Que signifie vivre dans un pays pauvre à 0,517 ?

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Que signifie vivre dans un pays pauvre à 0,517 ? Blvd. de Quarante Metres, N’Djamena, Tchad. Photo : Arne Hoel.

Selon l’Indice mondial de pauvreté multidimensionnelle (IPM) du PNUD, la République du Tchad a un score de pauvreté de 0,517. Mais comment interpréter ce nombre ? Est-ce un bon ou un mauvais score ? Si vous n’en avez aucune idée, vous n’êtes pas seul. Bien que le concept de pauvreté soit facile à saisir, il est dans les faits assez difficile à quantifier. L’IPM est l’un des derniers outils d’une longue série de mesures visant à relever ce défi. C’est aussi l’un des plus déroutants, ce qui, à mon avis, pose un problème à tous ceux qui se préoccupent de l’éradication de la pauvreté et qui essaient de l’utiliser. Si l’IPM et d’autres méthodes de mesure similaires ont certainement amélioré notre capacité à évaluer la pauvreté avec précision, ces progrès ont été réalisés au prix de la simplicité. Et dans un monde où la capacité d’attention se réduit, il me semble que la simplicité et l’intelligibilité sont primordiales si l’on veut que les décideurs politiques et le public prennent la pauvreté au sérieux.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Ce n’est pas le fruit du hasard si nous nous sommes retrouvés avec l’indice de pauvreté multidimensionnelle et d’autres mesures aussi complexes. Elles existent parce que des mesures plus rudimentaires de la pauvreté présentent de graves lacunes. Je pense, par exemple, que l’indicateur de pauvreté le plus largement utilisé, le taux d’incidence, laisse beaucoup à désirer. Ce taux, qui fait état du pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, ne dit rien de l’ampleur de la pauvreté. Si les pauvres s’appauvrissent, le taux d’incidence reste le même tant que personne ne franchit le seuil de pauvreté. Et ce n’est pas tout : cet indicateur ne tient pas non plus compte de l’accès aux soins de santé, à l’éducation et aux infrastructures. Bien que ces facteurs aient un impact incontestable sur la vie des pauvres, ils ne sont pas reflétés dans le taux d’incidence, qui reste silencieux sur tout ce que l’argent ne peut pas acheter.

L’IPM vient répondre à ces problèmes. Tout d’abord, contrairement à l’accent étroit mis sur les revenus dans le calcul du taux de pauvreté, l’IPM tient compte de la santé, de l’éducation et du niveau de vie, en intégrant les données de dix indicateurs distincts, notamment la mortalité infantile, la fréquentation scolaire et l’accès à l’électricité. L’IPM tient également compte de l’ampleur de la pauvreté. Alors que le taux de pauvreté indique simplement le pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, le score IPM de chaque pays tient également compte du pourcentage de personnes en situation de pauvreté multidimensionnelle et du niveau moyen de privation parmi les pauvres. L’IPM et des mesures similaires nous donnent une image objectivement plus précise de la pauvreté que leurs prédécesseurs.

Qu’est-ce qui fait une bonne mesure, au fond ?

L’IPM décrit la pauvreté avec plus de précision que le taux d’incidence. Il me semble pourtant que cette mesure de la pauvreté est moins efficace dans l’environnement politique actuel, point final. Bien que ces déclarations semblent contradictoires, elles ne le sont pas. La valeur d’une métrique dépend de nos raisons de l’utiliser. Et lorsqu’on entreprend de mesurer la pauvreté, notre objectif est de l’éliminer. Il s’agit de convaincre les décideurs politiques et le public d’agir. Si la précision règne en maître dans le monde universitaire, les décideurs politiques vivent dans un monde de priorités concurrentes et de capacité d’attention réduite. En 2015, Microsoft a estimé la durée d’attention humaine à huit secondes (a). Pour ceux qui comptent les points, cela représente une seconde de moins qu’un poisson rouge moyen. Alors, que signifie un score IPM de 0,517 ? Huit secondes ne suffiront pas.

Ce que le taux de pauvreté perd en précision, il le compense par sa simplicité. Le taux de pauvreté de la Banque mondiale, calculé sur la base d’un seuil international initialement fixé à un dollar par jour (mis à jour depuis à 2,15 dollars), s'est révélé être un puissant cri de ralliement dans la lutte contre la pauvreté mondiale. En effet, il est facile à comprendre, aussi bien en termes pratiques que moraux. Lorsqu’il a fait ses débuts en 1990 (a), le taux de pauvreté global a révélé que près de 40 % de la population mondiale vivait avec moins d’un dollar par jour. Même pour ceux qui sont allergiques aux mathématiques, huit secondes sont plus qu’assez pour comprendre cette métrique et la souffrance humaine qu’elle représente. Et dans notre monde dynamique, c’est ce pouvoir d’attirer l’attention et d’inciter à l’action qui compte le plus.

Alors, avons-nous fait des progrès ?

Bien que nos indicateurs de pauvreté les plus rudimentaires me semblent encore les plus précieux, cela ne signifie pas que nous n’avons pas fait de progrès en matière de mesure de la pauvreté. Des mesures telles que l’indice de pauvreté multidimensionnelle représentent des innovations précieuses qui remédient aux lacunes manifestes des approches précédentes. Le problème ici n’est pas l’absence de progrès dans la mesure de la pauvreté, mais notre aversion de plus en plus marquée pour la nuance.

Comprendre la vie des pauvres mérite bien plus que huit secondes, et lorsque les décideurs politiques sont prêts à y prêter attention, les données sont là. En attendant, la question demeure : que signifie vivre dans un pays pauvre à 0,517 ? Qu’en est-il d’un pays où 31 % de la population vit avec moins de 2,15 dollars par jour ? Je vous laisse décider quelle mesure fera la différence pour les citoyens du Tchad.


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