Réflexions insulaires sur Maurice et les Seychelles

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Ces dernières années, j’ai eu le bonheur d’exercer les fonctions d’économiste résident de la Banque mondiale pour Maurice et les Seychelles. Alors que ma mission se termine, je voudrais ici partager quelques observations sur les succès obtenus et les défis encore à relever par ces deux pays, observations qui, je l’espère, alimenteront de plus amples réflexions.  

« Small is beautiful », certes… 

Maurice et les Seychelles sont de petits pays. Maurice compte 1,3 million d’habitants et c’est le 26e plus petit État souverain du monde. Avec une population de 95 000 âmes, les Seychelles occupent le 17e rang de ce classement. Géographiquement parlant, ce sont aussi des pays relativement isolés, leurs voisins les plus proches se trouvant à plus de 1 000 kilomètres de leurs capitales.

Les petits États insulaires font face à des difficultés de développement bien connues (a). Pourtant, cela n’a pas empêché Maurice et les Seychelles de tirer leur épingle du jeu. Les deux pays ont quasiment éliminé l’extrême pauvreté (selon le seuil international de 3,20 dollars par jour). Leurs économies génèrent un revenu moyen situé dans la tranche intermédiaire supérieure à Maurice (RNB : 9 770 dollars par habitant) et dans la catégorie des revenus élevés aux Seychelles (15 410 dollars). Qui plus est, cette prospérité a été relativement bien partagée, le coefficient de Gini s’établissant à 0,36 pour Maurice et à 0,47 pour les Seychelles.

Comment ces pays ont-ils obtenu de tels succès économiques ? À l’évidence, de nombreux facteurs y ont contribué, mais deux d’entre eux ont été particulièrement marquants.

… à condition de s’ouvrir sur l’économie mondiale…

Figure 1 : Les économies mauricienne et seychelloise sont ouvertes (ratio des échanges de biens et services à la production totale)

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Notes : n=177 pays. À l’exclusion des valeurs extrêmes (ratio > 200 %).
Sources : Indicateurs du développement dans le monde (WDI).

L’Île Maurice, comme les Seychelles, sont deux économies ouvertes aux échanges et aux investissements internationaux. Les exportations et importations y représentent respectivement 98 % et 181 % du PIB (Figure 1). Sans cela, leurs marchés domestiques, trop réduits, seraient incapables de générer une demande suffisante pour créer des emplois hautement qualifiés et rémunérés, ni d’offrir assez de perspectives de spécialisation, facteur essentiel de la productivité et de la croissance. Dans le cas de Maurice, en particulier, le rôle du commerce extérieur dans le développement du pays a été fortement propulsé par l’accès à des marchés clés à des conditions préférentielles (l’Union européenne pour le sucre et les pays signataires des accords multifibres du GATT pour le textile).

Il est probable qu’une autre part moins quantifiable de la réussite économique de ces petites îles soit aussi due à leur ouverture économique. Ainsi, grâce aux investissements étrangers directs, le secteur du tourisme — capital pour les Seychelles — peut intégrer un savoir-faire essentiel et de bonnes pratiques internationales. L’ouverture élargit aussi les horizons en valorisant les compétences recherchées par de grandes multinationales, ce qui favorise la motivation des étudiants comme des salariés et, in fine, les performances et les bénéfices.

et de promouvoir des dépenses publiques et un contrat social qui favorisent l’inclusion

Figure 2 : Effort important sur les dépenses sociales

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Sources : WDI (santé, éducation) ; dépenses prévisionnelles pour 2018 (transferts sociaux)

L’autre facteur particulièrement important a été la volonté des deux gouvernements — dans des cadres constitutionnels démocratiques et pluralistes — d’assurer l’accès universel à l’éducation et aux services de santé primaires, mais aussi de consacrer un niveau élevé de dépenses à la protection sociale. D’ailleurs, les électeurs des deux pays attendent que leurs dirigeants allouent des moyens aux services qui favorisent le développement du capital humain, et aussi qu’ils garantissent l’existence de filets de sécurité, y compris pour les personnes âgées.

Au-delà du soleil, de la mer et de la plage

La pérennité de l’ouverture des économies mauricienne et seychelloise et de ce contrat social fondé sur l’inclusion est étroitement liée à la capacité à assurer le partage de la prospérité. D’abord, ces économies ouvertes ont créé de la richesse. Ensuite, les gouvernements ont partagé cette richesse en affectant les ressources nécessaires pour que leurs concitoyens puissent mener une vie productive. Enfin, ces citoyens plus autonomes ont largement contribué à l’essor des exportations. En effet, les ressources naturelles de ces deux pays — le triptyque soleil-mer-plage, le thon (Seychelles) et la canne à sucre (Maurice) — ne peuvent à elles seules expliquer l’ampleur de leur réussite économique, comme le prouvent les difficultés de développement rencontrées par d’autres pays disposant d’un patrimoine naturel bien plus élevé.  

