Voici la deuxième partie de notre entretien avec Safaa El Tayeb El-Kogali, chef de service au pôle mondial d’expertise en Éducation de la Banque mondiale, consacré aux défis auxquels sont confrontés les systèmes éducatifs des pays de la région MENA et aux mesures prises pour les résoudre.
La Banque mondiale a effectué de nombreuses recherches sur le développement de la petite enfance et les pays de la région semblent avoir beaucoup investi dans le soutien aux jeunes enfants. Cet élan a-t-il perduré ?
Safaa El Tayeb El-Kogali : Un événement important s’est déroulé en février dernier dans la région en lien avec l’éducation de la petite enfance : des représentants de 15 pays et territoires (Algérie, Arabie saoudite, Cisjordanie et bande de Gaza, Djibouti, Égypte, Émirats arabes unis, Iraq, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Maroc, Oman, Qatar et Tunisie) se sont retrouvés à Koweït City pour un Colloque régional de haut niveau sur l’éducation préscolaire. Pour la première fois, ces responsables ont discuté des mesures à prendre pour réaliser la cible 4.2 des Objectifs de développement durable, stipulant que les pays devront « d’ici à 2030, faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons aient accès à des activités de développement et de soins de la petite enfance et à une éducation préscolaire de qualité qui les préparent à suivre un enseignement primaire ». À l’issue de ces échanges, ils ont adopté une feuille de route commune pour 2030 et appelé les partenaires nationaux et internationaux à les aider à mobiliser un soutien financier et technique sans précédent en faveur de l’éducation préprimaire.
Comment la Banque mondiale a-t-elle répondu à cet appel?
Safaa El Tayeb El-Kogali: Pour concrétiser cette feuille de route, la Banque mondiale intervient simultanément sur trois fronts. À l’échelle nationale, un nombre inédit d’opérations sont en préparation pour améliorer l’accès à l’éducation préprimaire dans des pays comme l’Égypte, la Jordanie et la Tunisie mais également pour renforcer les systèmes de suivi et d’évaluation afin de garantir une éducation de la petite enfance de qualité. À l’échelle régionale et en partenariat avec d’autres bailleurs de fonds et organisations, la Banque mondiale s’emploie à développer des biens publics accessibles pour tous les pays de la région MENA. Il s’agira notamment de normes régionales de qualité pour l’éducation préscolaire, définies en fonction des toutes dernières recherches, d’un instrument régional d’évaluation des résultats en termes de développement des enfants et d’un outil permettant de mesurer le coût des différentes options envisagées pour assurer l’éducation préscolaire ainsi que les besoins financiers des pays. Enfin, la Banque mondiale se mobilise pour améliorer le recueil de données probantes sur l’éducation préprimaire dans l’ensemble de la région MENA. Un incubateur consacré aux évaluations d’impact de l’éducation préscolaire sera mis sur pied début 2018, chargé de concevoir des stratégies novatrices pour assurer une éducation de la petite enfance de qualité aux enfants les plus défavorisés de la région MENA et d’en évaluer l’efficacité. Il permettra de renforcer les capacités de mesure et d’évaluation dans la région, de développer des partenariats entre gouvernements des pays MENA et chercheurs et de financer des évaluations d’impact dans la région.
La région est-elle ouverte aux nouvelles technologies et s’appuie-t-elle sur ces outils pour introduire des innovations dans les systèmes d’éducation?
