Publié sur Voix Arabes

Cap sur la transition politique, mais gare à l’iceberg économique !

Ce billet a été rédigé par Caroline Freund et Melise Jaud.

Cap sur la transition politique, mais gare à l’iceberg économique ! - World Bank | Arne HoelÀ l’heure où les pays arabes célèbrent le deuxième anniversaire de leur révolution, ils restent confrontés à des problèmes économiques considérables, et, compte tenu des incertitudes politiques et économiques actuelles, il est difficile de prévoir comment leur croissance va évoluer à long terme. Pour dissiper une partie de ces incertitudes, on peut étudier ce qui s’est produit dans les autres cas de transition. Dans un document (a) récent, nous avons identifié et analysé 90 tentatives de transition de régimes autoritaires à des systèmes démocratiques au cours des cinquante dernières années. 

Nos conclusions nous autorisent à un optimisme prudent s’agissant des pays arabes : la plupart des transitions réussissent sur le plan politique et/ou économique. En particulier, nous avons observé que 45 % des transitions ont été rapides et complètes, 40 % ont été rapides mais incomplètes, et 15 % n’ont abouti que progressivement à la démocratie. On considère que la transition est rapide lorsque le changement politique s’accomplit en l’espace de trois ans, et qu’elle est complète lorsque le pays atteint un degré élevé de démocratie et le préserve. La transition est incomplète lorsque le changement politique est rapide mais que la démocratie est temporaire, ou très insuffisante.

Nous pouvons tirer un enseignement important de ces diverses expériences : les processus de transition sont chargés de défis sur le plan économique, mais les pays se redressent relativement rapidement, que la transition soit complète ou incomplète, dès lors qu’ils sont prompts à normaliser leur situation politique. Comme le montre la figure 1, tant dans les cas de transition rapide et complète que de transition rapide et incomplète, la croissance plonge en général pendant un ou deux ans avant de renouer avec ses niveaux antérieurs, voire de les dépasser. Entre les trois années qui ont précédé le recul et le moment où la croissance atteint son plancher, la croissance moyenne des revenus baisse d’environ 11 points de pourcentage lors des transitions rapides et complètes, et de 7 points lors des transitions incomplètes (figure 1, cadre b). Lorsque la transition est progressive, les économies ont tendance à être touchées plus durement et plus longtemps. En moyenne, la croissance recule de 21 points de pourcentage pendant la transition et reste négative au moins pendant les cinq années qui suivent le début du processus de transition.

Mais c’est l’effet du type de transition sur la croissance à long terme qui est le plus différencié. Les pays qui opèrent une transition rapide enregistrent une accélération significative de leur croissance à long terme, comprise entre 0,9 et 1,4 point de pourcentage, si l’on compare les moyennes d’avant et d’après la transition. En revanche, une transition progressive sera habituellement associée à un repli plus marqué et à une période plus longue de croissance atone.


Figure 1. Chiffres moyens de la croissance pendant les transitions démocratiques

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Pourquoi le rythme de la transition influe-t-il davantage sur les perspectives économiques que l’issue de la transition ?

En fait, dans la plupart des cas, les transitions ne sont progressives que par défaut, et non pour suivre un plan délibéré ; la transformation politique avance par à-coups, ce qui fait planer une forte incertitude sur la situation politique et l’action du gouvernement pendant de nombreuses années. Investisseurs, employeurs et consommateurs ont toutes les raisons d’attendre de voir comment les choses vont évoluer avant de risquer leur argent.

La Roumanie, qui est l’un des deux seuls pays d’Europe de l’Est à avoir opéré une transition progressive, illustre parfaitement ce constat. Dans ce pays, le point d’achoppement a été le scrutin de 1990, remporté par le Front du salut national, composé d’anciens dignitaires du régime communiste qui venait d’être renversé. Ces élections ont suscité de nombreuses manifestations de protestation, dont certaines ont dégénéré de manière violente. Elles ont engendré une incertitude sur la direction qu’allait prendre le pays, ainsi qu’un épisode d’agitation sociale qui a coïncidé avec des performances économiques extrêmement mauvaises. Sur la période 1991-1999, le PIB roumain s’est comprimé de près de 2 points en moyenne chaque année, alors que la croissance était proche de zéro en Hongrie et atteignait presque 4 % en Pologne, deux anciens pays communistes qui avaient opéré une transition démocratique rapide et complète. 

Il convient toutefois de préciser que cette règle supporte quelques exceptions. L’un des quatorze cas de transition progressive s’est accompagné de solides performances économiques : il s’agit du Ghana. Dans ce pays, une transition politique lente mais prévisible a coïncidé avec la mise en œuvre de réformes économiques. Les libertés politiques ont été concédées petit à petit : d’abord la liberté de la presse, puis l’autorisation des organisations militant pour les droits de l’homme, puis les élections, en 1992. Le président élu s’est retiré en 2000, à l’issue de deux mandats, comme le prévoit la Constitution, et c’est le parti d’opposition qui a remporté le scrutin suivant. Il importe de noter que pendant cette période, le président Rawlings a poursuivi les réformes économiques qui avaient valu au Ghana le plus fort taux de croissance de l’Afrique de l’Ouest à la fin des années 1980, et que la croissance est restée supérieure à 5 % pendant toute la période de transition. Le Ghana, qui a fait le choix délibéré d’une transition progressive, est l’exception qui confirme la règle.

Les pays de la région MENA qui sortent de la révolution peuvent en tirer une leçon. L’appel du grand large politique peut être irrésistible, mais il faut prendre garde à l’« iceberg économique ». La croissance requiert un degré raisonnable de prévisibilité. Il faut donc minutieusement planifier l’orientation de la transition, en associant tous les acteurs essentiels, annoncer à l’avance le cap qui sera pris et s’y tenir.


Auteurs

Caroline Freund

Directrice principale du pôle Commerce, investissement et compétitivité

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