L’évolution rapide de la guerre militaire en Ukraine et ses effroyables conséquences humanitaires ont pris la majorité d’entre nous par surprise. La région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) est malheureusement sujette à une telle violence insensée. L’actuelle zone de conflit semble éloignée, mais ce n’est qu’une apparence. À peine 1 000 km séparent les deux régions si l’on trace une ligne droite imaginaire entre l’Ukraine et les pays du Moyen-Orient.
D’un point de vue économique, certains pays de la zone MENA sont également des partenaires commerciaux très proches de l’Ukraine et de la Russie. Par conséquent, les répercussions de la crise vont concrètement affecter les économies MENA, même si l’impact ne sera pas le même selon les pays. Elles risquent d’aggraver plus encore l’insécurité alimentaire et la qualité de vie dans la région, déjà mises à mal par la COVID-19, les perturbations touchant la chaîne d’approvisionnement et les problèmes internes spécifiques à chaque État.
Schématiquement, nous pouvons résumer les principaux types d’impact à travers 5 catégories, dont : 1) les chocs des prix des produits alimentaires (particulièrement le blé), 2) la hausse du prix du pétrole et du gaz, 3) l'aversion mondiale face au risque/le repli sécuritaire (ce qui pourrait affecter les flux de capitaux privés vers l’ensemble des marchés émergents), 4) les transferts de fonds, et 5) le tourisme.
Personne ne sortira gagnant d’une guerre aussi dévastatrice que celle en Ukraine, mais des pays tels que le Qatar, l’Arabie saoudite, le Koweït, la Libye et l’Algérie pourraient observer une certaine amélioration de leur équilibre budgétaire et de leur balance extérieure, ainsi que d’une croissance plus élevée. Les pays exportateurs de gaz, notamment, sont aussi susceptibles de bénéficier d’une augmentation structurelle de la demande provenant d’Europe, les autorités de l’Union ayant annoncé leur volonté de diversifier leurs sources d’approvisionnement énergétique.
Toutefois, les producteurs hors secteur pétrolier vont devoir supporter les conséquences négatives, ce qui devrait renforcer encore plus des tensions au niveau social. Les transferts de fonds – particulièrement ceux émanant des expatriés basés dans les pays du Golfe – ne compenseront que très partiellement la hausse des prix due au choc des hydrocarbures (par ex. pour la Jordanie et l’Égypte). D’autres pays, dont le secteur du tourisme est davantage exposé, comme par exemple l’Égypte (où les Russes et les Ukrainiens représentent au moins un tiers des arrivées de touristes), devraient selon les prévisions être en proie à la morosité, avec des répercussions négatives sur l’emploi et la balance des paiements.
Enfin, plusieurs économies MENA seront concrètement affectées par le conflit en Ukraine (par ex. le Liban, la Syrie, la Tunisie et le Yémen). Ce sont des pays qui dépendent principalement de l’Ukraine et/ou de la Russie pour leurs importations alimentaires, en particulier pour le blé et les céréales. La crise devrait perturber les chaînes d’approvisionnement des céréales et des oléagineux, augmenter les prix des aliments, et faire monter en flèche les coûts de la production agricole nationale.
La hausse des coûts des intrants agricoles pour les céréales entraînera une diminution de leur utilisation, particulièrement pour les petits exploitants agricoles (en règle générale, la majorité des agriculteurs de la région MENA) et par conséquent une baisse du rendement et des revenus qui aura des conséquences préjudiciables sur leur subsistance, particulièrement pour les petits agriculteurs. Elle risque d’affecter de manière disproportionnée ceux qui sont pauvres et vulnérables, et dépendent de l’agriculture pour leurs revenus.
Nous sommes particulièrement préoccupés par les pays déjà fragilisés de la région MENA – tels que la Syrie, le Liban et le Yémen – pour lesquels la crise ukrainienne risque de mettre fondamentalement en danger l’accès alimentaire. La Syrie importe environ deux tiers de sa consommation d’aliments et de pétrole, et la plupart de son blé, précisément de Russie. Le Liban importe d’Ukraine et de Russie plus de 90 % de ses céréales et le pays ne dispose que d’environ un mois de réserves. Le Yémen importe environ 40 % de son blé des deux pays en guerre. Le nombre de personnes plongées dans la crise, ou pire – dans une grave insécurité alimentaire – comme au Yémen, a considérablement augmenté, passant de 15 millions à plus de 16 millions en seulement trois mois à la fin 2021. La guerre en Ukraine ne fera qu’exacerber cette dynamique déjà morose au Yémen.
L’aggravation du choc due à la guerre en Ukraine est susceptible de générer des conséquences tragiques dans certains pays de la région MENA si l’aide humanitaire et l’aide au développement ne sont pas augmentées en 2022. Pour donner une idée de l’ampleur de la crise au niveau régional, considérez que l’an dernier la région MENA n’a représenté que 6 % de la population mondiale totale, mais plus de 20 % des personnes gravement frappées par l’insécurité alimentaire.
À la Banque mondiale, nous surveillons de près la situation et nous sommes préparés à répondre avec tous les instruments à notre disposition, en fonction de la nature des vulnérabilités constatées au niveau de chaque pays. Dans des pays comme le Maroc, la Tunisie et l’Égypte, nos opérations de soutien budgétaire peuvent s’avérer particulièrement efficaces. Il est en effet prévu que la crise sera essentiellement ressentie au niveau des contraintes macro fiscales nationales.
Nous sommes déjà prêts à intensifier notre soutien à la production et à la commercialisation agroalimentaire nationale, à la gestion du risque agricole et à la gestion des réserves alimentaires dans les pays subissant des chocs à ce niveau, que ce soit par une hausse des coûts de l’énergie et des engrais, ou une combinaison des deux, ou d’autres facteurs comme des tensions liées à la sécheresse/au climat (par ex. Irak, Yémen, Tunisie, Liban, Égypte).
Dans l’immédiat, nous sommes également prêts à élargir les programmes de protection sociale axés sur la nutrition dans certains pays en nous appuyant sur le travail réalisé depuis 2020 dans le contexte de la réponse à la pandémie de COVID-19.
Enfin, nous nous engageons à continuer de fournir une aide technique et analytique étroite et ciblée, particulièrement dans les pays les plus durement touchés, sur des questions concernant la durabilité budgétaire, la réforme des subventions, la sécurité alimentaire, le suivi des échanges et la gestion du risque agricole. Comme ce fut le cas quand d’autres crises ont frappé la région, nous sommes de nouveau prêts, à la Banque mondiale, à prendre nos responsabilités et à affirmer notre soutien indéfectible aux populations de la région MENA.
Prenez part au débat