Nourrir l’Afrique de l’Ouest : un agenda pour le commerce régional

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L’agriculture est la pierre angulaire des économies africaines : en Afrique subsaharienne, les produits de base — le bétail et la viande, les céréales, les légumineuses, les racines et les tubercules — constituent les principales sources d’apports caloriques. En Afrique de l’Ouest, où vivent 300 millions de personnes, l’agriculture emploie 60 % de la population active. Mais malgré son immense potentiel, la région devient dépendante des importations de denrées alimentaires pour couvrir ses besoins de consommation : celles-ci ont plus que triplé en dix ans.

IMPORTATIONS DE DENRÉES ET PRODUITS ALIMENTAIRES EN AFRIQUE DE L’OUEST
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Source: UN COMTRADE (mirror statistics)
 
Un nouveau rapport du Pôle mondial d’expertise en commerce et compétitivité pour la Région Afrique, intitulé Connecting food staples and input markets in West Africa (Connecter les marchés des produits alimentaires de base et les marchés des intrants en Afrique de l'Ouest), revient sur la création d’un marché régional de denrées de base en Afrique de l’Ouest qui, pour l’instant, est encore balbutiant mais devrait faire partie des priorités des politiques agricoles des États de la région.

Dans le sillage de la crise alimentaire de 2008 et de la flambée des prix alimentaires mondiaux, la nécessité de remettre à plat les politiques agricoles des pays d’Afrique de l’Ouest est devenue particulièrement aiguë. La crise a notamment révélé la faiblesse des capacités de production ouest-africaines, et la région semble de moins en moins en mesure de nourrir sa population. L’essor de l’urbanisation et le retour de la croissance ont par ailleurs accentué le besoin des populations de recourir au commerce pour assurer leur subsistance, s’éloignant des schémas historiques d’autonomie de la consommation agricole. La crise a mis en évidence le contraste entre une dépendance toujours plus marquée à l’égard des marchés internationaux et un recours comparativement moindre aux marchés régionaux.  À ceci s’ajoute un manque de concertation des politiques et des mécanismes de riposte au sein de la région.
 
L’absence de commerce régional prive l’Afrique de l’Ouest d’une opportunité d’assurer sa sécurité alimentaire. Les caractéristiques physiques des zones agroécologiques plaident en ce sens, les substrats et régimes de précipitation des divers pays créant des marchés transfrontaliers naturels. La carte ci-dessous résulte d’une géosimulation couvrant six États membres de la CEDEAO — le Bénin, le Burkina Faso, le Ghana, le Niger, le Nigéria et le Togo — qui montre comment les bassins de marché (zones colorées), définis comme la distance la plus courte par la route entre les consommateurs et les marchés physiques (représentés par des points) sont naturellement à cheval sur les frontières entre ces pays.
 
SIMULATION DES BASSINS DE MARCHÉ DANS SIX PAYS DE LA CEDEAO
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Le programme agricole de la CEDEAO reconnaît depuis longtemps le rôle central des denrées de base dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et la pauvreté. Les politiques visant à créer un marché régional ne sont cependant pas encore reprises dans les dispositions nationales et les marchés régionaux restent extrêmement fragmentés — alors qu’il existe des marchés transfrontaliers naturels et que, même face au vide juridique, le commerce de denrées alimentaires est déjà très dynamique, via des canaux informels. Selon des estimations récentes discutées dans le rapport, le marché noir représenterait au bas mot 75 % des échanges de denrées de base à l’échelle régionale.

Pourtant, de nombreux États membres de la CEDEAO persistent à privilégier leur autosuffisance, répercutant le coût de cette politique sur les consommateurs, au risque parfois d’annihiler l’effet des subventions, tout en privant les producteurs de précieuses opportunités sans pour autant parvenir en définitive à sécuriser les marchés intérieurs. Face à ces marchés transfrontaliers florissants, à la disparition des communautés agricoles et à l’évolution des goûts des consommateurs urbains, ce modèle semble condamné à l’échec. Des pressions politico-économiques poussent souvent les gouvernements des pays de la CEDEAO à satisfaire des intérêts à court terme, à coup d’interdictions d’importations, de mesures de protection ou de subventions, au détriment de leurs voisins directs. Associées à un grave déficit d’intrants — financements, transport et infrastructures de stockage notamment — ces politiques ont entretenu l’éclatement des chaînes logistiques et exclu les petits exploitants et négociants du secteur formel.