Safaa El Tayeb El-Kogali: Les nouvelles technologies appliquées à l’éducation suscitent un vif intérêt dans la région. De nombreux pays, notamment l’Égypte, la Jordanie, le Liban, le Maroc et la Tunisie,
s’emploient depuis longtemps à équiper leurs établissements scolaires d’outils informatiques et à assurer leur connectivité. La plupart des enseignants ont reçu une formation de base sur l’utilisation des TIC en appui à leurs pratiques pédagogiques, même si seule une minorité d’entre eux se déclare à l’aise avec ces outils. Cela explique, entre autres facteurs, que les écoles de la région utilisent encore assez peu l’enseignement et les supports d’apprentissage numériques — mais les choses évoluent et certains établissements font preuve d’excellence à cet égard. Le tableau est en fait assez contrasté : tandis que des pays comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït et le Qatar possèdent des infrastructures technologiques et des supports d’enseignement et d’apprentissage de qualité, d’autres, comme le Yémen, sont loin d’avoir opéré un tel virage. Globalement, la connectivité des écoles s’améliore mais, en dehors des pays du Golfe, l’accès des établissements à l’Internet haut débit reste relativement limité. Dans la plupart des cas, lorsque les TIC font leur entrée à l’école, c’est essentiellement en appui aux pratiques classiques d’enseignement et d’apprentissage. Même si l’on ne peut pas véritablement parler d’innovation, cela ouvre d’utiles perspectives. Avec la pénétration des nouvelles technologies dans la société, surtout parmi les classes moyennes des villes, le rôle potentiel des TIC pour accéder à des possibilités supplémentaires d’apprentissage gagne rapidement du terrain. Quant à la banalisation des smartphones, elle ouvre des pistes pour concevoir des produits et des services d’enseignement et d’apprentissage en dehors du cadre scolaire. Plusieurs pays de la région font preuve d’innovation pour résoudre le casse-tête de l’apprentissage. C’est le cas de l’Égypte qui, avec sa bibliothèque virtuelle de supports d’apprentissage et la plateforme privée Nafham, permet gratuitement aux élèves du pays d’accéder à des outils calés sur les programmes scolaires officiels. C’est le cas également de la Jordanie qui, depuis des années, fait œuvre de pionnier en matière d’utilisation des TIC dans l’éducation.
Au vu de la pression démographique dans la région, en quoi les investissements dans l’éducation seront déterminants pour l’avenir de ces pays?
Safaa El Tayeb El-Kogali: La région MENA connaît depuis quelques années une évolution démographique qui se traduit par l’explosion du nombre de jeunes. Aujourd’hui par exemple, selon les Indicateurs du développement dans le monde 2017, 50 % des Égyptiens ont moins de 25 ans. À l’échelle de la région MENA, la part des moins de 25 ans dans la population ressort à 47 %. Cette évolution constitue à la fois un immense défi et d’incroyables opportunités pour tous ces pays, à condition de savoir l’exploiter positivement. Tous ces jeunes gens auront besoin d’une éducation qui leur donne les compétences pratiques et théoriques indispensables pour participer pleinement à la collectivité — d’un point de vue économique, politique ou social. Une fois adultes, ils auront aussi besoin de débouchés ou devront être capables de se créer leurs propres débouchés. De par leur simple nombre, ces jeunes sont appelés à infléchir fortement l’évolution des sociétés. Les risques d’instabilité et de violence sont réels s’ils ne peuvent pas accéder à une éducation et des emplois de qualité. Même si l’on ne peut établir de rapport de cause à effet formel entre le chômage et le terrorisme, il est évident que l’inactivité peut conduire à l’exclusion sociale, créer des désillusions et, partant, alimenter les conflits. Quand on les interroge (comme cela a été le cas en 2016 avec l’enquête d’Asda’a Burson-Marstellar), les jeunes de la région considèrent que l’absence d’emplois et de perspectives explique le succès des discours extrémistes dans la région. Pourtant, l’expérience de pays qui, comme la Corée, ont été confrontés à une explosion démographique importante montre que cela peut conduire à une prospérité accrue, à condition de miser sur une éducation et des emplois de qualité. Il est donc indispensable que les systèmes éducatifs de la région relèvent ce défi et engagent les réformes nécessaires pour améliorer la qualité de l’apprentissage dans les écoles, impartir aux élèves les compétences et les savoirs, cognitifs et autres, requis et adaptent les cursus scolaires aux attentes du marché du travail afin de faciliter la transition vers l’âge adulte.
