Les sommes envoyées en Afrique par sa diaspora ont été multipliées par dix en vingt ans, passant de 4,8 milliards de dollars en 2000 à 48 milliards en 2018. Cette évolution reflète l'augmentation constante du nombre de personnes qui décident de partir en quête d'une vie meilleure : de 21,6 millions en 2000, le nombre de migrants en provenance d'Afrique a bondi à 36,3 millions en 2017 (a).
Au Nigéria, les remises migratoires s'élevaient à 25 milliards de dollars en 2018, soit près de quatre fois plus que les investissements étrangers directs et l'aide publique au développement réunis. Au Lesotho, ils représentaient 16 % du PIB.
Mais ces chiffres devraient changer. La dernière note sur les migrations et le développement de la Banque mondiale conclut que les transferts d’argent internationaux vers l'Afrique saharienne baisseront de 23 % en 2020 à la suite de la pandémie de coronavirus (COVID-19), ce qui a d’importantes conséquences pour les principaux pays destinataires (a) de ces fonds dans la région.
Si le suivi des envois de fonds internationaux (a) a fait l'objet de nombreux travaux, on en sait moins sur les transferts d'argent des migrants à l'intérieur des pays. Par conséquent, il est difficile d'estimer précisément les tendances et l'impact de l’évolution de ces transferts d’argent, alors même que ces informations seraient extrêmement importantes en période de crise.
En effet, l'analyse des transferts de fonds domestiques est primordiale pour plusieurs raisons. D'abord, le nombre de personnes qui se déplacent à l'intérieur des pays africains est probablement bien supérieur à celui des individus qui franchissent des frontières. Selon des estimations (a) de 2005, il pourrait y avoir 113 millions de migrants internes dans la région. Ensuite, les migrants internes sont souvent plus pauvres que ceux qui partent à l'étranger, car le coût initial d’une migration internationale n'est pas à la portée de bien des familles pauvres. Enfin, l'argent envoyé par les migrants internes, principalement depuis les zones urbaines vers les régions rurales, est une source vitale de revenus hors travail pour les ménages ruraux. L'arrêt des activités économiques dans les villes, consécutif à la pandémie de COVID-19, aura de graves répercussions sur la capacité des migrants internes à envoyer des fonds dans les zones rurales. L'Organisation internationale du travail (OIT) estime ainsi que les revenus des travailleurs du secteur informel en Afrique diminueront de 81 % au cours du premier mois de la crise, ce qui risque d'avoir des conséquences catastrophiques sur les moyens de subsistance dans les campagnes.
Une première étude souligne l'importance des transferts d’argent des migrants internes pour les familles pauvres d'Afrique subsaharienne, comme en témoignent ces éléments issus de l'analyse des envois de fonds internationaux et domestiques pour les ménages du Ghana, du Nigéria et de Sierra Leone (figure 1) :
- La proportion de ménages recevant des transferts de fonds nationaux est beaucoup plus élevée en moyenne que la part de ceux qui reçoivent de l'argent de l'étranger.
- Les ménages les plus pauvres ne bénéficient pas directement des transferts internationaux autant que des transferts nationaux.
Graphique 1 : Pourcentage de ménages recevant des transferts de fonds en Sierra Leone, au Ghana et au Nigéria,
par quintile de consommation
Source : Enquête intégrée auprès des ménages, Sierra Leone (2018), Enquête sur le niveau de vie, Ghana (2016/17) et Enquêtes générales auprès des ménages, Nigéria (2018/2019**)
**Les quintiles de consommation au Nigéria sont calculés à partir des éditions 2016-2017 des enquêtes générales auprès des ménages. De ce fait, beaucoup moins de ménages sont pris en compte dans l'analyse du Nigéria, car environ 70 % des personnes interrogées ont été retirées du panel des enquêtes 2018-2019.
Néanmoins, cela ne signifie pas que les envois de fonds internationaux sont sans importance pour les familles pauvres. D'ailleurs, lorsque ces ménages peuvent envoyer certains de leurs membres à l'étranger, leur retour sur investissement est parfois beaucoup plus important que les bénéfices de la plupart des interventions de développement (a). En Sierra Leone, les envois de fonds des migrants internationaux représentent plus de 50 % de la consommation annuelle des ménages, tandis que ceux provenant des migrants internes ne représentent que 10 % en moyenne (figure 2). Les fonds reçus de l'étranger par les ménages les plus riches pourraient également être une source d'investissement dans les entreprises sierra-léonaises qui emploient des migrants internes, ce qui contribuerait indirectement à l'économie en général. Cependant, les bénéficiaires directs des remises migratoires correspondent à moins de 2 % des ménages interrogés dans les trois premiers quintiles de consommation, contre 17 % chez ceux ayant déclaré recevoir des transferts de fonds internes.
Graphique 2 : Transferts de fonds reçus en pourcentage de la consommation annuelle des ménages, Sierra Leone, 2018
Les circuits et la fréquence des transferts de fonds domestiques des zones urbaines vers les zones rurales sont difficiles à analyser. Souvent, les migrants emportent avec eux de l'argent et des biens lorsqu'ils retournent dans leur village. Le confinement et les restrictions de déplacement à l'intérieur d'un pays en raison de la pandémie empêchent par conséquent les ménages ruraux de recevoir des revenus hors travail dont ils ont tant besoin, ce qui pourrait les contraindre à renoncer à des intrants agricoles nécessaires ou à mettre fin à une activité non agricole. Ainsi, quelques centaines de dollars pourraient les faire basculer entre la subsistance et l'insécurité alimentaire.
Si la plupart des pays d'Afrique subsaharienne disposent désormais d'au moins un programme de filet de sécurité qui procure des revenus et un soutien en nature aux ménages pauvres des zones rurales, la couverture sociale demeure limitée dans de nombreux pays de la région. Les envois de fonds des migrants vers les zones rurales fournissent des ressources supplémentaires essentielles aux ménages et contribuent à combler les lacunes en l’absence de programmes de protection sociale. En cette période de confinement, les réponses se concentrent naturellement sur l'aide aux travailleurs du secteur informel dans les zones urbaines, où la crise économique risque d'être plus sévère dans un premier temps. Cependant, au-delà de l'aide aux travailleurs migrants apportée par les programmes de soutien d'urgence, il est important de maintenir et d'étendre le bénéfice des filets de sécurité aux ménages pauvres des zones rurales, en particulier lorsqu'une partie importante d'entre eux dépend des remises migratoires.
Enfin, il est tout aussi important d'investir dans la collecte de données, notamment pour les enquêtes auprès des ménages et les données administratives afin d'orienter la conception des réponses politiques, mais aussi d'exploiter des banques de données innovantes pour comprendre les schémas de mobilité au sein des pays.
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