À Madagascar, les habitants redoutent une nouvelle crise alimentaire : selon une enquête réalisée en juillet 2014, 33 % des personnes interrogées craignaient de ne pas avoir suffisamment à manger pendant une période de sept jours d’affilée. Une proportion qui est passée à 48 % en janvier 2015 et à 50 % en septembre 2015.
L’intérêt de ce sondage, c’est qu’à l’inverse des enquêtes classiques auprès des ménages, coûteuses et longues, il a été réalisé par téléphone. Ce faisant, les pouvoirs publics obtiennent régulièrement des retours d’information et, en ayant une vision actualisée de la situation, peuvent affiner les mesures adoptées. Cette évaluation périodique du bien-être des populations est un objectif vers lequel tendent de plus en plus de gouvernements.
Dans le cas de Madagascar, le sondage portait sur un échantillon de 2 000 ménages ruraux et urbains. Vous vous doutez bien que l’organisation d’une enquête téléphonique représentative ne va pas sans difficultés. Que faire par exemple de ces ménages (souvent les plus démunis) qui ont bel et bien accès à un réseau mobile mais n’ont pas de téléphone ? Pour surmonter ce type de problèmes, nous avons remis des appareils aux ménages sélectionnés, qu’ils en aient ou non possédé un. Par ailleurs, à cause des fréquentes coupures de courant, nous savions qu’un grand nombre de ménages équipés risquaient de ne pas pouvoir participer au sondage faute d’avoir pu recharger leurs appareils. Nous avons donc distribué des petits chargeurs solaires pour que leurs téléphones soient en état de marche lors des entretiens de suivi.
Tout cela n’aurait pas été possible sans le projet Listening to Africa (« à l’écoute de l’Afrique »), qui teste l’utilisation de téléphones portables pour faciliter le suivi de l’évolution des conditions de vie dans six pays du continent. Ces sondages viennent compléter les données tirées des enquêtes nationales auprès des ménages par des informations recueillies à intervalles réguliers. En plus de ses six pays, les équipes de la Banque mondiale travaillent (ou ont travaillé) sur des enquêtes téléphoniques du même type dans d’autres pays du monde (Ghana, Tadjikistan, Pérou et Honduras.)
Devant la pénétration accélérée des technologies mobiles et l’appétit toujours plus marqué de la communauté du développement pour des enquêtes téléphoniques, nous avons décidé de réunir dans un manuel pratique les expériences et les enseignements des trois années d’existence du projet. Ce recueil, intitulé Mobile Phone Panel Surveys in Developing Countries: A Practical Guide for Microdata Collection, rappelle la genèse de ces sondages téléphoniques et expose les principes de la conception et de la réalisation d’enquêtes représentatives par téléphone portable. Il décrit également les décisions à prendre et les étapes à suivre pour créer un centre d’appel dédié et détaille les composantes types de ce type d’enquête.
Les auteurs y abordent également les défis associés à la conception et l’organisation régulière de sondages téléphoniques représentatifs : comment garantir la qualité des données recueillies ? Comment gérer le risque de lassitude et de non-réponse, moins prononcé lorsque les entretiens sont réalisés en face à face ? Ce sont des problèmes que nous avons rencontrés en testant notre approche dans les pays pilotes. Comme nous savons que d’autres chercheurs y seront confrontés, nous avons voulu suggérer des solutions pour éviter certains pièges et minimiser les risques et avancer quelques recommandations visant à garantir la qualité des données.
L’ouvrage aborde également la question de la gestion des données et propose une synthèse des postes budgétaires à mobiliser pour ce type d’enquête, avec des exemples détaillés de budgets établis pour certains de nos projets.
Comme le souligne si justement dans l’avant-propos Makhtar Diop, le vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique, « la révolution mobile modifie nos méthodes de travail. Pour le meilleur. » Et nous n’en sommes qu’au tout début. Les enquêtes téléphoniques sont encore loin d’avoir donné toute leur mesure...
Revenons à Madagascar. Mon souhait, c’est que dans un avenir proche, nous puissions coupler ces sondages téléphoniques à des systèmes d’alerte précoce pour pouvoir détecter l’apparition d’une crise alimentaire et être ainsi mieux à même de concevoir rapidement la parade la plus efficace. Mais nous pourrions aussi conjuguer ces deux techniques pour gérer d’autres crises, sanitaires notamment. Imaginez ce que nous aurions pu faire pour endiguer l’épidémie d’Ebola… Sans oublier l’intérêt de ces enquêtes téléphoniques pour apprécier l’accès aux soins de santé et leur qualité.
Quelle époque passionnante pour les chercheurs et les statisticiens… Vous aussi, restez à l’écoute pour avoir des nouvelles en direct du terrain à mesure que nous déployons le projet L2A. Si vous avez des suggestions sur la manière dont les enquêtes téléphoniques pourraient améliorer les processus mis en place, n’hésitez pas à nous en faire part dans la section, ci-dessous, réservée aux commentaires.
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