Moussa a acheté sa première carte SIM en 2011 pour rester en contact avec sa famille. Il avait alors quitté Kati, pour Tombouctou et le téléphone portable était son seul lien avec ses proches. Près d'une décennie plus tard, la téléphonie mobile permet à des personnes comme Moussa non seulement de communiquer, mais aussi d'envoyer de l'argent, d'épargner et d'accéder à l'assurance et au crédit. Plus largement, comme le soulignent la note d'orientation sur les services financiers numériques de l’Initiative pour l'Économie numérique en Afrique (DE4A) de la Banque mondiale (a) et les données du projet pour la promotion de l'accès au financement (PAFEEM) (a), la technologie a la capacité de soutenir une croissance inclusive et le redressement du pays.
En Afrique subsaharienne, les technologies numériques ont fortement contribué à améliorer l'inclusion financière, qui a grimpé de 43 à 55 %. Grâce à ces services financiers dématérialisés, les particuliers peuvent désormais effectuer des paiements, recevoir des envois de fonds, accéder à l'épargne, au crédit et à l'assurance, et réaliser des investissements. Pour les pouvoirs publics qui versent des allocations d'urgence aux ménages et aux entreprises, les services financiers numériques (a) permettent de renforcer la responsabilisation, d’assurer un meilleur suivi de l'utilisation des fonds et d’en évaluer l'impact. Il est possible de réduire les risques de déperdition et de veiller ainsi à ce que les bénéficiaires reçoivent la totalité de la valeur des fonds.
La part des transactions mobiles exprimée en pourcentage du PIB a bondi de 21 % en 2015 à 65 % en 2021, avec 935 comptes d'argent mobile pour 1 000 adultes en 2021. Cependant, la dépendance à l'égard des paiements en espèces reste forte. En 2021, seuls 38 % des adultes ont reçu un paiement par voie numérique au Mali, contre 79 % au Kenya et 49,5 % au Ghana.
Outre les systèmes de paiement par mobile, les transferts de fonds numériques stimulent l'inclusion financière. Le Mali est l'un des premiers pays destinataires de remises migratoires. En 2020, les Maliens ont reçu officiellement 987 millions de dollars d'envois de fonds internationaux. Et, selon les estimations de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), 450 millions de dollars de transferts d'argent au sein de la région s'effectuent via le secteur informel.
Les disparités entre hommes et femmes au Mali s'étendent aux services financiers. Les inégalités se manifestent au niveau de la détention d'un compte bancaire (18 % pour les femmes contre 26 % pour les hommes), de la possession d'une carte de crédit (4 % contre 9 %) et des paiements numériques (14 % contre 22 %). En outre, seulement 22 % des fintechs maliennes sont dirigées par des femmes.
Le Mali s’efforce de développer les services financiers numériques, mais des difficultés subsistent au niveau de l'infrastructure, de la réglementation et du marché. Le gouvernement malien souhaite connecter son Trésor public au commutateur régional afin de développer la numérisation des paiements. Mais l'inefficacité de l'interface de connexion au commutateur régional empêche les acteurs tant publics que privés d'utiliser le système de paiement et engendre des problèmes d'interopérabilité.
La part des paiements publics effectués par voie numérique est plus faible que dans la plupart des autres pays de la région. Plusieurs systèmes de paiement et réglementations dans le secteur bancaire et de la microfinance sont obsolètes.
L'infrastructure de crédit est limitée et le cadre institutionnel doit être renforcé. La réglementation sur l’évaluation du crédit ne permet pas d’utiliser les données figurant sur les factures de services publics prépayés, ce qui limite les méthodes disponibles pour évaluer la solvabilité des clients.
L'absence de stratégie visant à moderniser la mobilisation des recettes et les dépenses publiques place le Mali à la traîne. Le Mali doit se doter d’une feuille de route claire en matière de paiements numériques pour pouvoir améliorer les services financiers et l'inclusion. Il manque une collaboration entre la banque centrale et l'Agence malienne de régulation des télécommunications et des postes. Autre difficulté : l’absence de mécanismes de recours pour traiter les plaintes des consommateurs malgré l'augmentation du nombre d'incidents frauduleux.
Les coûts élevés freinent en outre l'adoption des services financiers numériques. Selon une étude de la Banque mondiale, il n’y a pas de frais de transfert dans la plupart des pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Or, au Mali, les frais de transfert sur les paiements entre particuliers s’élèvent à 0,10 dollar, et les frais sur les retraits d'argent peuvent atteindre 4,5 dollars. Les faibles taux d'alphabétisation nuisent aussi à l'adoption et à l'utilisation des services financiers numériques.
Le Mali s'est engagé, avec le soutien de la Banque mondiale, à accroître l'accès aux services financiers à travers la stratégie nationale d'inclusion financière 2021-2026, et à aider les personnes vulnérables grâce à des allocations sociales versées sur un compte. Pendant la pandémie, le programme Jigisemeyiri a fourni des transferts monétaires à 62 000 ménages souffrant d'insécurité alimentaire. Le PAFEEM (a) accélérera l'accès à un compte courant pour des milliers de particuliers et de micro, petites et moyennes entreprises.
Pour accélérer l'adoption des services financiers numériques, le Mali doit :
- Améliorer l'infrastructure financière et numérique. Le Trésor public joue un rôle central dans l'adoption des services financiers numériques. La première étape consiste à relier le Mali au système de paiement du Groupement interbancaire monétique de l'UEMOA (GIM-UEMOA) et à mettre en place une plateforme nationale. Il faut aussi autoriser la centrale des risques de crédit à élargir sa base de données clients afin d'adopter de nouvelles méthodes de notation et favoriser l’essor des micro-prêts. Étendre la couverture internet dans les zones rurales sera également utile.
- Mettre à jour le cadre réglementaire et juridique de sorte à intégrer les mutations technologiques. De nouvelles lignes directrices facilitant l'entrée sur le marché des nouveaux arrivants et le recrutement d'agents permettront de développer les services financiers numériques. Elles doivent être associées à un cadre rigoureux de protection des consommateurs. La création d'un observatoire de la qualité des services financiers sera essentielle.
- Adapter la technologie aux pratiques locales. Pour faire progresser l'adoption des services financiers numériques dans la population féminine, il serait pertinent de digitaliser les petites associations d'épargne (tontines) et les services de micro-assurance créés par des femmes dans la sphère informelle.
- Intégrer les services financiers numériques dans tous les secteurs et multiplier les usages. Des programmes pour chaque secteur prioritaire (éducation, agriculture, protection sociale et énergie) renforceront la transformation numérique en créant des services de deuxième génération : microcrédit, micro-assurance et micro-épargne. Les fintechs maliennes sont présentes sur ce créneau et proposent des services de paiement, de crédit et d'assurance numériques.
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