Publié sur Voix Arabes

CCG : le processus de consolidation bancaire doit veiller à préserver la concurrence

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National Bank of Abu Dhabi - Ijanderson977 (Own work) [Public domain], via Wikimedia CommonsLes marchés bancaires des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) entrent dans une importante phase de consolidation, qui pourrait radicalement modifier le rôle et les capacités d’intermédiation du secteur. Voici quelques jours, deux grands établissements des Émirats arabes unis (EAU), la National Bank of Abu Dhabi et la First Gulf Bank, ont décidé de créer ensemble un champion national et un poids lourd régional, avec 170 milliards de dollars d’actifs. À Oman, les discussions entre la Bank Sohar et la Bank Dhofar en vue d’une fusion sont déjà bien avancées, tandis que d’autres rapprochements sont attendus à Bahreïn et au Qatar.

La tendance à la baisse prolongée des cours du pétrole menace la croissance économique et la stabilité budgétaire des pays de la région — une évolution qui rejaillit sur les systèmes bancaires. Avec l’effritement croissant des dépôts, publics et privés, les liquidités sont sous pression. Le panier de monnaies et la faiblesse des taux d’intérêt se conjuguent pour éroder les marges des banques. Tandis que les capitaux-tampons restent solides, la qualité des actifs pourrait se dégrader avec l’atonie des cours de pétrole, qui menace de perdurer, et la décélération continue de la croissance économique. Dans cet environnement marqué par la fragmentation des marchés, la consolidation pourrait donc procurer de gains d’efficacité et, au final, préserver la stabilité financière des pays du Golfe.

Mais cela ne doit pas se faire au détriment de la concurrence. L’expérience d’autres pays montre qu’une saine compétition entre banques favorise habituellement l’accès au crédit et améliore l’efficacité de l’intermédiation financière sans pour autant obligatoirement fragiliser le système bancaire. La concurrence entre établissements bancaires de la région n’a jamais été très vive, à cause de règles d’accès contraignantes, de restrictions imposées à leurs activités, de systèmes d’information sur le crédit assez peu développés et de l’absence de rivaux étrangers et d’établissements financiers non bancaires. Bien que concentration accrue du marché ne rime pas forcément avec emprise de marché supérieure, le risque d’effets négatifs durables sur la concurrence découlant de ce mouvement de consolidation est bien réel si celui-ci n’est pas encadré.

Dans un rapport à paraître, nous analysons le rôle potentiellement néfaste des institutions et des réglementations pour la concurrence bancaire dans les pays du Golfe. Nous identifions plusieurs aspects qui mériteraient la recherche de solutions par les autorités. Deux risques prennent une importance particulière face à cette vague de fusions entre banques : premièrement, le renforcement possible de l’accès préférentiel aux financements des établissements publics, puisqu’ils bénéficient du soutien explicite ou supposé du gouvernement. Tous les établissements cités et qui envisagent des fusions sont contrôlés par l’État, directement ou indirectement. Cette situation peut fausser les règles du jeu et, ce faisant, pénaliser les clients et les entreprises. Il convient donc d’adopter un principe de neutralité concurrentielle dans tout le secteur, à travers par exemple la neutralité de la dette et des politiques et des procédures de passation de marché ouvertes et concurrentielles
Deuxièmement, l’incapacité des systèmes juridiques en vigueur dans la région à garantir que ces fusions ne faussent pas les règles de concurrence. Les banques d’État (et, dans le cas des EAU, la totalité du secteur bancaire) échappent au droit général de la concurrence. De même, les autorités chargées de réglementer le secteur financier n’ont pas d’autre objectif que d’assurer leur traditionnel mandat de stabilité financière, ce qui exclut toute intervention en matière de concurrence. Les règles de contrôle des fusions sont encore peu développées, sachant que les capacités d’application sont relativement faibles. Il y a donc de la marge pour renforcer le rôle et le pouvoir des autorités de la concurrence tout en mettant en place des cadres formels de coopération entre ces autorités et les superviseurs du secteur bancaire afin de clarifier la répartition des tâches.

Les pays du CCG sont en train de mettre en œuvre d’importantes réformes structurelles pour diversifier les économies et soutenir la création d’emplois privés. Le secteur bancaire aura un rôle clé à jouer dans ce cadre, pour aider les petites entreprises à se développer et faciliter la transformation structurelle. C’est la raison pour laquelle la réforme du secteur financier doit continuer de figurer dans les priorités des décideurs. La création de champions nationaux aura-t-elle des effets positifs sur la productivité et le repli des cours ? Cela reste à prouver mais, en attendant, tout doit être fait pour renforcer les règles de concurrence sur les marchés en s’appuyant sur un cadre institutionnel et réglementaire sain.

Auteurs

Pietro Calice

Spécialiste senior du secteur financier

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