Au cours des recherches que nous avons effectuées pour le prochain rapport sur le changement climatique dans le monde arabe, j’ai traversé la région de long en large. J’ai rencontré plein de gens qui se battent courageusement contre la montée des températures et les pluies sporadiques, mais ce sont bien les enfants qui racontent avec le plus d’éloquence les conséquences délétères actuelles et potentielles du changement climatique.
Je pense par exemple à Mohamed, en Syrie. Ce jeune garçon vit à la campagne dans une famille qui, sous l’effet de la récente sécheresse prolongée, a perdu presque tout ce dont elle dépendait pour sa survie et qui, maintenant, en plus de son dénuement, doit faire face à une guerre civile. Il y a aussi Samia, une fillette yéménite qui a dû quitter l’école pour aider sa mère à la corvée de l’eau. Les sources d’eau se raréfiant, cette mission est de plus en plus difficile. Alors, au lieu d’étudier comme le font les enfants de son âge, Samia passe ses journées à aller chercher de l’eau jusqu’à un puits qui se trouve à 3 heures de marche de chez elle.
Depuis des milliers d’années, les habitants des pays arabes surmontent les difficultés que posent les variations climatiques en adaptant leurs stratégies de survie aux évolutions des précipitations et des températures. Toutefois, au cours du prochain siècle, cette variabilité va s’accentuer et le climat des pays arabes afficher des extrêmes sans précédent. Les températures atteindront de nouveaux sommets, et, dans la plupart des régions, les pluies seront encore plus rares. Le rythme actuel du changement climatique a d’ores et déjà rendu obsolètes de nombreuses stratégies d’adaptation traditionnelles. Et les deux histoires que j’ai citées précédemment ne sont que deux illustrations des très nombreuses répercussions du changement climatique dans le monde arabe.
Les personnes les plus vulnérables sont celles dont les moyens de subsistance et le bien-être sont tributaires des ressources naturelles, à savoir la population rurale (qui représente près de la moitié de la population totale de la région). Plusieurs centaines de milliers de personnes ont déjà épuisé tous leurs biens et été contraintes de quitter leur lieu de vie pour trouver d’autres moyens de subsistance. Elles finissent généralement dans les villes, et se retrouvent à devoir accepter un emploi informel et mal rémunéré, si tant est qu’elles aient la chance d’en trouver un. Les villes déjà bondées le deviennent plus encore, ce qui accentue les risques sanitaires et les tensions sur le réseau urbain d’approvisionnement en eau. Ce cycle ne cessera de s’exacerber sous l’influence du changement climatique, à mesure que les formes traditionnelles de subsistance en milieu rural ne seront plus viables.
L’élévation des températures et la multiplication des événements extrêmes, tels que les sécheresses ou les inondations soudaines, deviennent la nouvelle norme dans le monde arabe. À l’échelle mondiale, l’année 2010 a été la plus chaude depuis que les températures sont officiellement relevées, c’est-à-dire depuis la fin du XIXe siècle, 19 pays ayant atteint des records cette année-là. Cinq d’entre eux étaient des pays arabes. Aujourd’hui, de nombreux pays de cette région enregistrent régulièrement des températures avoisinant les 50 °C durant les mois d’été.
Notre rapportconsacré à l’adaptation au changement climatique dans les pays arabes, qui sera rendu public à l’occasion de la conférence des Nations Unies sur le changement climatique, au Qatar, évalue les effets du changement climatique sur la région arabe, et expose les mesures qu’il faudra prendre avant qu’il ne soit trop tard. Au fil des travaux préparatoires pour cet ouvrage, j’ai aussi rencontré beaucoup d’experts régionaux. J’ai eu le privilège de travailler avec un grand nombre de chercheurs locaux de renommée internationale, tous spécialistes de domaines qui sont affectés par le changement climatique. Tout ce que ces experts m’ont appris a été retranscrit dans ce rapport, et je leur suis redevable à tous pour leur enseignement. Ces spécialistes des sciences naturelles et sociales ont travaillé en étroite collaboration et rédigé des chapitres et des notes ; des dirigeants d’ONG et d’institutions régionales ont également apporté leur contribution au fil du processus.
Ce rapport est le fruit d’un an et demi d’investissement, d’engagement et de labeur. Le produit final est en grande partie un effort régional. Il donne des orientations aux décideurs des pays arabes quant aux actions à entreprendre, en milieu rural et urbain, pour renforcer la résilience au changement climatique dans des domaines aussi cruciaux que l’agriculture, l’eau, la santé, l’égalité hommes-femmes ou le tourisme. En outre, l’anticipation du changement climatique dans l’ensemble des activités menées peut jouer un rôle catalyseur pour améliorer les interventions, mobiliser des soutiens et se préparer aux évolutions à venir.
Comme le montrent les histoires de Mohamed et de Samia, la vie des enfants, des femmes et des hommes dans le monde arabe est déjà affectée négativement par la variabilité et le changement climatiques. Cette situation appelle une approche globale de l’adaptation au changement climatique, en vue de réduire la vulnérabilité des populations et d’améliorer la résilience des pays au changement climatique. Notre rapport expose des mesures qui non seulement atténueraient la vulnérabilité de la région, mais contribueraient également à un meilleur développement à long terme. Il formule une série de propositions sur la manière de mettre en œuvre les stratégies et activités d’adaptation, et de les gérer sur la durée. L’adaptation est un processus organique qui impose de s’ajuster en permanence si l’on ne veut pas se laisser distancer par les évolutions climatiques. Ce processus exige une gouvernance ainsi que l’intégration des risques et opportunités associés au climat dans toutes les activités. Notre ouvrage cherche avant tout à transmettre le message suivant : afin de renforcer la résilience face au changement climatique, les pays — tout autant que les ménages — devront diversifier leur production et leurs revenus, et prendre en compte l’adaptation dans toutes leurs décisions, que l’on se place au niveau régional, national ou local. Un leadership fort sera également crucial, sans quoi les efforts d’adaptation auront peu de chances de recueillir l’engagement nécessaire pour aboutir.
Les enjeux sont énormes, et l’avenir est incertain, mais on peut faire beaucoup pour s’adapter. S’il déploie les stratégies et les actions adaptées, le monde arabe sera prêt pour les mille prochaines années. Le tout, c’est de commencer à se préparer dès maintenant.
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