Ce billet a fait l’objet d’une première publication dans
Future Development.
Au cours des six dernières années, au moins la moitié des 30 000 médecins qui exerçaient en Syrie (ou peut-être davantage, nul ne le sait) ont fui leur pays. Comme les autres réfugiés syriens, ils sont allés là où ils le pouvaient : au Liban, en Jordanie, en Turquie, en Europe et, dans une moindre mesure, au Canada ou aux États-Unis.
Or, dans beaucoup de ces pays d’accueil, le personnel de santé est de moins en moins nombreux. De fait, en Europe, la population vieillit, les médecins âgés prennent leur retraite et on forme moins de jeunes docteurs. Bien avant la crise syrienne, certains pays européens avaient donc commencé à recruter à l’étranger pour faire face à ce manque de professionnels. Les réfugiés continuant d’affluer de Syrie, la demande de services de santé s’accroît tandis que l’offre se réduit.
Après six années de guerre civile, le désastre sanitaire est avant tout manifeste en Syrie, où l’espérance de vie moyenne a reculé de près de 20 ans. Mais les réfugiés sont eux aussi concernés : on observe une augmentation des troubles psychiques, ainsi que la réapparition de maladies transmissibles qui avaient été éradiquées et, faute de traitement, des complications liées à des maladies non transmissibles.
Cette situation pousse plusieurs acteurs internationaux, dont l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Centre pour l’intégration en Méditerranée (CMI) et la Banque mondiale, à s’intéresser à la manière dont les pays concernés réagissent, avec une priorité : faire en sorte que les médecins, infirmiers et autres agents de santé réfugiés puissent répondre aux besoins des populations parmi lesquelles ils vivent.
On sait qu’il est difficile de trouver un emploi dans le secteur de la santé. Chaque pays a ses propres modalités de formation et d’habilitation. Le système — des études à la certification professionnelle, en passant par les examens et la formation —, déjà très déroutant pour ceux qui le connaissent, l’est plus encore pour un réfugié qui le découvre. Les barrières linguistiques et culturelles sont considérables, et des intérêts financiers ou politiques entrent souvent en jeu.
Il ne faut pas négliger ces obstacles. Les médecins et les infirmiers doivent répondre à des exigences très strictes, car ils prennent des décisions à des moments critiques de la vie des patients. Et, sur le plan politique, il n’est pas toujours facile de proposer des emplois à des réfugiés quand une grande partie de la population locale est au chômage.
Mais tout cela n’empêche pas certains pays d’envisager les professionnels de santé réfugiés comme une partie de la solution, ni de prendre des mesures raisonnables pour mettre à profit les compétences et le savoir de ces personnes. La Suède, par exemple, a lancé un programme visant à simplifier rapidement la procédure de reconnaissance des diplômes détenus par les médecins réfugiés. Le mois dernier, l’Écosse a annoncé qu’elle avait commencé à former des médecins syriens pour pourvoir des postes vacants dans son système de santé. D’autres, tels que la Turquie, autorisent les médecins syriens à soigner les réfugiés dans des centres de santé dédiés.
Ces premières actions sont essentielles, mais il faut les diffuser, en discuter et les appuyer, lorsque c’est possible, grâce aux efforts collectifs déployés par les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord et par ceux de l’OCDE, via les pouvoirs publics, les organisations internationales, le milieu universitaire et d’autres parties prenantes.
Le problème n’est pourtant pas nouveau. Ainsi, pendant la Seconde Guerre mondiale, sous la pression de ses principales associations médicales, le Royaume-Uni a fini par reconnaître les diplômes des réfugiés médecins, auxquels il a fait de plus en plus appel lorsque le conflit s’est prolongé. Dans les années 50, des médecins palestiniens ont obtenu l’autorisation d’exercer en Égypte. Au cours des années 80, la province canadienne du Manitoba a mis en place un programme de formation accélérée à l’intention des réfugiés médecins, en vue de combler les manques dans certaines régions.
