République centrafricaine : comment expliquer la faible mobilisation fiscale et y remédier

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République centrafricaine : comment expliquer la faible mobilisation fiscale et y remédier Why is domestic revenue mobilization so low in the Central African Republic and what can be done about it?

La croissance économique de la République centrafricaine (RCA) a payé au prix fort les années de conflit et d’instabilité, mais l’avenir s’éclaircit. Deuxième pays le plus pauvre du monde (Selon la classification établie par la Banque mondiale en fonction du PIB par habitant de 2017. ), la RCA peine à rétablir son économie, qui s’est effondrée de pratiquement 40 % depuis 2013. Pire encore, le PIB par habitant s’est effrité de près de la moitié depuis l’indépendance, passant de 602 dollars en 1960 à 335 dollars en 2017. L’instabilité et les conflits persistants ont désorganisé le système de production, endommagé les infrastructures publiques, nui au climat des affaires et retardé l’allocation de ressources publiques aux domaines prioritaires, comme l’éducation et la santé. Plombé par l’insécurité, le PIB a marqué le pas en 2018 pour retomber à 3,7 %, contre un niveau record de 4,8 % en 2015. Cette situation de fragilité induit une forte dépendance à l’aide étrangère : en 2018, les dons de la communauté internationale ont représenté 45 % des recettes publiques, soit 7,4 % du PIB. Le nouvel accord de paix en vigueur depuis février 2019 ouvre des perspectives de stabilité et de reprise pour le pays.

Pour satisfaire les besoins grandissants de sa population, la RCA doit augmenter ses recettes fiscales. Selon des données récentes, 71 % environ des Centrafricains vivent dans l’extrême pauvreté, avec moins de 1,90 dollar par jour (Seuil international de pauvreté, en PPA de 2011). Faute de financements suffisants pour les secteurs sociaux, le gouvernement n’a pas les moyens d’assurer les services de base. Le budget de l’éducation, par exemple, est très limité et fortement tributaire des donateurs. En 2016, les dépenses publiques d’éducation ne représentaient que 1,3 % du PIB, soit bien en deçà des préconisations du Partenariat mondial pour l’éducation, qui fixe la fourchette idéale entre 4 et 6 % du PIB.

Malgré la hausse progressive des rentrées fiscales depuis 2013 — qui devraient atteindre 8,1 % du PIB en 2018 —, le compte n’y est toujours pas pour répondre aux besoins croissants de la population et réduire la pauvreté. Les recettes fiscales, en baisse par rapport à 2012, sont inférieures d’environ 4 % du PIB au potentiel du pays, en raison principalement de la faiblesse de l’assiette d’imposition, de l’inefficacité des administrations fiscales et de l’importance du secteur informel, dont l’activité échappe à l’impôt.

 

FIGURE 1 : LE TAUX DE RECOUVREMENT FISCAL EN RCA POURRAIT ÊTRE PLUS ÉLEVÉ

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Le taux de recouvrement fiscal en RCA pourrait être plus élevé

La RCA doit rattraper son retard. En matière de recouvrement des impôts, elle affiche de moins bons résultats que d’autres pays de la région (figure 1). Une situation qui n’a rien de surprenant, étant donné la fragilité de l’économie, la pauvreté endémique et l’extrême fragilité du tissu économique et social. Mais le pays dispose de leviers pour améliorer ses revenus fiscaux, surtout depuis la signature d’un nouvel accord de paix. La deuxième édition des Cahiers économiques de la République centrafricaine identifie cinq pistes pour doper les recettes fiscales du pays.

