Plus instruites, moins bien payées : comprendre les écarts de salaires entre les sexes à Maurice

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Photo: Arne Hoel


Dans les pays à revenu intermédiaire et élevé, les écarts de niveau d’instruction entre les hommes et les femmes ont pratiquement disparu. Dans certains cas, les filles surpassent même les garçons au cours de leur scolarité. Pourtant, une fois adultes, elles gagneront environ 16 % de moins par heure de travail que leurs collègues masculins (OIT 2018).

Maurice ne fait pas exception. Selon des données de 2016, 56,6 % des étudiants du supérieur recensés (33 269 personnes) étaient des femmes, contre 43,4 % d’hommes (Commission de l’enseignement supérieur 2017 [a]). Pourtant, cette supériorité des filles et des femmes en termes de réussite scolaire ne se retrouve pas dans les opportunités d’emploi : le taux de participation des femmes à la population active s’établit à 57 %, pour 88 % chez les hommes. Pour chaque dollar gagné par un homme dans le secteur privé, une Mauricienne sera rémunérée 72 cents.

Si rien n’est fait pour réduire les écarts entre les sexes sur le marché du travail, le rendement des investissements dans le capital humain des femmes continuera de baisser. Pour des pays comme Maurice, confrontés à un vieillissement rapide de leur population et qui n’ont pas atteint tout leur potentiel productif, il faut permettre à tous les citoyens, femmes et jeunes compris, d’exprimer pleinement leurs capacités.

Le pays ne part pas de rien : depuis dix ans, les autorités mauriciennes ont largement œuvré pour améliorer l’égalité hommes-femmes sur le marché du travail. Et, selon l’édition 2019 du rapport de la Banque mondiale sur Les Femmes, l'Entreprise et le Droit, Maurice fait partie des six premiers pays réformateurs en termes d'amélioration des lois et des réglementations discriminatoires compromettant l’égalité des chances. Pour autant, le compte n’y est pas. Le taux de participation des femmes au marché du travail est en hausse constante depuis 2004, puisqu’il est passé de 46,9 % à 57 % actuellement. La plupart des gains obtenus sur ce plan sont dus aux cohortes de jeunes femmes, surtout quand elles sont diplômées du secondaire, qui ont davantage tendance à travailler que les femmes plus âgées ou moins instruites (graphique 1- a). Mais les écarts restent sensibles et se creusent encore aujourd’hui, quand une jeune femme se marie et a des enfants, sans jamais revenir au sommet atteint pour les filles âgées de 20 à 25 ans (graphique 1- b). Et la progression obtenue sur le plan du taux d'activité ne va pas de pair avec une réduction des écarts de salaire : selon un rapport récent (a), entre 2004 et 2015, les Mauriciennes salariées dans le secteur privé ont touché en moyenne une rémunération horaire 30 % inférieure environ à celle des hommes.

Graphique 1. Taux de participation au marché du travail, par sexe, situation matrimoniale et niveau d’instruction, 2004-15

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Source : Données des enquêtes auprès des ménages réalisées par le Bureau central de la statistique de Maurice.

Comment expliquer un tel décalage ? Les écarts de taux d'activité et de salaire sont à imputer en partie à certaines caractéristiques par lesquelles hommes et femmes se distinguent. En plus du niveau d’instruction, la situation matrimoniale, la présence de nourrissons, d’enfants ou de membres de la famille plus âgés influent sur le taux d'activité ; quant aux salaires, ils sont souvent déterminés par le métier, le secteur d’activité et la taille de l’entreprise. Mais ces facteurs échouent à expliquer une part non négligeable des écarts hommes-femmes, car d’autres dynamiques sont à l’œuvre. Voici certains facteurs moins visibles qui pourraient expliquer ces différences persistantes : les valeurs culturelles et les normes sociales assignent aux Mauriciennes un rôle traditionnel de prise en charge des enfants et des personnes âgées ; ce sont aussi elles qui gèrent tout un éventail d’activités non marchandes ou domestiques. Sept Mauriciens sur dix estiment qu’il vaut mieux, pour le bien-être de la famille, qu’une femme soit en charge du foyer et des enfants (Afrobaromètre 2017). Ces normes transparaissent dans le temps passé par les femmes, contrairement aux hommes, à accomplir les tâches ménagères et à s’occuper des enfants. Les femmes actives consacrent trois fois plus de temps par jour que les hommes actifs à assumer ces rôles : en moyenne, elles y passent 3,8 heures, contre 1,2 heure pour les hommes (Bureau central de la statistique 2005 [a]).

Plus une femme passe du temps dans des activités non marchandes, moins elle peut se consacrer à un travail rémunéré. Résultat, les femmes ont tendance à opter pour une carrière moins compétitive et moins lucrative, afin de bénéficier d’une plus grande flexibilité professionnelle. Elles sont surreprésentées dans les secteurs traditionnels et les métiers peu qualifiés. Bien entendu, l’autosélection induite par les normes sociales n’explique pas, à elle seule, les écarts observés. S’ajoutent la discrimination et les préjugés, y compris dans le choix des études. D’autant qu’il existe probablement d’autres différences entre les hommes et les femmes qui ne sont pas (encore) systématiquement mesurées, comme les compétences non cognitives (a), mais qui peuvent expliquer ces écarts.

Quels sont les leviers possibles ? Sans dispositions spécifiques, les écarts de taux d'activité devraient mécaniquement se résorber, avec la hausse du nombre de femmes ayant fait des études et voulant travailler. Les réformes législatives récentes y contribueront aussi, mais tout cela ne suffira pas à réduire sensiblement les inégalités hommes-femmes. De nombreuses autres politiques peuvent entrer en jeu, à la fois pour accroître la participation des femmes au marché du travail et pour lutter contre les écarts de salaire : congé parental (plus favorable aux femmes et incitant les hommes à prendre du temps après la naissance d’un enfant), prise en charge des enfants moins coûteuse et plus accessible (et qui bénéficiera autant aux parents en activité qu’aux enfants), évolution du système éducatif (avec l’ouverture des champs d’études et des parcours professionnels pour les jeunes femmes), efforts visant à faire évoluer les normes et les préjugés sur l’emploi des femmes dans les postes bien rémunérés, etc. Mais surtout, il serait judicieux de s’inspirer de la fonction publique mauricienne qui, en rémunérant légèrement plus les femmes que les hommes, incite celles-ci à entrer sur le marché du travail et promeut ainsi un traitement plus équitable.


Auteurs

Marco Ranzani

Économiste au sein de l’équipe Afrique du pôle Réduction de la pauvreté et des inégalités

Kathleen Beegle

Économiste senior au sein du groupe de recherche sur le développement de la Banque mondiale

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