Une approche régionale pour une action locale : miser sur des initiatives régionales de développement communautaire pour lutter contre les situations de fragilité, de conflit et de violence en Afrique post-COVID

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La pandémie de COVID-19 a révélé avec brutalité à quel point notre monde est aujourd’hui interconnecté. Au 5 juin, on dénombrait 6 699 358 personnes infectées par le nouveau coronavirus et 393 204 décès à l’échelle mondiale.

S’il s’agit avant tout d’une urgence de santé publique, la crise bouleverse également la vie quotidienne des populations sur toute la planète. Les échanges commerciaux et les chaînes de valeur mondiales se sont effondrés, entraînant de graves répercussions socio-économiques. Les populations qui vivent en Afrique dans des régions reculées, fragiles et touchées par un conflit comptent parmi les plus vulnérables.

L’Afrique de l’Ouest est particulièrement exposée aux retombées socio-économiques de la pandémie.  Et si de nombreux pays de la région possèdent une grande expérience de la lutte contre les maladies contagieuses et mortelles, comme le virus Ebola, les populations pauvres sont encore confrontées à de grandes difficultés d’accès à l’eau et au manque d’installations d'assainissement, tandis que la taille des ménages ne permet pas la distanciation physique ou l’isolement des malades.

Les graves pénuries alimentaires et la menace d’une aggravation de la faim, avec la fermeture des frontières et la perturbation des chaînes de distribution, pourraient se révéler plus dévastatrices que la propagation du virus lui-même. À défaut de recevoir une aide soutenue, ce sont plus de 21 millions de personnes en Afrique de l’Ouest qui auront du mal à se nourrir entre juin et août (a), d’après les estimations des Nations Unies. Selon la Banque mondiale, la pandémie de COVID-19 devrait faire basculer 49 millions de personnes dans l’extrême pauvreté en 2020, dont 23 millions en Afrique subsaharienne (a). 

Les États riverains du lac Tchad (Cameroun, Niger, Nigéria, Tchad) et la région du Liptako-Gourma au Sahel (« zone des trois frontières » : Mali, Niger, Burkina Faso) sont actuellement d'importants foyers de crise, dans un contexte de fragilité, de conflit et de violence qui présente déjà des défis considérables sur le plan humanitaire et pour le développement. Même avant la pandémie, ces populations isolées n’avaient pas accès aux services essentiels, notamment aux centres de santé. Elles ont jusqu’ici été épargnées par l’urgence sanitaire, et pourtant les effets collatéraux du virus dans ces zones pourraient avoir des conséquences imprévues et tragiques.

Ainsi, les pressions supplémentaires qui s’exercent sur les ressources et les institutions locales, dont les capacités sont déjà limitées, les obstacles au commerce, ainsi que l’augmentation des déplacements forcés, font progresser l’insécurité alimentaire, le chômage et la pauvreté. En outre, les jeunes risquent de connaître une hausse du chômage et de la pauvreté. Privés de moyens de subsistance et de plus en plus méfiants vis-à-vis des institutions officielles, certains peuvent être tentés par la voie de l’illégalité, voire de la violence.

Le 26 mai 2020, le Conseil des administrateurs de la Banque mondiale a donné son feu vert au projet pour la relance et le développement de la région du lac Tchad. Cette opération d’un montant de 170 millions de dollars expérimentera pour la première fois une démarche régionale de développement piloté par les communautés afin de lutter contre le double danger de la récession socio-économique et des problèmes de fragilité, de conflit et de violence en Afrique de l’Ouest. D’autres projets régionaux axés aussi sur le développement communautaire et la relance sont en cours d’élaboration pour la région du Sahel et pour le golfe de Guinée.

Ces initiatives ont pour but d’accroître la résilience des populations et des institutions tout en renforçant la diplomatie du développement et en promouvant une vision commune au moyen d’une intensification du dialogue régional et de la mise en place d’une plateforme de coordination et de collaboration régionale. Cette approche entend jouer un rôle essentiel pour appuyer les efforts de prévention, de préparation et d’intervention face aux chocs extérieurs, qu’il s’agisse des conséquences du changement climatique, des risques d’effondrement économique ou encore des urgences de santé publique, comme l’actuelle pandémie.

Les plateformes de développement communautaire peuvent diffuser des messages de prévention adaptés à la culture des populations concernées et remédier aux conséquences économiques immédiates  grâce au déploiement rapide de fonds d’intervention d’urgence, à la mise en place de canaux de communication innovants et à des systèmes novateurs pour le suivi de la situation au niveau des communautés. Ces systèmes pourraient, par exemple, assurer la transmission et la remontée d’informations en temps réel vers et depuis les populations locales, en ce qui concerne les urgences sanitaires, l’accès aux services de base, les risques météorologiques, les moyens de subsistance, etc.

À moyen terme, ces plateformes pourraient s’attacher à atténuer les conséquences sociales et économiques à l'échelon communautaire et améliorer la préparation des populations et des institutions locales grâce, par exemple, à un soutien ciblé aux moyens de subsistance, à des programmes de travaux publics à forte intensité de main-d’œuvre, à la formation professionnelle, au renforcement des capacités locales de préparation aux crises, ainsi qu’à des actions de sensibilisation et de prévention de la violence à l’égard des femmes.

À long terme, il s’agit de renforcer la résilience socio-économique des populations face au risque de crises futures au moyen de systèmes d’alerte rapide et de plans d’intervention d’urgence plus efficaces et par la mise en place d’infrastructures communautaires, notamment des centres de santé, mais aussi de renforcer les capacités et le rôle des institutions locales (autorités locales, fédérations d’agriculteurs, institutions traditionnelles et organisations locales de la société civile) pour qu’elles jouent leur rôle d’interface institutionnelle entre la population, d’une part, et l’État et les organismes de développement, d’autre part.

Cette approche à la fois locale et régionale jette les fondements d’une planification stratégique et efficace à long terme des investissements en faveur du développement en Afrique de l’Ouest. Elle consiste à rechercher des solutions locales urgentes aux défis de la sous-région tout en appliquant les leçons apprises dans le contexte régional. Alors que les déplacements sont limités et les frontières fermées en raison de la pandémie, ces plateformes explorent de nouvelles modalités d’échange de connaissances par le biais des médias sociaux et des réseaux d’intervention rapide. Une approche régionale pour une action locale : c’est le principe qui nous guide tandis que nous nous efforçons d’améliorer la gestion des crises et des conflits à l’heure de la COVID.


Auteurs

Aly Rahim

Chef de programme, Partenariat mondial pour la responsabilité sociale (GPSA), Banque mondiale

Johanna Damboeck

Spécialiste en Développement Social, Afrique de l'Ouest

Nicolas Perrin

Practice Manager for Social Sustainability and Inclusion Global Practice in the West Africa Region at the World Bank

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