Il ne s’agit que de quelques exemples, mais, à chaque fois, les autorités ont été confrontées à une question cruciale : doit-on considérer les professionnels de santé réfugiés comme une source de capital humain qui peut se révéler précieuse pour la population locale ou, au contraire, comme un fardeau dont il faut se débarrasser ?
L’expérience de certains pays montre que la première option peut être bénéfique pour tout le monde. En reprenant leurs études et leur formation et en disposant à nouveau de moyens de subsistance, ces réfugiés peuvent préserver leurs compétences, retrouver leur dignité et être socialement utiles. Nombre d’entre eux ont subi les mêmes traumatismes que leurs compatriotes, parlent la même langue et sont les mieux placés pour les soigner. Pour le pays d’accueil, ils peuvent constituer un vivier de main-d’œuvre très qualifiée (médecins et infirmiers, mais également pharmaciens, travailleurs sociaux, kinésithérapeutes, etc.) qui permettra de résorber le manque de personnel de santé et de répondre à des besoins sanitaires accrus en raison de la guerre.
Et pourtant, l’histoire nous montre aussi que l’on a tendance à voir davantage les problèmes que les solutions. En 1952, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Organisation mondiale de la santé a dû gérer l’arrivée de nombreux médecins réfugiés. Elle a demandé à Louis Bauer, secrétaire général de l’Association médicale mondiale, ce qui pouvait être fait. « Selon nos dernières informations, c’est une question de droit », a répondu Louis Bauer, « et le monde de la médecine n’y peut pas grand-chose. »
Louis Bauer avait à moitié raison. Le droit importe, mais on peut aussi l’adapter à la réalité. En 2015, en Allemagne, le Parlement a voté une loi autorisant les réfugiés médecins à travailler dans les centres de réfugiés du pays, aux côtés de médecins habilités qui s’occupent de plus d’un million de personnes déplacées.
Par conséquent, même si les déplacements massifs de populations exercent de nouvelles tensions sur les systèmes de santé dans le monde, la solution pourrait notamment venir des plus touchés, c’est-à-dire des réfugiés eux-mêmes.
Au cours des six dernières années, au moins la moitié des 30 000 médecins qui exerçaient en Syrie (ou peut-être davantage, nul ne le sait) ont fui leur pays. Comme les autres réfugiés syriens, ils sont allés là où ils le pouvaient : au Liban, en Jordanie, en Turquie, en Europe et, dans une moindre mesure, au Canada ou aux États-Unis.
Or, dans beaucoup de ces pays d’accueil, le personnel de santé est de moins en moins nombreux. De fait, en Europe, la population vieillit, les médecins âgés prennent leur retraite et on forme moins de jeunes docteurs. Bien avant la crise syrienne, certains pays européens avaient donc commencé à recruter à l’étranger pour faire face à ce manque de professionnels. Les réfugiés continuant d’affluer de Syrie, la demande de services de santé s’accroît tandis que l’offre se réduit.
Après six années de guerre civile, le désastre sanitaire est avant tout manifeste en Syrie, où l’espérance de vie moyenne a reculé de près de 20 ans. Mais les réfugiés sont eux aussi concernés : on observe une augmentation des troubles psychiques, ainsi que la réapparition de maladies transmissibles qui avaient été éradiquées et, faute de traitement, des complications liées à des maladies non transmissibles.
Cette situation pousse plusieurs acteurs internationaux, dont l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Centre pour l’intégration en Méditerranée (CMI) et la Banque mondiale, à s’intéresser à la manière dont les pays concernés réagissent, avec une priorité : faire en sorte que les médecins, infirmiers et autres agents de santé réfugiés puissent répondre aux besoins des populations parmi lesquelles ils vivent.
On sait qu’il est difficile de trouver un emploi dans le secteur de la santé. Chaque pays a ses propres modalités de formation et d’habilitation. Le système — des études à la certification professionnelle, en passant par les examens et la formation —, déjà très déroutant pour ceux qui le connaissent, l’est plus encore pour un réfugié qui le découvre. Les barrières linguistiques et culturelles sont considérables, et des intérêts financiers ou politiques entrent souvent en jeu.
