Quand le prix de votre électricité est parmi les plus chers au monde, vous vous attendez à ce que le service rendu soit à la hauteur. Malheureusement, cette logique ne se vérifie pas en Afrique de l'Ouest : les tarifs sont deux fois plus élevés qu'en Afrique de l'Est, mais la qualité des services est faible et l'accès à l'électricité limité, conséquence de multiples petits réseaux électriques nationaux souvent inefficaces et alimentés par de coûteuses importations de pétrole. Les factures élevées ne couvrent même pas les coûts, le déficit aboutissant à des services publics mal financés et à la nécessité de les subventionner, ce qui absorbe généralement 1 % du PIB, voire davantage.
Les pays d'Afrique de l'ouest travaillent ensemble pour « mutualiser » leurs réseaux électriques afin de mieux exploiter et partager les ressources moins chères et plus écologiques disponibles. En effet, la sous-région dispose d'importantes ressources énergétiques naturelles, à savoir l'énergie hydraulique, le gaz et l'éolien principalement le long des côtes, et l'énergie solaire dans la zone du Sahel notamment. Le Système d’échanges d’énergie électrique ouest-africain (EEEOA), créé en 1999, prévoit d'interconnecter les 14 pays membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO) d'ici le milieu de la décennie et de mettre en place un marché régional de l'électricité autonome, capable de fournir à tous une électricité fiable et abordable.
Pour l'ensemble de la région, les avantages économiques d'un tel marché sont évalués jusqu’à 665 millions de dollars par an, et le coût moyen de production d'électricité devrait diminuer d'un quart à un tiers. Ces dix dernières années, la Banque mondiale a investi près de 2,3 milliards de dollars dans les infrastructures de transport d'électricité et le renforcement des capacités institutionnelles afin de soutenir l'EEEOA.
Cependant, disposer des équipements et des institutions ne suffit pas à créer un marché. Pour que les échanges commerciaux se concrétisent, les pays doivent avoir confiance les uns dans les autres, ainsi que dans le bon fonctionnement technique et financier du système. Des progrès ont certes été accomplis, mais la confiance du marché reste fragile car certains pays traînent à réaliser les investissements associés et sont rebutés par les longs délais indispensables à la création de nouvelles infrastructures dépendant de l'EEEOA. Pour d'autres, c'est la solvabilité des compagnies nationales d’électricité en butte à des difficultés financières qui remet en question leur capacité à commercer. Ces raisons, parmi d'autres, ont incité quelques pays potentiellement importateurs à continuer à tabler sur leur propre production d'électricité à petite échelle, très coûteuse, au lieu de se tourner vers les options les moins onéreuses des pays exportateurs voisins.
La Banque mondiale et d'autres partenaires aident les pays à surmonter les obstacles financiers, mais pour faire évoluer la situation et instaurer la confiance dans le marché, il a fallu se recentrer sur la coordination régionale des politiques intérieures.
Une étape importante a été franchie dans ce sens par l'adoption en décembre 2018 de la Directive de la CEDEAO sur la sécurisation des échanges transfrontaliers d’énergie électrique. Ce programme de réforme régional vise à renforcer la confiance dans l'application des accords commerciaux, à encourager les choix d'investissement peu coûteux qui favorisent les options et la concurrence régionales. Il vise également à promouvoir la transparence sur la solvabilité des compagnies publiques d'électricité et sur les décisions d'investissement essentielles, susceptibles d'avoir un impact sur la demande et l'offre pour l'ensemble du marché. La directive prône des politiques et des réformes nationales qui, si elles sont mises en œuvre collectivement dans toute la région, dynamiseront les échanges et inciteront donc à consentir des investissements qui réduiront encore les coûts.
Le financement accordé à l'EEEOA dans le cadre du Programme d'assistance à la gestion du secteur de l'énergie (ESMAP) de la Banque mondiale a facilité la préparation de la directive. À présent, l'institution contribue à la rendre opérationnelle grâce à un financement de 300 millions de dollars à l’appui des politiques de développement (DPF) pour le commerce régional de l’énergie en Afrique de l’Ouest, destiné au Burkina Faso, à la Côte d'Ivoire, à la Guinée, au Libéria, au Mali et à la Sierra Leone. Ce financement, tout comme d'autres de ce type, assure aux gouvernements un soutien budgétaire rapide en échange d'un programme de réformes institutionnelles et politiques convenues à l'avance, appelées « actions préalables ». Contrairement à d'autres DPF, celui-ci est la première opération de la Banque mondiale ciblant plusieurs pays, financé par le guichet régional de l'Association internationale de développement (IDA) –le guichet du Groupe de la Banque mondiale qui appuie les pays pauvres-- et reposant sur un cadre commun d'actions politiques et institutionnelles. Comme on pouvait s'y attendre, une phase d'appropriation a été nécessaire.
Nous tirons trois grands enseignements importants de cette opération :
- Dans un premier temps, il est important d’obtenir des accords conjoints entre les décideurs de haut niveau. Tout au début du processus (et avant la pandémie), nous avons réussi à réunir dans une même pièce les ministres des finances et de l'énergie des six pays concernés pour qu'ils se mettent d'accord sur les actions préalables à mener pour instaurer la confiance dans le commerce. Les ministères sectoriels ont ainsi accepté la mise en œuvre, difficile mais indispensable, des actions préalables qui leur étaient recommandées.
- Il faut ensuite concevoir les actions préalables de manière à ce qu'aucun événement ne vienne les perturber. Les mécanismes structurels mis en place pour régulariser les paiements du Mali à la Côte d'Ivoire étaient simples et transparents, conçus pour limiter les possibilités d'interférence. Ils n'ont pas été affectés par le coup d'État d'août 2020 au Mali, même si l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a bloqué les transferts de fonds habituels avec le Mali.
- Enfin, rester souple pour pouvoir garder le cap. La pandémie de COVID-19 et les instabilités politiques persistantes au Mali ont freiné l'efficacité du DPF, mais nous n'avons pas laissé ces aléas faire obstacle à notre objectif. Nous avons poursuivi notre travail avec les pays de manière bilatérale (et virtuelle) et, ainsi, le DPF a pu être lancé en février 2021 avec la participation pleine et entière de tous les pays.
Ces premiers progrès sont encourageants, mais le maillage des systèmes électriques de la région demeure profondément complexe. Tout récemment, des ruptures d'approvisionnement imprévues ont interrompu les exportations de la Côte d'Ivoire vers le Mali et le Burkina Faso. Plusieurs interconnexions en cours de construction permettront à terme de pallier ces incidents, car les pays pourront importer de l'électricité à partir de différentes sources régionales. En outre, les réformes réglementaires soutenues par le DPF renforceront encore les échanges commerciaux et la confiance. Une transformation de cette ampleur prend du temps, mais petit à petit, l'Afrique de l'Ouest sera plus autonome, plus verte et mieux à même de faire face aux chocs. Ensemble avec les pays, nous sommes plus que jamais déterminés à assurer une électricité abordable et fiable pour tous.
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