Ce billet a fait l’objet d’une première publication dans Future Development.
Le sort des 60 millions (a) de personnes déplacées, et leur nombre en constante augmentation, étaient au centre de l’attention mondiale lors de la Journée internationale des réfugiés, le 20 juin dernier. Comme le dit si bien l’écrivain anglo-somalienne Warsan Shire, « personne ne souhaite quitter sa maison, sauf si celle-ci est aussi dangereuse que la gueule d'un requin » (a). Mais il y a aussi des millions de personnes qui sont dans l'incapacité de fuir, parce qu'elles n'en ont pas les moyens, ou par crainte d'être confrontées, ailleurs, à des requins encore plus gros. Pendant ce temps, leur pays est en proie aux violences et enfermé dans une sorte de camisole de force idéologique. Bien qu'elles ne soient pas forcément chassées de chez elles, ces personnes sont également des victimes. C'est particulièrement vrai pour les enfants, dont les écoles et les processus de socialisation subissent des transformations radicales sous le joug du nouveau régime en place.
Le lundi 8 mai 2015, l'ONU a souligné les dangers auxquels les enfants du monde entier sont confrontés en dévoilant le Rapport 2015 de l'Assemblée générale de l'ONU sur le sort des enfants touchés par les conflits (a) aux membres du Conseil de sécurité. Ce rapport a reçu un large écho médiatique, notamment parce qu'il dresse une « liste de la honte » (a) répertoriant les armées et groupes armés qui tuent ou mutilent des enfants.
Publié chaque année depuis 2005, ce rapport indique que les violences faites aux enfants ont enregistré des niveaux inédits en 2014. Cette « liste de la honte » recense quelque 57 armées et groupes armés agissant dans 11 pays. Elle signale aussi les pays récidivistes, c'est-à-dire ceux où des actes de ce type ont été identifiés depuis au moins 5 ans. L'Iraq, la Syrie et le Yémen figurent dans cette liste. Le rapport de cette année met en lumière la croissance des enlèvements de masse, l'un des traits distinctifs de l'État islamique, parmi d'autres groupes terroristes. Il souligne également le fait que différents groupes (a) ciblent délibérément des écoles pour des motifs idéologiques (parce qu'elles sont laïques, accueillent des filles, etc.), mais aussi parce que ces établissements constituent des cibles à la fois faciles et porteuses d'un fort impact émotionnel. Les groupes radicaux modifient souvent les programmes scolaires pour les adapter à leur vision du monde, ou ferment purement et simplement les écoles. Bon nombre de groupes ont recours à la violence pour endoctriner les enfants, pratique qui n'est pas propre à l'État islamique. Les enfants sont « recrutés » de toutes parts en Iraq (a), en Syrie et au Yémen (a). Le rapport de l'ONU et d'autres sources (a) soulignent par conséquent l'impérieuse nécessité de mettre en place des programmes globaux pour réintégrer les enfants qui ont été victimes ou témoins de ces violences endémiques.
Toutefois, l'État islamique se distingue nettement des autres groupes armés. Les psychologues iraquiens affirment qu'ils n'ont jamais observé de traumatismes aussi terribles que ceux infligés par l'État islamique (a). Celui-ci se démarque également par sa détermination à prendre et occuper des territoires, et à convertir les populations à sa vision du monde.
L'État islamique dispose de nombreux camps d'entraînement en Syrie, et maintenant en Iraq, dans lesquels des enfants reçoivent une formation militaire et idéologique (a). Ces « jeunes recrues » proviennent de centres d'enrôlement qui ciblent les 14-15 ans, mais également des enfants de tout juste 10 ans (a). Certains sont enlevés, d'autres s'engagent volontairement, et quelques-uns sont même amenés par leurs parents. Des classes de 40 à 60 recrues reçoivent une formation d'un mois couvrant enseignement religieux, éducation physique et formation militaire. S'ils ne sont pas envoyés immédiatement au combat, ils sont maintenus à proximité des combattants et du front.
Cependant, l'impact sur les enfants va bien au-delà de ces camps. On estime que 6 à 8 millions de personnes vivent dans des zones contrôlées par l'État islamique, dont environ un tiers d'enfants (a). Cela signifie qu'environ 2 millions de moins de 18 ans sont susceptibles d'être coupés d'une éducation et de modes de socialisation normaux : une réserve de recrues toutes trouvées qui devrait continuer à prendre de l'importance à mesure que l'État islamique consolidera son emprise territoriale. Soulignons que Raqqa, la capitale autoproclamée de l'État islamique, est tombée il y a plus de deux ans, en mars 2013, et que Mossoul, avec sa population supérieure à un million d'habitants, est sous contrôle de l'État islamique depuis plus d'un an. Et il ne s'agit-là que des deux plus grandes zones urbaines qu'occupe l'État islamique.