La Banque mondiale a effectué de nombreuses recherches sur le développement de la petite enfance et les pays de la région semblent avoir beaucoup investi dans le soutien aux jeunes enfants. Cet élan a-t-il perduré ?
Safaa El Tayeb El-Kogali : Un événement important s’est déroulé en février dernier dans la région en lien avec l’éducation de la petite enfance : des représentants de 15 pays et territoires (Algérie, Arabie saoudite, Cisjordanie et bande de Gaza, Djibouti, Égypte, Émirats arabes unis, Iraq, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Maroc, Oman, Qatar et Tunisie) se sont retrouvés à Koweït City pour un Colloque régional de haut niveau sur l’éducation préscolaire. Pour la première fois, ces responsables ont discuté des mesures à prendre pour réaliser la cible 4.2 des Objectifs de développement durable, stipulant que les pays devront « d’ici à 2030, faire en sorte que toutes les filles et tous les garçons aient accès à des activités de développement et de soins de la petite enfance et à une éducation préscolaire de qualité qui les préparent à suivre un enseignement primaire ». À l’issue de ces échanges, ils ont adopté une feuille de route commune pour 2030 et appelé les partenaires nationaux et internationaux à les aider à mobiliser un soutien financier et technique sans précédent en faveur de l’éducation préprimaire.
Comment la Banque mondiale a-t-elle répondu à cet appel?
Safaa El Tayeb El-Kogali: Pour concrétiser cette feuille de route, la Banque mondiale intervient simultanément sur trois fronts. À l’échelle nationale, un nombre inédit d’opérations sont en préparation pour améliorer l’accès à l’éducation préprimaire dans des pays comme l’Égypte, la Jordanie et la Tunisie mais également pour renforcer les systèmes de suivi et d’évaluation afin de garantir une éducation de la petite enfance de qualité. À l’échelle régionale et en partenariat avec d’autres bailleurs de fonds et organisations, la Banque mondiale s’emploie à développer des biens publics accessibles pour tous les pays de la région MENA. Il s’agira notamment de normes régionales de qualité pour l’éducation préscolaire, définies en fonction des toutes dernières recherches, d’un instrument régional d’évaluation des résultats en termes de développement des enfants et d’un outil permettant de mesurer le coût des différentes options envisagées pour assurer l’éducation préscolaire ainsi que les besoins financiers des pays. Enfin, la Banque mondiale se mobilise pour améliorer le recueil de données probantes sur l’éducation préprimaire dans l’ensemble de la région MENA. Un incubateur consacré aux évaluations d’impact de l’éducation préscolaire sera mis sur pied début 2018, chargé de concevoir des stratégies novatrices pour assurer une éducation de la petite enfance de qualité aux enfants les plus défavorisés de la région MENA et d’en évaluer l’efficacité. Il permettra de renforcer les capacités de mesure et d’évaluation dans la région, de développer des partenariats entre gouvernements des pays MENA et chercheurs et de financer des évaluations d’impact dans la région.
La région est-elle ouverte aux nouvelles technologies et s’appuie-t-elle sur ces outils pour introduire des innovations dans les systèmes d’éducation?