Il ne faut pas négliger ces obstacles. Les médecins et les infirmiers doivent répondre à des exigences très strictes, car ils prennent des décisions à des moments critiques de la vie des patients. Et, sur le plan politique, il n’est pas toujours facile de proposer des emplois à des réfugiés quand une grande partie de la population locale est au chômage.
Mais tout cela n’empêche pas certains pays d’envisager les professionnels de santé réfugiés comme une partie de la solution, ni de prendre des mesures raisonnables pour mettre à profit les compétences et le savoir de ces personnes. La Suède, par exemple, a lancé un programme visant à simplifier rapidement la procédure de reconnaissance des diplômes détenus par les médecins réfugiés. Le mois dernier, l’Écosse a annoncé qu’elle avait commencé à former des médecins syriens pour pourvoir des postes vacants dans son système de santé. D’autres, tels que la Turquie, autorisent les médecins syriens à soigner les réfugiés dans des centres de santé dédiés.
Ces premières actions sont essentielles, mais il faut les diffuser, en discuter et les appuyer, lorsque c’est possible, grâce aux efforts collectifs déployés par les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord et par ceux de l’OCDE, via les pouvoirs publics, les organisations internationales, le milieu universitaire et d’autres parties prenantes.
Le problème n’est pourtant pas nouveau. Ainsi, pendant la Seconde Guerre mondiale, sous la pression de ses principales associations médicales, le Royaume-Uni a fini par reconnaître les diplômes des réfugiés médecins, auxquels il a fait de plus en plus appel lorsque le conflit s’est prolongé. Dans les années 50, des médecins palestiniens ont obtenu l’autorisation d’exercer en Égypte. Au cours des années 80, la province canadienne du Manitoba a mis en place un programme de formation accélérée à l’intention des réfugiés médecins, en vue de combler les manques dans certaines régions.
Il ne s’agit que de quelques exemples, mais, à chaque fois, les autorités ont été confrontées à une question cruciale : doit-on considérer les professionnels de santé réfugiés comme une source de capital humain qui peut se révéler précieuse pour la population locale ou, au contraire, comme un fardeau dont il faut se débarrasser ?
L’expérience de certains pays montre que la première option peut être bénéfique pour tout le monde. En reprenant leurs études et leur formation et en disposant à nouveau de moyens de subsistance, ces réfugiés peuvent préserver leurs compétences, retrouver leur dignité et être socialement utiles. Nombre d’entre eux ont subi les mêmes traumatismes que leurs compatriotes, parlent la même langue et sont les mieux placés pour les soigner. Pour le pays d’accueil, ils peuvent constituer un vivier de main-d’œuvre très qualifiée (médecins et infirmiers, mais également pharmaciens, travailleurs sociaux, kinésithérapeutes, etc.) qui permettra de résorber le manque de personnel de santé et de répondre à des besoins sanitaires accrus en raison de la guerre.
Et pourtant, l’histoire nous montre aussi que l’on a tendance à voir davantage les problèmes que les solutions. En 1952, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Organisation mondiale de la santé a dû gérer l’arrivée de nombreux médecins réfugiés. Elle a demandé à Louis Bauer, secrétaire général de l’Association médicale mondiale, ce qui pouvait être fait. « Selon nos dernières informations, c’est une question de droit », a répondu Louis Bauer, « et le monde de la médecine n’y peut pas grand-chose. »
Louis Bauer avait à moitié raison. Le droit importe, mais on peut aussi l’adapter à la réalité. En 2015, en Allemagne, le Parlement a voté une loi autorisant les réfugiés médecins à travailler dans les centres de réfugiés du pays, aux côtés de médecins habilités qui s’occupent de plus d’un million de personnes déplacées.
Par conséquent, même si les déplacements massifs de populations exercent de nouvelles tensions sur les systèmes de santé dans le monde, la solution pourrait notamment venir des plus touchés, c’est-à-dire des réfugiés eux-mêmes.
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