Seule une action collective, à rebours des stratégies protectionnistes, permettra la constitution de marchés de denrées de base sécurisés. Une approche plus régionale des politiques agricoles permettrait aux pays de bénéficier des retombées habituelles du commerce, comme la baisse des prix et une plus grande diversité de produits pour les consommateurs, la hausse des prix pour les producteurs (dans la plupart des cas) et des mécanismes de solidarité qui permettent d’acheminer facilement les excédents vers les zones en déficit. Conjuguée aux leviers découlant de l’ouverture commerciale, notamment l’amélioration de la logistique (en commençant par une réforme des transports, des modes de stockage et de la gestion post-récoltes et par la facilitation des procédures d’échange grâce à la mise en œuvre effective du Schéma de libéralisation des échanges de la CEDEAO) et à la création de marchés régionaux pour les intrants (semences, engrais et pesticides par exemple), une telle politique pourrait contribuer à la réalisation du double objectif d’assurer la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest et de créer un marché régional intégré pour les denrées de base et les intrants.

La CEDEAO est particulièrement bien placée pour faciliter, coordonner et mener à bien une telle transition et a déjà agi dans certains domaines. Comme le montre le rapport dans son analyse des marchés des semences et des engrais, le programme régional est très actif en la matière et les institutions de la CEDEAO ont fait preuve d’initiative et de leadership, notamment avec l’adoption de règles harmonisées sur les échanges et le contrôle de la qualité en 2008 et 2012. Des difficultés persistent malgré tout, surtout en raison des niveaux très disparates de capacités des États membres et de leur volonté inégale de donner suite à ces engagements. Des doutes ont d’ailleurs été exprimés quant à la capacité de certains pays à mettre en œuvre des engagements qui exigent de solides moyens administratifs alors même que bon nombre d’initiatives et de règles de la CEDEAO manquent de visibilité et de transparence et sont difficilement accessibles, même pour les pays membres disposés à les appliquer.

S’ils veulent stabiliser l’approvisionnement en denrées alimentaires en Afrique de l’Ouest, les États membres de la CEDEAO doivent considérer le commerce régional comme l’occasion d’atteindre leurs objectifs de développement des produits de base, en reconnaissant le rôle central du commerce informel et des importations, en respectant leurs engagements et en minimisant les distorsions. Mais les politiques régionales doivent compléter les politiques intérieures et n’ont s’y substituer, et être adaptées à des besoins clairement identifiés plutôt que de se disperser dans des initiatives trop nombreuses avant même que les engagements ne soient effectivement tenus. Les gouvernements doivent en outre privilégier la création d’un marché régional des intrants, pour doper les rendements et favoriser des gains de productivité qui rejailliront sur l’intégralité de la chaîne de valeur. Enfin, les États doivent améliorer la transparence des décisions commerciales ayant un impact sur l’agriculture et abandonner leur traditionnel rôle dans l’organisation de l’activité économique, pour inciter le secteur privé à adapter l’offre à la demande et ce faisant, renforcer la production tout au long de la chaîne de valeur et développer des agro-industries créatrices de valeur ajoutée, comme le préconisait un récent rapport de la FAO.

Les denrées de base sont au cœur du programme de la CEDEAO pour l’agriculture. L’expérience douloureuse de ces dernières années a bien montré l’importance de la coopération transfrontalière pour assurer l’approvisionnement alimentaire mais aussi pour gérer des ressources naturelles communes et faire face aux maladies et défis sécuritaires dans la région. Le moment est venu d’ouvrir la voie au commerce régional dont on sait qu’il permet de nourrir les populations, réduire la pauvreté, créer des emplois et promouvoir une prospérité partagée.

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