il s’agit principalement d’habitants de pays à faible revenu et de personnes appartenant à des groupes marginalisés et vulnérables, et environ 470 millions d’entre elles vivent en Afrique subsaharienne. Nous nous penchons ici sur quelques-unes des grandes tendances observées dans la région.
Les taux d'accès à une carte d'identité varient selon les pays d’Afrique subsaharienne
Dans les 36 économies d’Afrique subsaharienne étudiées en 2021 et 2022, 78 % en moyenne des personnes de plus de 15 ans éligibles à une carte d’identité en possèdent une effectivement (figure 1). L’initiative Global Findex recueille des données sur les adultes âgés de 15 ans et plus, mais, dans certains pays, il n'est possible de détenir une carte d’identité qu’à partir de 16 ans ou plus. Les adultes en dessous de cet âge légal minimum sont donc exclus des calculs sur les taux de possession d’une carte d’identité.
Il existe des différences importantes d’un pays à l’autre. Dans 13 économies, moins de 70 % des adultes possèdent une pièce d’identité. Les disparités d’accès à une pièce d'identité dont souffrent les femmes, les personnes à bas revenus et les habitants des zones rurales sont particulièrement prononcées dans les économies avec de faibles taux de possession, ce qui prive d’autant plus ces groupes vulnérables de services de base : recevoir une aide financière de l’État, postuler à un emploi ou utiliser les services financiers.
Figure 1 : L’accès à une carte nationale d’identité varie en Afrique subsaharienne
La distance et le coût entravent l’accès à une pièce d’identité
La première raison citée par les adultes interrogés pour expliquer pourquoi ils ne possédaient pas de pièce d’identité est l’absence des documents justificatifs nécessaires pour en obtenir une (comme un certificat de naissance). La distance à parcourir pour effectuer les démarches est également souvent invoquée, de même que le coût trop élevé (voir figure 2). Dans les 13 pays où le taux d'accès à une carte d’identité est inférieur à 70 %, les femmes sont nettement plus susceptibles que les hommes de déclarer que l’obtention d’un tel document est trop coûteuse. Des disparités qui peuvent s’expliquer par des coûts plus élevés, mais aussi par des difficultés plus grandes pour obtenir les pièces justificatives et pour se déplacer et effectuer les démarches de demande ou de retrait. Les données montrent également que 13 % des adultes sans carte d’identité au Niger ne savent pas si celle-ci coûte cher ou refusent de répondre à cette question, ce qui peut laisser supposer que beaucoup n’ont même pas connaissance des coûts associés à l’obtention d’une carte d’identité.
Figure 2 : Plusieurs obstacles empêchent les adultes sans carte d’identité d’en obtenir une
La possession/non-possession d’une carte d'identité favorise/entrave l’inclusion numérique et financière
L'impossibilité de justifier de son identité entraîne de nombreuses difficultés. Par exemple, dans 10 des 13 économies où le taux de possession d’une carte d’identité est inférieur à 70 %, les adultes concernés ne sont pas en mesure d’acheter une carte SIM. Or celle-ci est indispensable pour utiliser un téléphone portable et donc de bénéficier d’une connectivité numérique. En Tanzanie, 57 % des adultes sans carte d’identité (soit un quart de l’ensemble des adultes) sont confrontés à ce problème. Sans pièce d’identité, il est difficile de voter, ouvrir un compte bancaire, trouver un emploi ou recevoir des soins médicaux.
Plus de 30 % des adultes sans carte d’identité au Bénin, en République du Congo, en Gambie, au Libéria, au Mali et au Mozambique ont déclaré ne pas être en mesure d’accéder aux services financiers. À la question « Quelles sont les raisons qui vous empêchent d’ouvrir un compte en banque », 57 % des adultes non bancarisés d’Afrique subsaharienne ont cité le manque de pièces justificatives (parmi lesquelles une carte d’identité). Ce dernier point met en évidence le fait que la possession d’une pièce d’identité n’est pas le seul obstacle administratif auquel se heurtent les personnes non bancarisées (figure 3). Les prestataires financiers ont en effet souvent besoin de justificatifs supplémentaires (tels que des factures d’eau ou d'électricité) pour se conformer à leurs exigences de vigilance à l’égard de la clientèle. Par conséquent, il ne suffit pas de posséder une carte nationale d’identité pour être en mesure d’ouvrir un compte bancaire.
Figure 3 : Beaucoup d’adultes non bancarisés citent le manque de justificatifs (carte d’identité ou autres) comme un obstacle à la possession d’un compte
Le numérique résout certains obstacles à l’accès à un titre d'identité, mais des questions subsistent pour l’Afrique subsaharienne
Par rapport aux autres régions du monde, l’Afrique subsaharienne est à la traîne en matière de capacités d’identification numérique, comme l’illustrent les données récentes (a) de la base de données ID4D.
En outre, la question reste entière de savoir si la population fera confiance à ces systèmes numériques une fois qu’ils seront mis en place. Pour combler ce déficit de connaissances, la collaboration entre Global Findex et ID4D a permis d’introduire de nouvelles questions à l’enquête Global Findex 2024, qui portent sur la possession d’une identité numérique. L’un des objectifs vise à recueillir des données ventilées par sexe sur les problèmes d’usurpation d’identité et l’utilisation non autorisée de données personnelles à des fins illicites.
Ces informations aideront à concevoir des stratégies plus efficaces pour améliorer l’accès aux systèmes d’identification, à la connectivité numérique et à l’inclusion financière, et notamment le développement d’infrastructures publiques numériques qui prennent en compte les enjeux de genre.
Pour consulter dans son intégralité notre note d’orientation intitulée Trends in Access to ID in Sub-Saharan Africa, rendez-vous sur la page Global Findex Africa (a). Pour une analyse globale des données publiques officielles sur l’identification, consultez la base de données ID4D (a).
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