Lutter contre la pauvreté grâce à la puissance industrielle ? Quelques réflexions à l’occasion de la Journée de l’industrialisation de l’Afrique

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Alors que l’on célèbre le 26e anniversaire de la Journée de l'industrialisation de l'Afrique, un volumineux rapport publié par la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique remet sur le devant de la scène la nécessaire transformation structurelle des pays africains via l’industrialisation, condition sine qua non d’une croissance économique soutenue et de l’élimination de la pauvreté sur ce continent.

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Nous avons beaucoup appris depuis que la transformation structurelle, qui consiste à passer à des activités et des secteurs économiques plus productifs, est devenue un axe fondamental de la politique de développement en Afrique. On sait que les changements structurels n’offrent pas tous les mêmes perspectives sur le plan de la réduction de la pauvreté, en particulier à court terme. Pour parvenir à une croissance bénéficiant à tous, il faut développer des industries qui génèreront une valeur économique ajoutée et qui donneront des emplois à la population pauvre non qualifiée. Compte tenu de l’importance de l’agriculture pour l’emploi, ceci implique, pour beaucoup de pays africains, de développer les filières agricoles et de se tourner vers la transformation des produits de base agricoles dont ils disposent en abondance. C’est du reste un objectif que la Banque mondiale met en avant dans les diagnostics nationaux et les cadres de partenariat qu’elle élabore pour l’ensemble des pays du continent africain. Et, ce qui ne gâte rien, cette stratégie peut avoir des répercussions bénéfiques sur l’égalité entre les sexes : la création d’emplois dans l’industrie de transformation des produits agricoles permettra aux femmes, qui sont généralement exclues de l’agriculture commerciale, de se positionner à un niveau plus élevé de la chaîne de valeur. En effet, ces emplois sont moins soumis aux normes de sexe traditionnelles, et les entreprises agroalimentaires font toujours largement appel à une main-d’œuvre féminine.

Cependant, la transformation structurelle est encore loin d’être une réalité. L’Afrique ne s’industrialise pas, et bien des observateurs avancent qu’elle est même en train de se désindustrialiser. La Côte d’Ivoire (a) par exemple, qui est le plus important producteur mondial de noix de cajou par habitant, exporte 90 % de sa récolte pour qu’elle soit transformée à l’étranger. Il en résulte pour ce pays des pertes considérables en termes de valeur ajoutée et d’opportunités d’emploi locales. Nombre des obstacles à l’industrialisation, qui vont de la lourdeur des procédures administratives à la mauvaise qualité de l’infrastructure, ont déjà été abondamment décrits. Mais l’un des plus préoccupants, auquel j’ai beaucoup réfléchi en élaborant un nouveau projet sur ce thème avec mon équipe du Laboratoire d’innovation pour l’égalité des sexes (a), est le niveau élevé des coûts de main-d’œuvre unitaires pour les entreprises, c’est-à-dire le rapport entre la rémunération et la production des travailleurs. D’après les économistes, en Afrique, les coûts de main-d’œuvre sont systématiquement plus élevés que dans les autres régions du monde, de sorte que la productivité plus faible n’y est pas contrebalancée par des salaires plus bas, et, malgré un taux de chômage élevé, la demande de main-d’œuvre peu qualifiée n’est pas satisfaite. Mais ce n’est pas tout : dans une étude (a) de 2013, Gelb et al. constatent qu’en Afrique, la main-d’œuvre est particulièrement coûteuse pour une catégorie d’entreprises : celles qui génèrent une forte valeur ajoutée par travailleur et qui, parallèlement, affichent une faible intensité en capital. Or, comme indiqué plus haut, c’est précisément le type d’entreprises qui permettrait à l’Afrique de faire reculer la pauvreté.

Une telle situation compromet le développement du continent africain. Si les entreprises qui pourraient contribuer le plus à la lutte contre la pauvreté sont aussi celles dont les coûts de main-d’œuvre sont les plus élevés, la croissance dans les secteurs offrant des perspectives de croissance inclusive sera très limitée. Pourquoi ? Je compte explorer cette question avec mon équipe, en menant une étude quantitative et qualitative approfondie sur l’emploi formel dans le secteur de la transformation des noix de cajou en Côte d’Ivoire. Nous ne manquerons pas de vous tenir informés des fruits de nos travaux !
 


Auteurs

Aletheia Amalia Donald

Economist, Gender Innovation Lab, World Bank

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