Safaa El Tayeb El-Kogali: Les nouvelles technologies appliquées à l’éducation suscitent un vif intérêt dans la région. De nombreux pays, notamment l’Égypte, la Jordanie, le Liban, le Maroc et la Tunisie,
s’emploient depuis longtemps à équiper leurs établissements scolaires d’outils informatiques et à assurer leur connectivité. La plupart des enseignants ont reçu une formation de base sur l’utilisation des TIC en appui à leurs pratiques pédagogiques, même si seule une minorité d’entre eux se déclare à l’aise avec ces outils. Cela explique, entre autres facteurs, que les écoles de la région utilisent encore assez peu l’enseignement et les supports d’apprentissage numériques — mais les choses évoluent et certains établissements font preuve d’excellence à cet égard. Le tableau est en fait assez contrasté : tandis que des pays comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït et le Qatar possèdent des infrastructures technologiques et des supports d’enseignement et d’apprentissage de qualité, d’autres, comme le Yémen, sont loin d’avoir opéré un tel virage. Globalement, la connectivité des écoles s’améliore mais, en dehors des pays du Golfe, l’accès des établissements à l’Internet haut débit reste relativement limité. Dans la plupart des cas, lorsque les TIC font leur entrée à l’école, c’est essentiellement en appui aux pratiques classiques d’enseignement et d’apprentissage. Même si l’on ne peut pas véritablement parler d’innovation, cela ouvre d’utiles perspectives. Avec la pénétration des nouvelles technologies dans la société, surtout parmi les classes moyennes des villes, le rôle potentiel des TIC pour accéder à des possibilités supplémentaires d’apprentissage gagne rapidement du terrain. Quant à la banalisation des smartphones, elle ouvre des pistes pour concevoir des produits et des services d’enseignement et d’apprentissage en dehors du cadre scolaire. Plusieurs pays de la région font preuve d’innovation pour résoudre le casse-tête de l’apprentissage. C’est le cas de l’Égypte qui, avec sa bibliothèque virtuelle de supports d’apprentissage et la plateforme privée Nafham, permet gratuitement aux élèves du pays d’accéder à des outils calés sur les programmes scolaires officiels. C’est le cas également de la Jordanie qui, depuis des années, fait œuvre de pionnier en matière d’utilisation des TIC dans l’éducation.
Au vu de la pression démographique dans la région, en quoi les investissements dans l’éducation seront déterminants pour l’avenir de ces pays?
Safaa El Tayeb El-Kogali: La région MENA connaît depuis quelques années une évolution démographique qui se traduit par l’explosion du nombre de jeunes. Aujourd’hui par exemple, selon les Indicateurs du développement dans le monde 2017, 50 % des Égyptiens ont moins de 25 ans. À l’échelle de la région MENA, la part des moins de 25 ans dans la population ressort à 47 %. Cette évolution constitue à la fois un immense défi et d’incroyables opportunités pour tous ces pays, à condition de savoir l’exploiter positivement. Tous ces jeunes gens auront besoin d’une éducation qui leur donne les compétences pratiques et théoriques indispensables pour participer pleinement à la collectivité — d’un point de vue économique, politique ou social. Une fois adultes, ils auront aussi besoin de débouchés ou devront être capables de se créer leurs propres débouchés. De par leur simple nombre, ces jeunes sont appelés à infléchir fortement l’évolution des sociétés. Les risques d’instabilité et de violence sont réels s’ils ne peuvent pas accéder à une éducation et des emplois de qualité. Même si l’on ne peut établir de rapport de cause à effet formel entre le chômage et le terrorisme, il est évident que l’inactivité peut conduire à l’exclusion sociale, créer des désillusions et, partant, alimenter les conflits. Quand on les interroge (comme cela a été le cas en 2016 avec l’enquête d’Asda’a Burson-Marstellar), les jeunes de la région considèrent que l’absence d’emplois et de perspectives explique le succès des discours extrémistes dans la région. Pourtant, l’expérience de pays qui, comme la Corée, ont été confrontés à une explosion démographique importante montre que cela peut conduire à une prospérité accrue, à condition de miser sur une éducation et des emplois de qualité. Il est donc indispensable que les systèmes éducatifs de la région relèvent ce défi et engagent les réformes nécessaires pour améliorer la qualité de l’apprentissage dans les écoles, impartir aux élèves les compétences et les savoirs, cognitifs et autres, requis et adaptent les cursus scolaires aux attentes du marché du travail afin de faciliter la transition vers l’âge adulte.
Prenez part au débat