Les personnes fortunées empruntent pour financer leurs investissements car les banques leur font confiance. Ceux qui ont moins de moyen, et qui ont donc davantage besoin de prêts, n'y ont pourtant pas accès et font souvent appel à la solidarité familiale ou communautaire pour leurs investissements. La même logique peut être faite à l’échelle des pays. Ceux à revenu élevé empruntent, tandis que les pays africains à revenu faible n'ont qu'un accès limité aux marchés de capitaux.
Au cours de ces dernières années, seul un quart des pays subsahariens ont pu accéder aux émissions obligataires internationales, les autres n’ayant d’unique choix que de solliciter l'aide internationale. Si les flux d'investissements direct étrangers, qui comptent pour près de 3 % du PIB de l’Afrique subsaharienne, ne sont pas négligeables, ils sont majoritairement dirigés vers l'extraction de ressources naturelles où 80 % à 90 % de ces montants ressortent presque immédiatement pour financer les importations nécessaires aux projets. Comment un pays comme la Côte d'Ivoire peut-il sortir de cette impasse ?
La réussite des pays émergents montre la voie à suivre. Si l'aide internationale peut financer l'impulsion initiale, les pays en quête d'émergence doivent avant tout compter sur eux-mêmes. Cela signifie qu'ils doivent mobiliser leurs propres ressources pour financer leur développement. Et c'est peut-être aussi là une définition de l'émergence.
Pour la Côte d'Ivoire, une telle option devrait se traduire par une augmentation de l’épargne domestique pour que celle-ci puisse financer les besoins du pays. Située à environ 20 % du PIB en Côte d’Ivoire, elle est pourtant au-dessus de la moyenne africaine et de celle des pays à bas revenu, mais reste éloigné du niveau des pays émergents d'Asie, où elle dépasse 30 %.
Le véritable problème de la Côte d'Ivoire en matière de financement domestique se situe sur un autre plan, à deux niveaux. D'abord, l'État ne démontre pas de capacité à générer une épargne publique suffisante. La pression fiscale du pays s’établit à 16 % du PIB, soit en deçà des objectifs des décideurs politiques ivoiriens et de la région UEMOA (20 %), pourtant inférieurs aux taux observés au Maroc ou en Afrique du Sud (25 %). Les autorités ivoiriennes ne mobilisent en outre que 25 % des recettes potentielles de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui pourraient être perçues sur l’ensemble des transactions internes du pays. À titre de comparaison, un pays émergent comme l'Ile Maurice affiche un taux de recouvrement équivalent à 75 % de son potentiel de TVA.
Le deuxième problème est lié à l'épargne privée. Le défi n'est pas tant d'augmenter son montant mais d'améliorer son affectation. Aujourd'hui, seuls 15 % des épargnants ivoiriens placent leurs économies dans le système financier local, un taux deux fois inférieur à la moyenne africaine. Ce choix ne permet pas de profiter du formidable effet de levier que pourrait générer le multiplicateur de crédit sur l'ensemble de l'économie. Par voie de conséquence, les montants de crédits octroyés par le système financier ivoirien s’élèvent à 30 % du PIB, alors que ceux-ci atteignent plus de 100 % dans des pays comme le Maroc, l'Afrique du Sud et l'Ile Maurice. Ce taux est par ailleurs inférieur aux montants recensés au Ghana, Sénégal et au Togo.
Imaginons que la Côte d'Ivoire puisse agir à la fois sur la mobilisation de son épargne publique et la capacité de crédit de son système financier. Imaginons encore que le recouvrement des impôts atteigne 20 % du PIB et que le taux de crédits augmente jusqu'à 80 % du PIB. Au taux de change actuel et en utilisant le revenu du pays en 2015, ces sources de financement s’établiraient à 40 milliards de dollars ou une hausse de 21 milliards de dollars par rapport aux montants déclarés fin 2015.
Les montants ainsi générés par les sources domestiques permettraient de compléter les engagements financiers extérieurs d’environ 25 milliards de dollars. Compte-tenu des annonces sur la période 2016-20 tenues par le Groupe Consultatif en mai dernier à Paris l'ensemble des financements intérieurs et extérieurs serait amplement suffisant pour couvrir les investissements identifiés par le Plan national de développement sur la période 2016-20, et pour ouvrir la voie vers l'émergence.
La question qui demeure est la suivante : comment parvenir à accroître la mobilisation et l'utilisation de l'épargne domestique tant du côté du secteur public que privé ? La réponse est éminemment complexe mais une chose est sûre : elle devra inclure un contrat social à travers lequel les différents acteurs se feront mutuellement confiance et qui possèdera des règles claires et transparentes qui chercheront à optimiser le bien-être collectif du pays et non pas les intérêts pécuniaires de certains groupes particuliers. Les contribuables devront pouvoir compter sur la bonne utilisation de leurs paiements par les pouvoirs publics. De même, les épargnants devront avoir confiance en leurs banques, lesquelles devront en retour avoir suffisamment d’assurances quant à l’effectivité du remboursement de leurs prêts.
Pour en savoir plus, consultez le dernier rapport sur la situation économique en Côte d'Ivoire.
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