Quelles seront les conséquences de la pandémie de COVID-19 sur la pauvreté en Afrique ?

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Avec environ 380 000 cas confirmés et 7 000 décès au début du mois de juillet, les chiffres sur la prévalence et la mortalité du coronavirus (COVID-19) (a) en Afrique subsaharienne paraissent relativement bas par rapport au reste du monde. Cependant, alors que la pandémie est toujours là et que l’ampleur des contaminations est sujette à caution du fait du nombre limité de tests de dépistage, de nombreuses questions restent encore sans réponse. Nous nous pencherons ici sur deux interrogations : combien de personnes supplémentaires vont-elles basculer dans la pauvreté ? que faut-il faire pour sortir plus fort de la crise ? 

Bien que nécessaires, les mesures rapides et drastiques prises par plusieurs gouvernements africains pour contenir la maladie sont lourdes de conséquences économiques. L'Afrique subsaharienne connaîtra en 2020 sa première récession depuis 25 ans. Les prévisions régionales indiquent actuellement une baisse de trois à cinq points de pourcentage de la croissance du produit intérieur brut (PIB) par habitant. Selon nos estimations, un recul de 3 % du PIB par habitant (d’après le scénario le plus optimiste) entraînera 13 millions d’africains sous le seuil international de pauvreté (fixé à 1,90 dollar par jour en parité de pouvoir d’achat de 2011). Ils seront encore bien plus nombreux si les mesures de confinement perdurent et que la récession se prolonge ou s’aggrave : un déclin de 5 % du PIB par habitant risque de faire régresser la région aux taux de pauvreté enregistrés en 2011, et ce sont alors 50 millions d’habitants qui deviendront pauvres. Il s’agirait d’un revers désastreux pour les progrès obtenus de haute lutte dans la réduction de la pauvreté depuis plusieurs années.

Figure 1 : Le taux de pauvreté en Afrique subsaharienne augmentera de plus de deux points de pourcentage en 2020   

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Poverty rate for SSA will increase more than 2 percentage points in 2020

Derrière ces chiffres, il y a des familles et des individus en proie à des situations irréductibles à l’évolution des grandeurs économiques. Les services essentiels ont subi une désorganisation générale. Des millions d'enfants sont privés de classe. On ne sait pas quand les établissements scolaires pourront rouvrir, et certains élèves ne reprendront jamais le chemin de l’école. Il faut craindre aussi un surcroît de mortalité maternelle et infantile lié à des maladies évitables mais non traitées en raison du coronavirus. Soit autant de reculs massifs qui mettent en péril des années de progrès dans l'amélioration du capital humain en Afrique subsaharienne.  

Fermetures d’entreprises, perturbations des marchés et suppressions d’emplois : les mesures de confinement conduisent à d’immenses pertes de revenus. Selon une enquête téléphonique réalisée en Éthiopie, 45 % des ménages urbains interrogés et 55 % des foyers ruraux ont subi une baisse de leurs revenus due à la crise sanitaire. Au Nigéria, 79 % des personnes sondées ont fait état de pertes de revenus et 42 % ont indiqué avoir perdu leur emploi. Parce que la pandémie frappe de plein fouet les migrants internationaux, mais aussi ceux de l’intérieur installés dans les zones urbaines, on assiste aussi à un tarissement des transferts d'argent locaux et de l’étranger.  

Ces chocs ont plus durement touché les zones urbaines, où les répercussions initiales des mesures de confinement ont été plus fortement ressenties. Les pertes de revenus ont été plus élevées pour les travailleurs pauvres et du secteur informel, qui occupent généralement des emplois qui ne peuvent s’exercer à distance : hôtellerie, commerce de détail, distribution, etc. Comme on pouvait s’y attendre, les caractéristiques des « nouveaux pauvres » en Afrique subsaharienne diffèrent sensiblement du profil de ceux qui vivaient déjà sous le seuil de pauvreté. Ainsi, la proportion de pauvres vivant en milieu urbain est passée de deux à trois sur dix avant et après la pandémie, soit une augmentation de dix points de pourcentage.  

L’ampleur du défi posé par le coronavirus et les incertitudes entourant la maladie ont conduit à la préconisation (et souvent à l’adoption) de nombreuses actions destinées à sauver des vies et protéger les moyens de subsistance : transferts monétaires, distribution de nourriture, allègements fiscaux, etc. Or, ces interventions ne parviendront probablement pas à atteindre la majorité des nouveaux pauvres, qui vivent pour la plupart en milieu urbain. Dans ces conditions, comment sortir plus fort de la crise ? Nous proposons deux solutions à court terme et trois pistes de réflexion pour le moyen terme.  

Dans l’immédiat, les décideurs publics pourraient exploiter des données non officielles mais néanmoins riches d’informations pour venir en aide aux nouveaux pauvres, comme par exemple les bases de données des groupes d’entraide communautaires et des coopératives, ou encore les relevés d’appels des compagnies de télécommunications. Les pays devraient par ailleurs investir dans des observatoires (a) chargés d’assurer un suivi très régulier des répercussions de la pandémie sur les familles, afin d’apporter des aides appropriées. À moyen terme, les responsables de l’action publique devraient réfléchir à l’utilité de constituer des bases de données universelles, sachant qu’il sera plus facile de cibler des groupes spécifiques à partir de ce type de registre.  

Deux autres mesures seront nécessaires pour mieux résister aux prochains chocs mondiaux, qu’il s’agisse d’une autre pandémie, d’une crise climatique ou d’un conflit de grande ampleur. La première consiste à investir dans les infrastructures numériques afin de les rendre moins coûteuses et accessibles à tous, en les considérant en quelque sorte comme des services aussi essentiels que l’accès à l’électricité et à l’eau. La seconde vise à encourager la production industrielle sous-régionale. Beaucoup de pays africains n’étant pas suffisamment grands pour consentir à eux seuls ces investissements à un coût raisonnable, nous appelons de nos vœux une mobilisation urgente en faveur d’une résilience sous-régionale (si ce n'est régionale).  

Comment l’Afrique peut-elle surmonter cette crise en reconstruisant mieux son avenir ? Votre avis nous intéresse !  


Auteurs

Andrew Dabalen

Chief Economist, Africa, World Bank

Pierella Paci

Practice Manager, Poverty and Equity Global Practice, World Bank

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