L’emploi des jeunes en Afrique subsaharienne

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ImageVoici un peu moins de deux ans, j’ai copublié avec une équipe de la Banque mondiale le rapport intitulé L’emploi des jeunes en Afrique subsaharienne. Nous y traitions du décalage croissant entre les attentes de la jeunesse africaine et les réalités des marchés du travail et des mesures que les gouvernements devraient prendre pour y remédier. Sachant qu’au cours de la prochaine décennie, ce sont quelque 11 millions de jeunes Africains qui frapperont chaque année aux portes du marché du travail, les conclusions et les messages clés de ce rapport restent d’actualité.
 
Pluridimensionnel, le défi de l’emploi des jeunes ne peut être résolu en se contentant par exemple de multiplier les offres de formation (contrairement à ce que l’on entend souvent). Tout l’enjeu consiste à faire en sorte que les jeunes travailleurs (et les autres) gagnent un revenu décent, indépendamment de leur type d’activité. La jeunesse doit pouvoir s’appuyer sur des compétences solides — son capital humain — à apporter à son travail. Les agriculteurs, les entrepreneurs et les investisseurs ont besoin d’un environnement propice pour créer davantage de débouchés productifs. Les pouvoirs publics doivent s’atteler au problème de la qualité de l’enseignement de base et démanteler les obstacles à l’essor de l’agriculture, des entreprises individuelles et de l’activité manufacturière.

 
Pratiquement 80 % des Africains travaillent dans le secteur informel, sur des petites exploitations ou dans des entreprises familiales, et touchent en général de maigres revenus. Il ne s’agit donc pas seulement de s’attaquer au problème du chômage mais bien de trouver des solutions pour augmenter les gains du travail, quel qu’il soit.

Depuis 15 ans, l’Afrique a connu un rythme de croissance impressionnant (environ 7 % par an) qui ne s’est pourtant pas traduit par une création d’emplois à grande échelle ni un recul de la pauvreté. L’essentiel de cette dynamique était en effet assuré par les industries extractives, peu pourvoyeuses d’emplois. En dépit de l’essor rapide du secteur salarié formel dans certains pays (+ 10 % par an au Ghana par exemple) et même dans le meilleur des scénarios possible, ce secteur ne créera pas suffisamment d’emplois dans les années à venir. Sur la base de prévisions optimistes de la conjoncture économique globale et d’estimations hautes en ce qui concerne les emplois créés grâce à cette croissance dans le secteur salarié formel, le rapport présentait des projections du profil des emplois disponibles en 2020, en s’appuyant sur le parcours de pays comme le Bangladesh ou le Viet Nam (Fox et al. 2013 [a]). Les résultats sont édifiants : malgré le nombre significatif d’emplois créés, la structure de la population active reste étonnamment semblable à celle qui prévaut actuellement — dans les pays d’Afrique à faible revenu, l’agriculture concentrerait 60 % des emplois, contre 20 % pour les entreprises individuelles, avec 13 % de salariés dans le secteur des services et seulement 6 % dans le secteur industriel. La démographie et l’écart entre les stocks et les flux signifient qu’il ne faut pas attendre d’évolution avant longtemps.
 
Dès lors, comment les gouvernements doivent-ils réagir ? Le rapport propose un cadre permettant d’apprécier systématiquement les entraves à la hausse des revenus liées au capital humain mais aussi les conditions à réunir dans l’environnement des affaires pour garantir des emplois productifs. Ce cadre ne se contente pas d’analyser le secteur salarié formel. Il s’intéresse aussi aux gains de productivité dans l’agriculture et les entreprises familiales. Il avance des recommandations sur les actions à engager « maintenant pour maintenant » et celles à engager « maintenant pour plus tard ».
 
En voici un résumé :

  • réformer l’environnement des affaires pour attirer des investissements dans des grandes entreprises afin de créer de nombreux postes salariés formels et d’aider ces entreprises à gagner en compétitivité. Parmi les réformes prioritaires, l’amélioration de l’accès au financement et aux services d’infrastructure, l’optimisation de la logistique commerciale et l’aplanissement des obstacles réglementaires à l’entrepreneuriat ;
  • redoubler d’efforts pour soutenir le secteur informel, en reconnaissant son importance et en offrant un statut juridique à ceux qui y travaillent. Ce soutien passe par l’accès i) aux terres ou à un lieu (officiel) où exercer une activité ; ii) aux services publics (sécurité notamment) et aux infrastructures (alimentation électrique) pour offrir un environnement sûr et prévisible aux petites entreprises ; et iii) au financement pour que même les petits exploitants et les entrepreneurs individuels puissent investir et améliorer leur productivité ;
  • s’assurer que les jeunes acquièrent un socle de compétences fondamentales solide. L’Afrique subsaharienne connaît une crise des apprentissages : alors que toujours plus d’enfants sont scolarisés, la plupart n’apprennent pas grand-chose à l’école. En troisième année, une majorité d’écoliers ne savent pas reconnaître un mot dans un paragraphe simple. En fin de primaire, selon une évaluation des compétences en calcul réalisée dans 14 pays d’Afrique australe et orientale, 60 % des élèves ne dépassent pas le niveau « de base » tandis qu’une étude récente conduite dans 10 pays francophones d’Afrique de l’Ouest et centrale révèle que 60 % des élèves ne peuvent répondre qu’à des questions courtes faisant appel à des connaissances factuelles ou à une procédure spécifique (ce que les auteurs qualifient de seuil de compétences « suffisant »). En s’attelant à ces problèmes éducatifs pressants, les pouvoirs publics pourraient s’assurer que les jeunes Africains acquièrent les fondamentaux sur lesquels s’appuyer ensuite, dans leurs études ou leur travail. D’autres dimensions du capital humain requièrent des actions : les gouvernements doivent mettre en place des programmes de développement de la petite enfance puisque l’on sait que les enfants qui démarrent leur vie en étant suffisamment nourris et stimulés réussiront mieux une fois adultes. De même, les employeurs attendent de leurs salariés qu’ils aient un niveau certain de compétences socioaffectives — une qualité également recherchée dans les entreprises individuelles. Il faut donc miser sur ces compétences (dans le cas d’adolescentes, l’apprentissage de « compétences pour la vie » leur a permis d’obtenir des revenus supérieurs) ;
  • promouvoir un secteur privé dynamique pour l’enseignement et la formation professionnels (apprentissage compris). Il faut notamment mieux informer et faciliter l’accès aux formations existantes pour les jeunes défavorisés et offrir dans le même temps des possibilités de formation de meilleure qualité (sans devoir forcément assurer ces services). Dans le cas de marchés de la formation bien développés, les interventions publiques doivent être sélectives, privilégier la performance et s’appuyer sur des données probantes. Le rapport a ainsi constaté que les programmes associant formation et accès au financement (pour démarrer une entreprise ou investir dans une activité) sont très prometteurs.
 
Il n’existe certes pas de panacée pour résoudre le défi de l’emploi des jeunes mais un certain nombre d’actions peuvent — et doivent — être engagées pour faire en sorte que la jeunesse africaine soit correctement préparée au monde du travail et que l’activité professionnelle, quelle qu’elle soit, devienne nettement plus lucrative qu’actuellement.
 
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Auteurs

Deon Filmer

Économiste principal au Groupe de recherche de la Banque mondiale

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