Soutien au secteur informel dans les villes d'Afrique : la protection sociale au cœur des politiques

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Young women work at sewing clothes in the market. Photo credit: Vincent Tremeau /World Bank Young women work at sewing clothes in the market. Photo credit: Vincent Tremeau /World Bank

Avec plus de 80 % des emplois en milieu urbain, le secteur informel est le principal employeur et la clé de voûte de l'activité économique des villes africaines. La vitalité du secteur informel saute aux yeux dans les métropoles du continent : les vendeurs de rue sont des maillons indispensables de la sécurité alimentaire ; ceux qui travaillent dans les transports sont les moteurs de la cité et de son économie ; et les employés des services sont essentiels à la génération de revenus et au fonctionnement des villes d'Afrique.

L'économie informelle urbaine concerne tout particulièrement les jeunes (95,8 % des 15-24 ans) et les femmes (92,1 %), et elle contribue largement à la réduction de la pauvreté. La protection sociale est essentielle pour les entrepreneurs et ceux qu’ils emploient : elle permet de développer le capital humain, d'empêcher la cession d'actifs productifs en cas de choc et de favoriser l'épargne pour renforcer la résilience. 

Compte tenu de la croissance démographique en Afrique, le secteur informel urbain devrait continuer à jouer un rôle central à l’avenir. Le nombre d'habitants en âge de travailler dans la région devrait augmenter de 224 millions d’ici 2030 et de plus de 730 millions d’ici 2050 (a). Si ce dynamisme démographique est propice à la croissance économique, le secteur salarié formel (urbain) ne crée pas suffisamment d'emplois pour absorber tous les nouveaux arrivants sur le marché du travail et ceux qui migrent des zones rurales vers les villes.

La pandémie de COVID-19 met à nu la vulnérabilité des travailleurs de l’économie informelle

Privés de protection sociale et d'épargne, les travailleurs informels voient se tarir leurs sources de revenus sous l'effet de la pandémie.  Une récente enquête conduite par la Banque mondiale a montré que les emplois urbains sont particulièrement touchés (a) : entre avril et juin 2020, 56,3 % des citadins nigérians interrogés, ont déclaré avoir arrêté de travailler à cause de la pandémie, contre 39,2 % dans les zones rurales. En Ouganda, ces chiffres sont de 29,4 % pour les urbains affectés, contre 11,1 % pour les ruraux. Sans assistance, beaucoup risquent de sombrer dans la pauvreté. En outre, le fait de vivre dans des quartiers précaires les expose à des menaces sanitaires et sociales accrues, ce qui limite encore plus leur capacité de travail.

Les entreprises informelles se caractérisent généralement par une faible productivité, ce qui se traduit par des revenus également faibles et irréguliers. Cette situation est aggravée par le manque d'accès à des services de base comme l'eau et l'électricité, l'absence d'espace dédié au travail et l'impossibilité d’accéder à des marchés à forte valeur ajoutée. En général, ces entreprises sont exclues du système financier et ne sont donc pas en mesure d'effectuer des transactions commerciales sûres, de bénéficier de crédits pour réaliser des investissements productifs ou d'épargner en toute sécurité pour se prémunir contre les imprévus.

Repenser les stratégies de protection sociale et améliorer la productivité du secteur informel urbain

À court terme, ce sont les transferts monétaires d’urgence qui ont offert la réponse la plus efficace. À plus long terme, cependant, les gouvernements devraient mettre en place des politiques coordonnées pour protéger les travailleurs du secteur informel. La stratégie s’articule en trois volets : les filets sociaux, qui existent déjà sous une forme ou une autre dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne, doivent en effet être assortis de plans d'assurance sociale innovants et de mesures d’amélioration de la productivité qui couvrent l’ensemble des catégories de revenus (voir schéma ci-dessous).

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Continuité des instruments de protection sociale

Adapter les instruments de protection sociale au secteur informel urbain

Pour les travailleurs pauvres du secteur informel, les transferts en espèces pourraient être liés à des services qui favorisent l'inclusion économique, de manière à accompagner leurs bénéficiaires vers l’autonomie. Il s’agit d’un aspect important tant du point de vue de l’engagement des individus, qui seraient ainsi incités à adopter des comportements souhaitables, que de celui de l’économie politique. En effet la volonté ou la capacité des pouvoirs publics à s’engager en faveur de transferts en espèces vers les personnes capables de travailler dépend notamment de l’existence d’une stratégie de sortie des dispositifs d’assistance convaincante.

Pour les travailleurs informels non pauvres, l'assurance sociale est l'instrument le plus approprié pour garantir une protection contre les principaux chocs. Les programmes d'assurance sociale permettent aux travailleurs informels de se constituer une épargne à court terme (pour les périodes de chômage) et une épargne à long terme (pour mieux préserver leur niveau de revenu à un âge avancé). L'accès à ces dispositifs de gestion des risques est essentiel pour parvenir à lisser la consommation et amortir ainsi l’impact d’un choc, mais aussi pour améliorer la productivité en permettant aux travailleurs informels de prendre davantage de risques dans leurs décisions professionnelles.

Plus généralement, les interventions en matière de protection sociale gagneront à intégrer les atouts du numérique, qu’il s’agisse d’exploiter les technologies numériques pour atteindre et cibler les bénéficiaires, de se doter de systèmes de paiement modernes ou encore de mettre en place des plateformes informatiques qui, à l’instar des registres sociaux intégrés, permettent d'évaluer quelles mesures sont appropriées pour renforcer la résilience et la productivité des différents groupes de travailleurs informels.

Améliorer les moyens de subsistance en augmentant la productivité

Bien qu'ils soient souvent une priorité des pouvoirs publics, les programmes visant à régulariser les micro et petites entreprises informelles ne se sont pas révélés efficaces. Toutefois, une productivité accrue aiderait ces entreprises à se rapprocher peu à peu du secteur formel, tout en améliorant les revenus de ceux qui y travaillent. Mais il faut pour cela intervenir simultanément dans plusieurs domaines. En matière d'inclusion financière, il convient de faciliter avant tout l'accès à des instruments de financement adaptés aux besoins du secteur informel urbain, et les systèmes d'identification des personnes sont essentiels pour y parvenir. Parallèlement, les services de garde d'enfants et les mécanismes permettant de mettre en contact les entreprises informelles et les chaînes de valeur officielles devraient être au cœur des politiques de développement économique. Enfin, les stratégies de développement urbain doivent prévoir d'améliorer l'accès aux services de base.

La combinaison de mesures de protection sociale et d'augmentation de la productivité permettrait ainsi de renforcer la résilience de l'économie informelle urbaine face à de futurs chocs.  Les pays favoriseraient ainsi la consolidation d'un secteur informel plus fort et plus productif, avec, à la clé, une amélioration durable des moyens de subsistance des travailleurs.


Auteurs

Raphaela Karlen

Senior Social Protection Specialist

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