Les enfants qui vivent dans les territoires contrôlés par l'État islamique grandissent dans un environnement où les violences sont permanentes et publiques (des exécutions brutales aux flagellations en passant par les passages à tabac), où hommes et femmes sont strictement séparés, tandis que les autres groupes religieux sont soumis à une exclusion sociale extrême. Comme à Raqqa, les enseignants de Mossoul se sont vus imposer en début d'année un endoctrinement conforme à l'idéologie de l'État islamique, l'éducation étant désormais supervisée par un « émir » égyptien (a).
Les matières interdites sont l'histoire, la géographie, la littérature, les arts plastiques, la musique, la psychologie, parmi d'autres (a). Toutes les références à l'Iraq et à la Syrie ont été effacées. L'enseignement religieux axé sur le djihad remplace les cours supprimés. Dans le même temps, le ministère de l'Éducation à Bagdad continue à verser les salaires des enseignants, tandis que l'État islamique a institué des frais de scolarité mensuels allant de 25 000 dinars iraquiens (21 dollars) pour la maternelle à 50 000 dinars (42 dollars) pour le lycée et 75 000 dinars (63 dollars) pour l'université. Ces frais serviront probablement à financer l'éducation et d'autres services, comme en Syrie, où l'État islamique interdit désormais tout paiement en provenance du régime de Damas (a).
Pour le moment, la mise en place de cet ordre nouveau reste inégale, (a) et l'État islamique manque d'effectifs pour assurer un contrôle total sur son territoire. Cette situation pourrait néanmoins évoluer, car il apparaît de plus en plus clairement que les villes et zones occupées par l'État islamique sont effectivement dotées d'une administration capable de faire respecter l'ordre (parfois avec une grande brutalité) et de technocrates prêts à assurer les services publics (a).
Une chose est claire : du fait des visées territoriales de l'État islamique et de sa volonté d'endoctriner les nouvelles générations tout en essayant de gagner le soutien des populations locales en assurant des services publics efficaces (a), une réponse purement militaire ne suffira pas. À mesure que l'État islamique sera délogé, des programmes de désendoctrinement (a) seront sans doute nécessaires pour réintégrer les populations, surtout les jeunes. Un représentant kurde souligne le cœur du problème : « La plus grande menace, c'est que le nouveau programme scolaire qui est inculqué aux enfants est très extrémiste… C'est une véritable bombe à retardement pour l'avenir » (a).
Le sort des 60 millions (a) de personnes déplacées, et leur nombre en constante augmentation, étaient au centre de l’attention mondiale lors de la Journée internationale des réfugiés, le 20 juin dernier. Comme le dit si bien l’écrivain anglo-somalienne Warsan Shire, « personne ne souhaite quitter sa maison, sauf si celle-ci est aussi dangereuse que la gueule d'un requin » (a). Mais il y a aussi des millions de personnes qui sont dans l'incapacité de fuir, parce qu'elles n'en ont pas les moyens, ou par crainte d'être confrontées, ailleurs, à des requins encore plus gros. Pendant ce temps, leur pays est en proie aux violences et enfermé dans une sorte de camisole de force idéologique. Bien qu'elles ne soient pas forcément chassées de chez elles, ces personnes sont également des victimes. C'est particulièrement vrai pour les enfants, dont les écoles et les processus de socialisation subissent des transformations radicales sous le joug du nouveau régime en place.
Le lundi 8 mai 2015, l'ONU a souligné les dangers auxquels les enfants du monde entier sont confrontés en dévoilant le Rapport 2015 de l'Assemblée générale de l'ONU sur le sort des enfants touchés par les conflits (a) aux membres du Conseil de sécurité. Ce rapport a reçu un large écho médiatique, notamment parce qu'il dresse une « liste de la honte » (a) répertoriant les armées et groupes armés qui tuent ou mutilent des enfants.
Publié chaque année depuis 2005, ce rapport indique que les violences faites aux enfants ont enregistré des niveaux inédits en 2014. Cette « liste de la honte » recense quelque 57 armées et groupes armés agissant dans 11 pays. Elle signale aussi les pays récidivistes, c'est-à-dire ceux où des actes de ce type ont été identifiés depuis au moins 5 ans. L'Iraq, la Syrie et le Yémen figurent dans cette liste. Le rapport de cette année met en lumière la croissance des enlèvements de masse, l'un des traits distinctifs de l'État islamique, parmi d'autres groupes terroristes. Il souligne également le fait que différents groupes (a) ciblent délibérément des écoles pour des motifs idéologiques (parce qu'elles sont laïques, accueillent des filles, etc.), mais aussi parce que ces établissements constituent des cibles à la fois faciles et porteuses d'un fort impact émotionnel. Les groupes radicaux modifient souvent les programmes scolaires pour les adapter à leur vision du monde, ou ferment purement et simplement les écoles. Bon nombre de groupes ont recours à la violence pour endoctriner les enfants, pratique qui n'est pas propre à l'État islamique. Les enfants sont « recrutés » de toutes parts en Iraq (a), en Syrie et au Yémen (a). Le rapport de l'ONU et d'autres sources (a) soulignent par conséquent l'impérieuse nécessité de mettre en place des programmes globaux pour réintégrer les enfants qui ont été victimes ou témoins de ces violences endémiques.
