Acheter des terrains à la légère ? C'est du sérieux !

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Acheter des terrains à la légère ? C'est du sérieux ! Commerce de terrains à Bamako, Mali (2012) | © Harris Selod / Banque mondiale

Dans les villes d’Afrique de l’Ouest, trouver des terrains sur les marchés fonciers informels pour se loger en périphérie peut être une entreprise difficile et risquée. Les droits de propriété sont souvent inexistants, ce qui entraîne des litiges liés à des ventes contestées ou à des ventes multiples d’une même parcelle. Notre nouvel article de recherche (a) explore le rôle de la parenté ethnique dans les marchés fonciers des villes d’Afrique de l’Ouest : Comment la parenté ethnique influence-t-elle les transactions et la perception du risque foncier ? Dans quelle mesure les institutions traditionnelles de parenté ethnique peuvent-elles atténuer les risques dans les transactions foncières informelles ?

Au Mali et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, les liens de parenté ethnique représentent une caractéristique essentielle de la société. Ces liens, connus au Mali sous le nom de Sinankuya, ont été établis au XIIIe siècle et impliquent un « cousinage » étendu entre les membres de différents groupes ethniques. Ils se manifestent par des moqueries ritualisées, au cours desquelles les gens qui se rencontrent pour la première fois échangent des  plaisanteries triviales et des injures ironiques sur leurs ancêtres. Cette institution du « cousinage » (également appelée « relations de parenté à plaisanterie ») permet d’identifier les obligations mutuelles et est censée favoriser la cohésion sociale dans les sociétés ouest-africaines.

Notre étude examine dans quelle mesure le Sinankuya s’applique aux marchés fonciers urbains et périurbains de Bamako et s’il peut contribuer à sécuriser les transactions dans un contexte d’insécurité foncière généralisée. Pour le déterminer, nous avons mené une enquête auprès de plus de mille personnes à Bamako et ses environs, en leur présentant des scénarios fictifs d’achat de terrain afin d’évaluer le rôle du cousinage dans les marchés fonciers.

Les résultats de l’enquête ont révélé que les personnes interrogées préféraient nettement acheter des terres informelles à des cousins ethniques, car elles pensaient que les parcelles qu’ils vendaient seraient plus sûres. Comme le montre la figure 1, la prime de confiance accordée aux cousins ethniques ne s’applique qu’aux parcelles n'ayant pas de droit de propriété formel et qui peuvent donc être précaires. Dans cette hypothèse, si le vendeur était un cousin ethnique, les répondants étaient 7 points de pourcentage moins susceptibles de percevoir comme risqué l’achat d’une parcelle informelle. Avec en moyenne 75 % des personnes interrogées estimant qu’il est risqué d’acheter une parcelle informelle d'une personne qui n'est pas un cousin, cela correspond à une réduction de 9,3 % de la perception du risque. 
 

Figure 1. Différence de perception du risque si le vendeur fictif de la parcelle est un cousin (par rapport à un non-cousin), pour les parcelles formelles et informelles.

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Nous avons ensuite demandé aux répondants s’ils essaieraient d'obtenir un titre de propriété officiel pour la parcelle informelle s’ils l’achetaient au vendeur fictif. Les résultats indiquent que c'est l'intention de 41 % des personnes interrogées. Cependant, le désir de formalisation était moindre si le terrain devait être acheté à un cousin fictif, bien que l’effet n’ait été que faiblement significatif. Il s'agit néanmoins d'une indication supplémentaire que les parcelles vendues par des cousins ethniques sont considérées comme plus sûres.

Face à des scénarios fictifs de vente d’une parcelle risquée, les personnes interrogées étaient plus susceptibles de choisir de vendre à un acheteur qui n’était pas un cousin. Pour illustrer ce point, la figure 2 montre que les répondants étaient 11,3 points de pourcentage plus susceptibles de choisir de vendre la parcelle fictive à un non-cousin et 5,2 points de pourcentage moins susceptibles de choisir de la vendre à un cousin ethnique (par opposition à l’indifférence à l'égard de l'origine ethnique de l’acheteur). Ces préférences sont cohérentes avec la croyance selon laquelle les personnes qui ne respectent pas les obligations de cousinage (dans notre cas en vendant une parcelle contestée à un cousin sans divulguer le risque) seront soit humiliées, soit punies par la société, voire frappées par le destin.
 

Figure 2. Différence dans la probabilité de choisir un acheteur cousin ou non-cousin par rapport à l'indifférence lors de la vente d’une parcelle risquée (par rapport à la vente d’une parcelle fictive sûre)

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Nous avons intégré ces mécanismes à un modèle théorique de transactions foncières et d’utilisation des terres informelles, ce qui nous a permis d’expliquer l’évaluation des risques par les acheteurs dans les transactions interpersonnelles et les stratégies des vendeurs lorsqu'ils entreprennent de telles transactions. Le modèle montre que l’asymétrie d’information entre les vendeurs (qui connaissent le risque intrinsèque associé à leur parcelle) et les acheteurs (qui ne connaissent pas ce risque) est atténuée par l’appariement selon des relations de cousinage entre les vendeurs et les acheteurs qui négocient des parcelles à faible risque. Le modèle montre également que les politiques qui sécurisent les parcelles en subventionnant leur inscription au cadastre peuvent être plus efficaces en présence de l’institution de cousinage. Cela s’explique par un effet de tri : comme des parcelles informelles mais relativement sûres sont vendues entre cousins, une subvention à l’enregistrement est mieux ciblée pour les propriétaires de parcelles relativement plus risquées.

Nos recherches soulignent l’importance de la prise en compte des structures sociales dans la compréhension des marchés, en particulier dans les pays en développement. Dans le cas des marchés fonciers informels, nous avons pu établir que les transactions ne se font pas aux conditions du marché et montrer que les institutions traditionnelles peuvent jouer un rôle bénéfique en réduisant l’asymétrie d’information et en facilitant les transactions de confiance. Malgré les efforts continus des décideurs politiques pour moderniser les administrations foncières dans la région, de telles institutions continueront à jouer un rôle tant que l’accès aux droits de propriété formels restera inabordable pour une grande partie de la population.


Notes
: La figure 1 montre les effets marginaux d’une régression de probabilité logit du risque perçu associé à l’achat d’une parcelle informelle vendue par un cousin ethnique fictif. La figure 2 montre les effets marginaux d’une régression logit multinomiale de la probabilité de choisir un acheteur cousin ou non cousin (par opposition à l’indifférence) lors de la vente d’une parcelle informelle non sécurisée. 


Pour en savoir plus sur les marchés fonciers en Afrique de l’Ouest : Le systèmes d'approvisionnement en terres dans les villes d’Afrique de l’Ouest : l’exemple de Bamako

Document d’accompagnement sur l’asymétrie d’information concernant les risques fonciers : Pratiques coutumières de conversion des terres dans les villes africaines

 

Ce blog est en anglais sur Let’s Talk Development.


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