Quel est le rôle joué par les sociétés et la finance offshore ?

Il y a bien des sociétés offshore qui se sont créées aux Seychelles, mais ce n’est pas là un levier majeur du développement économique. En revanche, ce secteur est bien plus important pour Maurice, qui s’est positionnée comme une destination offshore privilégiée pour les entreprises indiennes à la suite de la signature en 1983 d’une convention fiscale avec l’Inde destinée à éviter la double imposition.

Au même moment, et jusque dans les années 90, l’économie mauricienne a connu une transformation structurelle marquée par le passage d’une économie de monoculture (canne à sucre) à l’industrialisation manufacturière (textile notamment), avant de s’orienter de plus en plus vers les services (tourisme, finance et TIC). S’il est par conséquent difficile de quantifier l’impact du secteur offshore sur le développement du pays, il est évident que l’accord avec l’Inde a été positif, à la fois sur le plan de la création d’emplois et du desserrement des contraintes entravant les financements extérieurs.

Mais comme partout, des difficultés subsistent

Comme le montrent les diagnostics réalisés récemment par la Banque mondiale pour Maurice (a) et les Seychelles (a), ces deux pays doivent encore relever de nombreux défis.

Vieillissement et migrations

La croissance de la population s’est ralentie et deviendra négative d’ici à 2030, à Maurice comme aux Seychelles, tandis que les taux de dépendance ont déjà commencé à augmenter. Ces évolutions démographiques ont des conséquences importantes qui requièrent des adaptations pour préserver la pérennité des régimes de retraite.

Le sujet sensible des politiques migratoires doit aussi être abordé, sachant que les deux pays accueillent déjà un grand nombre de travailleurs étrangers. Cependant, s’ils désirent en attirer davantage à l’avenir, il sera souhaitable de veiller à ce que cela s’accompagne d’opportunités pour les nationaux, et non de suppressions d’emplois. À cet égard, il serait urgent de mesurer l’ampleur de la « fuite des cerveaux », en particulier parmi les jeunes diplômés, et de déterminer quels leviers politiques pourraient stopper ce phénomène, voire l’inverser.

 Changement climatique

Alors que Maurice et les Seychelles ne contribuent pratiquement pas au changement climatique, les deux pays doivent s’adapter à ses conséquences. L’érosion des plages a commencé et la hausse des températures risque à terme de diminuer les réserves halieutiques. Et d’autres risques menacent, comme des dérèglements météorologiques (notamment la modification de la période de la saison des pluies, déjà observée aux Seychelles) et des risques de cyclone (l'île Maurice est située dans la zone habituelle des cyclones de l’océan Indien, contrairement aux Seychelles).

Les investissements nécessaires sont à la hauteur de ces risques (a). Ces deux pays doivent avant tout améliorer la gestion de leurs investissements, afin de prioriser les dépenses dans un contexte de rareté des ressources publiques, mais aussi pour parvenir à mobiliser davantage le secteur privé et les partenaires de développement. La situation appelle aussi à une meilleure planification, notamment en ce qui concerne l’aménagement de l’espace marin — un domaine dans lequel les Seychelles font figure de pionnier et qui pourrait aussi bénéficier à Maurice (a).

Transparence, qualité de la réglementation et stratégie offshore

Les efforts entrepris à l’échelle mondiale pour lutter contre les flux financiers illicites et l’évasion fiscale, de même que l’évolution actuelle vers l’imposition à la source, ont des répercussions sur les systèmes nationaux qui affectent tout particulièrement Maurice et les Seychelles. Les modèles économiques fondés sur le secret et l’arbitrage fiscal sont montrés du doigt. Les secteurs concernés et leurs autorités de réglementation doivent s’adapter pour promouvoir avant tout la transparence et la qualité de l’encadrement réglementaire, conformément aux évolutions mondiales et dans un souci d’intérêt mutuel avec les autres pays en développement.

Des « Islandes » dans l’océan Indien ?

Maurice et les Seychelles prouvent qu’une petite taille n’est pas forcément un obstacle au développement économique, et que celui-ci ne tient pas seulement à la beauté de ces îles ni aux touristes qui y affluent. Cependant, il faudra relever de multiples défis pour soutenir et renforcer encore leur réussite économique. À cet égard, les partenaires de développement, et notamment la Banque mondiale, ont toujours un rôle important à jouer. En outre, l’enjeu ne s’arrête pas à ces deux États insulaires : d’autres pays peuvent bénéficier des enseignements tirés de leurs succès, et en particulier des innovations portées par les Seychelles, qui ont su placer la préservation du patrimoine environnemental au cœur de leur stratégie de développement.

Et demain ? Avec la bonne combinaison de politiques publiques, et en accordant une attention particulière à leur mise en œuvre, Maurice et les Seychelles pourraient, pourquoi pas, regarder vers l’Islande, une île autrement plus riche, et viser ses 56 790 dollars de RNB par habitant…


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