Publié sur Voix Arabes

La part de responsabilité du changement climatique dans les crises au Moyen-Orient

Mohamed Abdallah Youness, chargé de cours à la faculté d’économie et de science politique de l’université du Caire
 
Un universitaire, basé au Caire, met en évidence les liens entre le changement climatique et l’instabilité qui touche la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.
 
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La conférence sur le changement climatique qui se déroule à Paris confirme les interférences de plus en plus prégnantes entre, d’une part, les menaces à la sécurité « conventionnelle », de nature militaire et concentrées sur les nations, et, d’autre part, les menaces non conventionnelles, qui sont d’ordre environnemental, social et humanitaire et axées sur les sociétés et les individus. Le phénomène du changement climatique est ainsi à l’origine de menaces sécuritaires allant de l’instabilité au terrorisme en passant par les conflits intérieurs.
                                                                                                    
Alors que la part des émissions de gaz à effet de serre imputable au Moyen-Orient n’est pas supérieure à celle des pays plus développés, il s’agit de la région du monde la plus durement touchée par les conséquences du changement climatique : les sécheresses et la désertification y entraînent une baisse de la production agricole et des niveaux d’eau dans les rivières et viennent saper la révolution agricole et alimenter les conflits pour des ressources rares.
 
Déclenchement de conflits civils
 
Selon une étude réalisée en 2013 par John Waterbury et intitulée The Political Economy of Climate Change in the Arab Region, les sécheresses survenues avant 2011 en Syrie ont dévasté les terres agricoles de l’est du pays, au détriment d’au moins 800 000 personnes qui en étaient tributaires, et décimé 85 % du bétail. Elles ont conduit les habitants de ces zones rurales à quitter la campagne pour la ville et donné naissance à des agglomérations informelles en périphérie de grandes métropoles (Hama, Homs, Deraa), ce qui a contribué au déclenchement du conflit syrien à la suite du recours aux forces armées par le régime du président Assad contre ces populations.
                                       
Le conflit du Darfour, au Soudan, est à cet égard assez similaire, avec une baisse de 30 % des précipitations, une chute de 70 % de la production agricole et une hausse de 1,5 °C de la température annuelle moyenne, qui ont conduit les tribus pastorales à entrer en conflit pour le partage des pâturages.
 
Expansion des organisations terroristes
 
L’importance que revêt l’accès aux ressources aux yeux des organisations terroristes est manifeste dans les efforts déployés par l’État islamique pour prendre le contrôle des barrages de Mossoul et de Falloujah en Iraq, ainsi que des régions de Zoumar, Sinjar et Rabiah, afin de mettre la main sur les eaux du Tigre et de l’Euphrate en Iraq et sur les ressources hydriques de la Syrie, en plus des territoires fertiles et propices à l’agriculture dans ces deux pays.
 
Une étude d’Aaron Sayne publiée par le United States Peace Institute en juin 2011 impute également l’émergence de Boko Haram au Nigéria à l’évolution de l’environnement et au changement climatique, en montrant la corrélation entre la fondation de ce mouvement dans les années 80 par Mohammed Marwa et la prolifération des victimes des crises environnementales au Nigéria, sans abri et en proie au manque de nourriture. Plus tard, Boko Haram a tiré profit de la migration d’agriculteurs tchadiens en raison de la sécheresse et de la désertification sévissant dans leur pays, en en intégrant un grand nombre dans les rangs de ses combattants.
 
Montée des manifestations environnementales
 
De nombreuses études démontrent le lien entre changement climatique et révolutions arabes . Selon une étude intitulée The Arab Spring and Climate Change et publiée en 2013 par le Center for Climate and Security à Washington, c’est l’incapacité de certains pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord à satisfaire les besoins essentiels de leurs citoyens et à faire face aux problèmes de la sécheresse et de la désertification, ainsi qu’à remédier à la pénurie d’électricité, qui a poussé ces derniers à prendre part aux manifestations politiques.
 
Ces dernières années, la région a été le théâtre de pr otestations environnementales prenant la forme d’une désobéissance civile, à l’instar des manifestations contre l’exploitation du gaz de schiste qui ont eu lieu dans les villes algériennes d’Ouargla et d’In Salah en mars 2015. On peut aussi citer une tendance similaire en Israël, où, en 2013, la région d’Adullam a connu des manifestations écologistes menées par des organisations telles que l’Union pour la défense de l’environnement en Israël, la Société pour la protection de la nature en Israël et l’Alliance sioniste verte.
 
Des manifestations de ce type se sont également produites à plusieurs reprises en Égypte entre 2011 et 2012 ; elles concernaient notamment l’opposition à une usine d’engrais MOPCO à Damiette, tandis que les habitants du village de Fares, à proximité d’Assouan, ont protesté contre les pratiques de forage gazier. En 2014, une campagne baptisée « Les Égyptiens contre le charbon » a été lancée à Alexandrie afin de dénoncer la pollution causée par ce combustible dans une cimenterie Lafarge. En mars 2015, plusieurs groupes de défense de l’environnement ont menacé d’organiser un sit-in à la suite de l’annonce par le gouvernement de l’autorisation du charbon dans les usines de ciment.
 
Détérioration de la sécurité humaine
 
Le changement climatique accentue les menaces qui pèsent sur la sécurité humaine . La plupart des études environnementales s’accordent à dire que le changement climatique provoquera probablement une aggravation du nombre de personnes déplacées et de réfugiés au Moyen-Orient. Selon un rapport de la Banque mondiale paru en novembre 2014, l’élévation du niveau des mers, et en particulier de la mer Méditerranée, devrait entraîner le déplacement, vers l’intérieur des terres, de 3,8 millions d’habitants du delta du Nil et des zones côtières. Les villes du littoral — Alexandrie, en Égypte, Benghazi, en Libye, et Alger, en Algérie — seront en outre particulièrement exposées aux inondations.
 
Le rapport de la Banque mondiale intitulé Face à la nouvelle norme climatique indique que le monde arabe connaît actuellement une évaporation de ses ressources en eau, par ailleurs déjà limitées, en particulier au niveau du Tigre, de l’Euphrate, du Jourdain et du lac de Tibériade, ainsi qu’une baisse de 30 % des rendements de culture en Égypte, en Jordanie et en Libye. De même, selon un rapport de l’Arab Forum for Environment and Development, 12 % des terres arables égyptiennes sont soumises à de multiples risques.
 
En conclusion, on peut affirmer que les menaces découlant du changement climatique s’étendent au-delà des champs de la sécurité environnementale, sociale et humaine, et qu’elles sont à présent reliées à la sécurité conventionnelle et à la stabilité intérieure au Moyen-Orient. Ce constat confirme la nécessité d’accroître la pression sur les pays industrialisés et en développement rapide, qui sont responsables de la plus grande partie des émissions de gaz à effet de serre, afin qu’ils s’emploient activement à parer aux conséquences dangereuses du changement climatique, à faire évoluer la perception des risques associés à la sécurité environnementale au sein des élites politiques et médiatiques, à trouver de nouveaux moyens de remédier aux crises alimentaires et aux pénuries d’eau, et à mettre au point des politiques qui permettent de faire face aux vagues attendues de personnes déplacées.

Auteurs

Mohamed Abdallah Youness

Chargé de cours en science politique

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