  1. Élargir l’assiette fiscale. La fiscalité de la RCA se caractérise par ses exemptions, aussi nombreuses que complexes. En 2016, les exonérations accordées aux entreprises privées ont induit un manque à gagner pour le budget de l’État de plus de 1 milliard de francs CFA (1,74 million de dollars), sachant, comme le rapport le met clairement en évidence, que 70 % des exonérations concernent la TVA, première source de recettes fiscales du pays. Il convient donc de limiter rapidement le nombre de régimes dérogatoires et de veiller à ce que les exonérations consenties soient conformes à la loi et à la charte des investissements. Des réformes favorables aux entreprises centrées sur le système judiciaire, la protection des investisseurs minoritaires et la facilitation de l’obtention de permis de construire contribueraient à attirer des investissements et des opérateurs privés du secteur informel, élargissant ainsi l’assiette fiscale.
  2. Exploiter le potentiel des impôts fonciers, qui pourraient rapporter près de 12 milliards de francs CFA (22 millions de dollars) par an, soit environ 1,1 % du PIB. Les recettes foncières sont, au bas mot, inférieures de 10 % à leur niveau potentiel pour trois grandes raisons : une législation obsolète (les textes datent d’août 1926 et de mai 1960), qui n’a pas intégré les dernières évolutions de l’économie ; le faible respect des obligations fiscales ; et le manque de moyens humains et financiers des services concernés. D’autant que les taxes foncières présentent le double avantage d’être une source sûre et stable de revenus pour les autorités locales et centrales et d’avoir un caractère équitable, en contribuant à réduire les inégalités entre ceux qui détiennent le capital et le reste de la population.
  3. Renforcer le système fiscal, en intégrant les taxes parafiscales dans le compte unique du Trésor et en augmentant le nombre de bureaux de douane opérationnels. Notre étude révèle que, fin 2017, trois bureaux sur sept ne fonctionnaient pas, en raison principalement de l’insécurité. Le nouvel accord de paix ouvre par conséquent des perspectives pour engranger des recettes fiscales supplémentaires. Le rapport révèle également que le non-recouvrement des recettes fiscales est ressorti à 14,9 milliards de francs CFA en 2016 (25,3 millions de dollars), en particulier dans les secteurs des télécommunications, de la sylviculture et des mines. Les autorités doivent s’employer à améliorer la performance générale des administrations douanières et fiscales et, en particulier, sur le plan du recouvrement. En réduisant les fraudes et en renforçant l’efficacité du système fiscal, la numérisation des procédures de collecte des impôts et l’informatisation progressive des administrations douanières et fiscales permettront également d’améliorer le recouvrement.
  4. Renforcer le respect des obligations fiscales, en établissant un nouveau contrat social entre les contribuables et l’État. La mobilisation des recettes intérieures doit reposer sur une approche inclusive qui, en rationalisant les dépenses de l’État, viendra renforcer la confiance du contribuable dans les administrations publiques et consolider le contrat social entre l’État et la population. Le durcissement des contrôles fiscaux et douaniers peut également être un moyen supplémentaire de récupérer des rentrées fiscales. Les progrès en ce domaine seront tributaires de la capacité du pays à briser le cycle de l’instabilité et des conflits. Les autorités centrafricaines gagneraient à s’appuyer sur le nouvel accord de paix pour améliorer la transparence fiscale, combattre la corruption et renforcer la redevabilité.
  5. S’inspirer d’autres pays. Comme en RCA, l’économie du Rwanda a été durement affectée par une guerre civile aux racines profondes. Pour s’affranchir de l’aide étrangère en mobilisant les ressources intérieures, les autorités rwandaises ont mis en œuvre des réformes politiques d’envergure, en s’attachant à élargir l’assiette fiscale, échelonner les réformes dans le temps pour attirer des investissements directs étrangers et renforcer le civisme fiscal par la confiance. Deux facteurs se sont révélés primordiaux pour la réussite du Rwanda : un vrai leadership et une capacité d’encadrement solide couplés à un engagement affirmé en faveur de la mise en œuvre des réformes fiscales et douanières.

Auteurs

Francisco G. Carneiro

Responsable du pôle mondial d’expertise en Macroéconomie, Commerce et Investissement (MTI en anglais) pour l’Afrique

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