Les programmes d'inclusion économique sont un outil essentiel pour faire face à la crise de l'emploi au Sahel. La croissance rapide de la population de la région, qui devrait doubler pour atteindre 160 millions de personnes au cours des 20 prochaines années, associée à l'instabilité croissante et à la dégradation du climat, font de la création d'emplois une nécessité immédiate. Face à la rareté des emplois formels, les programmes d'inclusion économique menés par les gouvernements permettent aux populations vulnérables et aux jeunes de gravir « l'échelle des opportunités » en offrant une voie vers le travail indépendant et le développement des micro-entreprises. Ils offrent une solution fondée sur des preuves, rentable et évolutive qui stimule la productivité, diversifie les moyens de subsistance et renforce la résilience.
Une efficacité démontrée...
Les programmes d'inclusion économique associent aide à la consommation, formation aux compétences techniques et transversales, groupes d'épargne et subventions productives afin de lever les multiples obstacles que rencontrent les ménages pauvres : compétences insuffisantes, actifs et capacité de décision restreints, normes sociales contraignantes et difficultés d'accès aux marchés. De évaluations rigoureuses récentes menées dans cinq pays du Sahel montrent de manière probante que l’inclusion économique, lorsqu’elle est intégrée dans les programmes de protection sociale, peut générer des retombées économiques et communautaires significatives à l’échelle régionale avec des effets durables jusqu'à trois ans après la fin des interventionsi :
- Augmentation de la consommation des ménages de 8 à 15 % au Tchad, en Mauritanie et au Niger.
- Hausse significative des revenus issus d’activités économiques pour les femmes – jusqu'à 302 dollars au Sénégal, 270 dollars au Niger et 170 dollars en Mauritanie.
- Augmentation de la participation aux groupes d'épargne de 38 à 90 % selon les pays.
- Renforcement de la cohésion sociale et amélioration du bien-être psychosocial.
- Impacts positifs s'étendant aux ménages non-participants au Tchad.
L'inclusion économique est également rentable – ces impacts ont été produits à un coût relativement faible, allant de 250 $ à 575 $ par bénéficiaire ; et elle constitue un investissement judicieux : des ratios coûts-bénéfices positifs ont été atteints en 18 mois, et au Niger, ont généré un rendement de 127 %.
… Vers des stratégies d'expansion
Forts de ces résultats probants, les gouvernements du Sahel étendent rapidement les programmes d'inclusion économique pour répondre au défi de l'emploi des jeunes. Cette dynamique représente une opportunité stratégique pour perfectionner les approches et garantir des impacts durables. Bien que chaque trajectoire de mise à l'échelle soit unique et adaptée au contexte et aux priorités locales, une note politique récente du Programme de protection sociale adaptative au Sahel (PPSAS) identifie six considérations politiques cruciales :
1. Intégrer dans les programmes de protection sociale
L'intégration de l'inclusion économique dans les programmes de protection sociale génère de puissantes synergies. Les « filets sociaux productifs » intégrés s'appuient sur les systèmes de mise en œuvre existants – notamment les mécanismes d'identification, les plateformes de paiement et les ressources administratives – pour réduire considérablement les coûts de mise en œuvre et amplifier l'impact des transferts réguliers sur la consommation, le capital humain, les investissements productifs et la résilience des ménages. Ces synergies dessinent des parcours concrets vers l'autonomie et la résilience, améliorant ainsi l'acceptabilité des interventions de protection sociale dans l'ensemble du Sahel.
2. Concilier qualité et coût
L’dentification d’un modèle de mise en œuvre adapté aux réalités locales et aux capacités de mise en œuvre est essentielle pour un déploiement durable des programmes d’inclusion économique au Sahel. Le fait de faire appel à des prestataires de services spécialisés – y compris des services publics décentralisés, des organisations non gouvernementales (ONG) et des entreprises privées – sous pilotage et coordination stratégique du gouvernement et une coordination stratégique peuvent améliorer la qualité des prestations, maximiser l'impact et assurer la cohérence entre les programmes et l’harmonisation avec les stratégies et la vision nationales. Cette approche favorise également le renforcement progressif des capacités institutionnelles, tout en assurant l'efficacité immédiate du programme.
3. Ancrer dans les institutions gouvernementales
Atteindre un impact durable à grande échelle nécessite que les programmes d'inclusion économique soient ancrés dans les systèmes, politiques et budgets nationaux, soutenus par de solides capacités institutionnelles :
- Intégrer les programmes d'inclusion économique dans les cadres et stratégies nationales de réduction de la pauvreté et de protection sociale.
- Créer des lignes budgétaires dédiées pour augmenter progressivement le financement national.
- Renforcer la capacité institutionnelle de gestion des programmes.
4. Faire de l'adaptation au climat un objectif central
Les programmes d'inclusion économique contribuent déjà à la résilience climatique des ménages en augmentant la diversification des revenus, l'épargne et l'éducation financière. Pour maximiser ces impacts à grande échelle, il est essentiel d'identifier et d'éliminer les obstacles spécifiques rencontrés par les populations dans l'adoption de stratégies d'adaptation au climat :
- Tester des innovations visant à promouvoir des décisions climato-intelligentes, conçues pour exploiter les opportunités d'adaptation au climat et lever les contraintes dans différents contextes.
- Positionner les programmes d'inclusion économique comme des outils efficaces d'adaptation au changement climatique sensible au genre, afin de faciliter la mobilisation de ressources et leur intégration dans les cadres d'action et de financement climatiques, notamment les contributions déterminées au niveau national (CDN) et les plans nationaux d'adaptation (PAN).
5. Adapter aux contextes de fragilité
Les programmes d'inclusion économique ont démontré un potentiel d'impact important dans les contextes de fragilité, de conflit et de violence. Adapter les programmes aux contextes spécifiques permet de les mettre en œuvre même dans des environnements sécuritaires difficiles, tout en répondant aux vulnérabilités uniques des populations touchées par les conflits :
- Simplifier les opérations en limitant les activités de groupe ; en privilégiant le recrutement de personnel local ; en collaborant avec des ONG locales.
- Utiliser des modes de paiements électroniques et sécuriser l’épargne.
- Modifier le contenu des programmes pour répondre aux besoins psychosociaux des populations touchées par les conflits.
- Intégrer des activités de cohésion communautaire pour renforcer les liens sociaux.
6. Lever les contraintes liées au genre
Au Sahel, les programmes d'inclusion économique visent à autonomiser les femmes par conception, avec des impacts considérables. Plus de 90 % des bénéficiaires sont des femmes, et les programmes sont conçus pour surmonter les obstacles et les contraintes spécifiques auxquels les femmes sont confrontées. Pour amplifier ces impacts à grande échelle, les programmes doivent continuer à donner la priorité aux femmes en tant que bénéficiaires principales ; en affinant et renforçant cette approche dans différents contextes. En s'appuyant sur les réussites existantes, il s'agit notamment de répondre aux contraintes de temps des femmes, à leur accès limité aux actifs productifs et au capital, et aux normes sociales restrictives au niveau individuel, familial et communautaire.
Une fenêtre stratégique s’ouvre pour exploiter la dynamique ascendante des programmes d'inclusion économique à travers le Sahel. Avec des preuves d'impact solides, des enseignements opérationnels riches, des cadres de mise en œuvre établis et de multiples voies d'expansion, les pays peuvent s’appuyer sur les premiers succès pour investir dans des moyens de subsistance plus durables et plus résilients pour les plus vulnérables, en libérant leur potentiel productif, en autonomisant les femmes et en contribuant à des communautés plus fortes.
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i Comme en témoigne le Sénégal.
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