Toutefois, l'État islamique se distingue nettement des autres groupes armés. Les psychologues iraquiens affirment qu'ils n'ont jamais observé de traumatismes aussi terribles que ceux infligés par l'État islamique (a). Celui-ci se démarque également par sa détermination à prendre et occuper des territoires, et à convertir les populations à sa vision du monde.
L'État islamique dispose de nombreux camps d'entraînement en Syrie, et maintenant en Iraq, dans lesquels des enfants reçoivent une formation militaire et idéologique (a). Ces « jeunes recrues » proviennent de centres d'enrôlement qui ciblent les 14-15 ans, mais également des enfants de tout juste 10 ans (a). Certains sont enlevés, d'autres s'engagent volontairement, et quelques-uns sont même amenés par leurs parents. Des classes de 40 à 60 recrues reçoivent une formation d'un mois couvrant enseignement religieux, éducation physique et formation militaire. S'ils ne sont pas envoyés immédiatement au combat, ils sont maintenus à proximité des combattants et du front.
Cependant, l'impact sur les enfants va bien au-delà de ces camps. On estime que 6 à 8 millions de personnes vivent dans des zones contrôlées par l'État islamique, dont environ un tiers d'enfants (a). Cela signifie qu'environ 2 millions de moins de 18 ans sont susceptibles d'être coupés d'une éducation et de modes de socialisation normaux : une réserve de recrues toutes trouvées qui devrait continuer à prendre de l'importance à mesure que l'État islamique consolidera son emprise territoriale. Soulignons que Raqqa, la capitale autoproclamée de l'État islamique, est tombée il y a plus de deux ans, en mars 2013, et que Mossoul, avec sa population supérieure à un million d'habitants, est sous contrôle de l'État islamique depuis plus d'un an. Et il ne s'agit-là que des deux plus grandes zones urbaines qu'occupe l'État islamique.
Les enfants qui vivent dans les territoires contrôlés par l'État islamique grandissent dans un environnement où les violences sont permanentes et publiques (des exécutions brutales aux flagellations en passant par les passages à tabac), où hommes et femmes sont strictement séparés, tandis que les autres groupes religieux sont soumis à une exclusion sociale extrême. Comme à Raqqa, les enseignants de Mossoul se sont vus imposer en début d'année un endoctrinement conforme à l'idéologie de l'État islamique, l'éducation étant désormais supervisée par un « émir » égyptien (a).
Les matières interdites sont l'histoire, la géographie, la littérature, les arts plastiques, la musique, la psychologie, parmi d'autres (a). Toutes les références à l'Iraq et à la Syrie ont été effacées. L'enseignement religieux axé sur le djihad remplace les cours supprimés. Dans le même temps, le ministère de l'Éducation à Bagdad continue à verser les salaires des enseignants, tandis que l'État islamique a institué des frais de scolarité mensuels allant de 25 000 dinars iraquiens (21 dollars) pour la maternelle à 50 000 dinars (42 dollars) pour le lycée et 75 000 dinars (63 dollars) pour l'université. Ces frais serviront probablement à financer l'éducation et d'autres services, comme en Syrie, où l'État islamique interdit désormais tout paiement en provenance du régime de Damas (a).
Pour le moment, la mise en place de cet ordre nouveau reste inégale, (a) et l'État islamique manque d'effectifs pour assurer un contrôle total sur son territoire. Cette situation pourrait néanmoins évoluer, car il apparaît de plus en plus clairement que les villes et zones occupées par l'État islamique sont effectivement dotées d'une administration capable de faire respecter l'ordre (parfois avec une grande brutalité) et de technocrates prêts à assurer les services publics (a).
Une chose est claire : du fait des visées territoriales de l'État islamique et de sa volonté d'endoctriner les nouvelles générations tout en essayant de gagner le soutien des populations locales en assurant des services publics efficaces (a), une réponse purement militaire ne suffira pas. À mesure que l'État islamique sera délogé, des programmes de désendoctrinement (a) seront sans doute nécessaires pour réintégrer les populations, surtout les jeunes. Un représentant kurde souligne le cœur du problème : « La plus grande menace, c'est que le nouveau programme scolaire qui est inculqué aux enfants est très extrémiste… C'est une véritable bombe à retardement pour l'avenir » (a).
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