L’Afrique se prépare à un boom de la consommation et de l’industrie manufacturière. Un tel essor ne se concrétisera pas d’un simple claquement de doigts. Le continent doit d’abord relever une série de défis, qui tiennent à la couverture inégale des infrastructures, à la fragmentation de ses marchés ainsi qu’à des pénuries de compétences ou au manque de cohérence des réglementations. Pour autant le potentiel est là et les enjeux sont majeurs.
D’ici 2050, la population du continent devrait doubler pour atteindre 2,5 milliards d’habitants, dont la moitié aura moins de 25 ans, et nombre d’entre eux auront un appétit débordant pour les biens, les services et les opportunités d’aujourd’hui. Reste que la situation actuelle donne à réfléchir. L’Afrique est loin d’être autosuffisante en produits finis. Bien que le continent soit riche en matières premières dont dépendent les fabricants mondiaux – du cacao au cobalt – il dépend des importations de produits transformés pour alimenter ses marchés. Aujourd’hui, les produits manufacturés en Afrique ne représentent que 2 % de la production mondiale. Une situation qui laisse les Africains vulnérables aux chocs commerciaux, aux fluctuations monétaires et à des déséquilibres économiques chroniques.
L’édification d’une base manufacturière représente une stratégie de résilience, non seulement en matière de sécurité économique, mais aussi comme pilier d’une société plus saine et plus inclusive. L’industrialisation stimule la création d’emplois, ceux-ci accroissent les recettes publiques, lesquelles financent les services, élèvent le niveau de vie et, à terme, contribuent à éradiquer la pauvreté. Le secteur manufacturier ancre les communautés, élargit l’accès à l’éducation, accélère l’adoption de la technologie et dote les jeunes des compétences pour l’avenir. S’il est florissant, cet écosystème peut jeter les bases de la prospérité et des opportunités, mais aussi d’une stabilité durable pour le continent.
Pour y parvenir, il est essentiel que les entrepreneurs, les industriels et les décideurs politiques unissent leurs efforts pour bâtir un écosystème manufacturier panafricain. La coopération régionale et l’intégration transfrontalière permettront d’alimenter l’émergence de champions industriels capables d’entraîner la transformation.
En Afrique, un proverbe dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Il en va de même pour l’industrialisation. Aucune entreprise, aussi innovante soit-elle, ne peut se développer à l’échelle régionale sans le support d’un écosystème plus large. Une industrialisation réussie repose sur des politiques intégrées, des chaînes de valeur connectées et des infrastructures partagées. Tous les ingrédients sont là. Il ne reste plus qu’à les assembler avec stratégie.
À l’IFC, mon rôle est d’aider à poser les bases de ces écosystèmes industriels en orientant les investissements vers les centres manufacturiers. L’un des secteurs les plus prometteurs est l’industrie textile. L’Afrique de l’Ouest cultive du coton, l’Afrique de l’Est alimente des usines de confection, l’Afrique du Nord, avec ses liens logistiques avec l’Europe, peut servir de pôle d’assemblage final et d’exportation. L’objectif n’est pas de faire émerger des gagnants isolés, mais d’inscrire ces dynamiques nationales dans une chaîne de valeur à l’échelle du continent – une chaîne où, par exemple, une usine au Ghana s’approvisionne en intrants au Bénin, fait assembler ses produits au Kenya avant de les exporter via la Tunisie.
Les champions régionaux ne se construisent pas seuls : ils doivent pouvoir s’appuyer sur un écosystème de coopération transfrontalière. De tels champions sont appelés à porter l’essor industriel de l’Afrique, en créant des millions d’emplois à travers un éventail de compétences professionnelles. Le défi est de taille. Mais la voie à suivre est connue. L’industrialisation de l’Afrique ne dépendra pas d’un génie isolé, mais d’une intégration concertée.
La dynamique est lancée. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) rassemble 54 pays et pourrait connecter 1,4 milliard de personnes dans la plus grande zone de libre-échange du monde en nombre d’habitants. Des pays comme l’Éthiopie, le Maroc et le Rwanda déploient des parcs industriels et des zones industrielles. Les investissements directs étrangers sont également en hausse, à mesure que les marques reconnaissent le potentiel économique de la classe moyenne africaine en pleine expansion.
Cependant d’anciens obstacles subsistent. Les infrastructures sont à la traîne, les réseaux électriques sont fragiles et la bureaucratie frontalière entrave toujours le commerce intra-africain. Le manque d’harmonisation réglementaire, combiné à la grande diversité des systèmes politiques et économiques du continent complique la coordination. Établir une chaîne d’approvisionnement unique, reliant Lagos à Lusaka en passant par Tunis représente un véritable défi.
Pourtant, l’élan est réel. Les gouvernements numérisent les systèmes douaniers, modernisent les ports et harmonisent les normes. Les investissements se diversifient, avec des entreprises chinoises, turques et indiennes rejoignant les acteurs occidentaux. Et la main-d’œuvre africaine, jeune, abondante et de plus en plus qualifiée, reste un attrait majeur.
L’énergie constitue également un atout essentiel et souvent négligé. Avec un potentiel solaire, hydroélectrique et géothermique abondant, l’Afrique pourrait alimenter son industrialisation en s’appuyant sur l’énergie verte plutôt que sur les énergies fossiles. Dans une économie mondiale soucieuse des émissions de carbone, l’énergie propre n’est pas seulement vertueuse, elle devient un atout compétitif. Des usines plus vertes aujourd’hui signifient un meilleur accès aux marchés demain.
Au-delà des ressources, l’Afrique possède des atouts qui peuvent stimuler la croissance à long terme : sa population jeune, sa localisation et une ambition affirmée. La proximité des marchés européens et du Moyen-Orient, combinée à la demande croissante de diversification de la chaîne d’approvisionnement, donne au continent un avantage stratégique. Le parcours de développement de l’Asie offre un modèle inspirant : transformer le coton en vêtements, le cacao en chocolat et les minéraux en batteries. Transformer, fabriquer, innover. Pour y parvenir, il faut un village. Ce village reste à construire. Et le moment est venu.
Prenez part au débat