L’école, une opportunité rare, objet de choix stratégiques dans les familles.
“Ici, pour les parents, l’école n’est pas une priorité”. Cette réflexion, empreinte de fatalisme, est souvent entendue comme explication des taux de fréquentation scolaire faibles dans certaines régions d’Afrique. Une étude récente menée dans la Province du Nahouri au Burkina Faso1 suggère que la situation est plus complexe. En fait, les familles semblent être bien au fait des bénéfices de l’école et faire des choix très rationnels et stratégiques quand il s’agit de choisir d’envoyer leurs enfants à l’école.
Dans cette étude, nous avons mesuré l’aptitude cognitive de tous les enfants de 5 à 15 ans (4635 enfants dans 1507 ménages répartis dans 75 villages), qu’ils fréquentent ou non l’école, en utilisant des tests standardisés qui ne font pas appel aux compétences apprises à l’école. Le premier résultat de l’étude montre que, toutes choses (âge, sexe, niveau socio-économique, etc..) égales par ailleurs, les parents inscrivent en priorité à l’école les enfants les plus capables : les enfants dont les capacités cognitives dépassent la moyenne d’un écart-type ont 16 pourcent de plus de chance d’être inscrits. Des résultats similaires sont observés lorsque nous considérons les perceptions qu’ont les parents des capacités de leurs enfants, plutôt que les mesures objectives établies par les tests-standards. Cela indique à la fois que les parents jugent bien des capacités de leurs enfants et qu’ils utilisent cette information pour décider ou non d’envoyer leurs enfants à l’école. Loin donc de l’idée de parents indifférents à l’école.
Mais si les parents sont intéressés par l’école, il n’en reste pas moins que, confrontés à des ressources limitées, la participation scolaire demeure une opportunité rare, qui conduit à des choix stratégiques, sans doute douloureux. Ainsi l’étude confirme un phénomène qu’on a décrit sous le terme de « rivalité fraternelle » : dans une même famille, les parents investissent en priorité dans la scolarité des enfants les plus capables. Les résultats montrent que les enfants qui ont un frère ou une sœur substantiellement plus capable qu’eux ont une probabilité plus faible d’être inscrits et que cet effet se renforce s’ils ont deux frères ou sœurs plus capables.
L’impression que les parents se désintéressent de l’école est donc erronée. Elle cache en fait une situation où les parents perçoivent clairement les bénéfices de la scolarité pour leurs enfants, mais où contraints par des moyens faibles, ils doivent opérer des choix stratégiques et investissent dans la scolarité de ceux parmi leurs enfants qui sont les plus capables. Une politique volontariste d’accès á l’école pour tous permettrait d’offrir cette chance à tous, quelque soit leur niveau d’aptitude initial.
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1. Akresh, Richard, Emilie Bagby, Damien de Walque and Harounan Kazianga, “Child Ability and Household Human Capital Investment Decisions in Burkina Faso”, World Bank Policy Research Working Paper 5370, Washington DC, July 2010. http://go.worldbank.org/6FHYYIWFM0
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